Mali : «L' intervention militaire, un remède qui risque d'être pire que le mal» - Libération
Interview Bilal ag-Achérif, chef du Mouvement de libération nationale de l'Azawad, plaide pour le droit à l'autodétermination des Touaregs, dans le Nord-Mali.
Par Propos recueillis par Thomas Hofnung
La situation paraît bloquée au Mali. Les préparatifs pour une intervention militaire africaine, soutenue par les Occidentaux, dans le Nord-Mali contre les groupes islamistes marquent le pas. Tout comme le processus politique à Bamako : les «Journées nationale de concertation», qui devaient rassembler les «forces vives» du pays afin d'établir une feuille de route, ont été reportées au 10 décembre. L'Algérie et le Burkina Faso - deux Etats voisins du Mali - plaident toujours pour une sortie politique de la crise au Mali. Bilal ag-Achérif, le chef du mouvement touareg indépendantiste, le Mouvement de libération nationale de l’Azawad (MNLA), a été reçu au Quai d’Orsay, où il a plaidé pour le droit à l’autodétermination des Touaregs. Entretien.
Quel message avez-vous fait passer à Paris, très en pointe dans la préparation d’une intervention militaire au Mali ?
Bilal ag-Achérif : Nous sommes venus expliquer la position du MNLA, mais aussi celle du peuple de l’Azawad (région du Nord-Mali, ndlr) tout entier. Avant de déclencher une intervention militaire, il faut d’abord trouver une solution politique entre l’Etat malien et l’Azawad. Il faut entamer des négociations sous les auspices de la communauté internationale. L’intervention militaire risque d’apporter plus de problèmes que de solutions dans la région. Elle peut faire beaucoup de victimes et provoquer des déplacements de population importants.
Vous distinguez l’Azawad du Mali. Pour vous, il s’agit de deux territoires distincts ?
Ils n’ont jamais fait un. La question n’est pas de savoir s’ils sont distincts mais plutôt de savoir comment les mettre ensemble. Dès l’indépendance du Mali, les chefs coutumiers de l’Azawad ont écrit au président de Gaulle pour l’alerter sur les conséquences négatives de l’intégration de notre région au sein du nouvel Etat. De fait, nos populations ont été victimes de massacres dès le début des années 60, puis sous tous les présidents qui se sont succédé à Bamako, même sous le mandat d’Amadou Toumani Touré (le président renversé en mars dernier, ndlr). Jamais personne - militaire ou politique - n’a été arrêté au Mali pour les exactions commises dans l’Azawad. Sur place, les populations voient le Mali comme un Etat qui vient les piller et les massacrer.
Dans ces conditions, est-il envisageable, de votre point de vue, de faire partie du Mali ?
Il faut se rappeler de tout ce passé et discuter. Le Mali doit arrêter les responsables des massacres dans l’Azawad et les remettre à la justice internationale. C’est un préalable indispensable aux futures discussions. On ne ferme pas la porte aux négociations, mais elles doivent porter sur le droit à l’autodétermination des populations de l’Azawad. Leur aspiration profonde, c’est qu’on leur donne la responsabilité d’administrer leur propre territoire. Si la communauté internationale nous reconnaît ce droit, nous aurons une responsabilité vis-à-vis d’elle : celle d’assainir notre territoire, que nous connaissons sur le bout des doigts. Mais, aujourd’hui, si on demande à un jeune de l’Azawad de se battre contre les groupes terroristes, il va se demander pourquoi il risquerait sa vie alors que la communauté internationale veut prendre son territoire pour le remettre à l’Etat malien.
Demandez-vous des armes à Paris et à la communauté internationale ?
Nous nous battons déjà contre ces groupes nuisibles financés par l’argent de la drogue et des prises d’otages. Mais nous manquons de moyens, nos soldats n’ont pas de quoi manger. Un appui politique et financier serait le bienvenu.
Vous réclamez l’indépendance de l’Azawad mais n'êtes-vous pas minoritaire dans le Nord-Mali ?
Le MNLA ne parle pas au nom des Touaregs, mais au nom de toutes les populations présentes sur ce territoire. Les chefs du MNLA sont songhaïs, arabes, peuls et aussi touaregs. Nous sommes tous dans la même situation, nos droits sont bafoués par Bamako. On dit que nous sommes minoritaires, mais qui a fait des statistiques ? S’il le pouvait, le Mali dirait que nous n’existons même pas.
Parmi les groupes présents au Nord-Mali, qui doit être inclus dans ces négociations avec Bamako ?
Le Mujao et Aqmi doivent être exclus de ce dialogue. Ce sont des mouvements étrangers à l’Azawad, dirigés par des étrangers. Nous n’avons rien à voir avec eux. Quant au mouvement Ansar-Edine, il doit faire un pas en avant pour entrer dans la négociation en rompant ses relations avec les groupes terroristes.
Les jeunes Touaregs, qui sont désoeuvrés, ne sont-ils pas tentés de rejoindre les rangs de ces mouvements qui disposent de moyens financiers importants ?
L’argent de la drogue et des rançons liées aux prises d’otages leur permet certes d’attirer certains jeunes. Mais les populations de l’Azawad n’ont rien en commun avec l’idéologie d’Al Qaeda. Ceux qui les ont rejoints le font par pur intérêt financier ou par peur. Il faut justement leur offrir une alternative. Le Mujao a récemment recruté plusieurs militants locaux mais aussi à l’extérieur de la région grâce à l’argent touché en échange de la libération d’otages espagnols.
Vous sentez-vous pris en étau entre la pression des groupes islamistes présents au Nord et la menace d’une intervention militaire extérieure ?
L’intervention ne servirait à rien dans les conditions actuelles. On ne peut pas prescrire une ordonnance sans avoir ausculté le malade, sans avoir consulté les populations de l’Azawad. Une telle opération militaire, avec des troupes qui ne connaissent rien du terrain, provoquerait plus de désordre, diffuserait la menace terroriste dans toute l’Afrique de l’Ouest et augmenterait le trafic de drogue. Elle risquerait de faire beaucoup de victimes collatérales. Comment distinguer les terroristes des autres ? Ils portent les mêmes vêtements
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