Modifié le 04-09-2012 à 15h57
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LE PLUS. Le Sahel, longue bande de 4 millions de km2 comprenant notamment le Mali, le Niger et la Mauritanie, prend de plus en plus "l'allure d'une zone de non droit". Pour Mehdi Taje, spécialiste de cette région, les fondements de cette instabilité sont à chercher dans l'histoire coloniale.
Édité par Hélène Decommer Auteur parrainé par Céline Lussato
Au Mali, des rebelles islamiques de la faction Ansar Dine, le 16 mai 2012 (Diakaridia Dembele/AP/SIPA)
En tant que géopoliticien, je suis attaché à la rémanence historique, c’est-à-dire à la nécessité d’inscrire les événements sur le temps long de l’histoire afin de ne pas se laisser abuser par le poids du présent, du sensationnel et de la géopolitique spectacle véhiculée par certains médias.
Le Sahel, sous-administré et sous-défendu, est caractérisé par le développement de logiques de chaos : des espaces d’anomies émergent, risquant d’engendrer une déstabilisation durable de l’océan sahélien mais aussi, par effet induit, du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, d’où l’empressement manifesté par la CEDEAO de se saisir de la crise malienne.
L’heure est grave, la précarité stratégique de cet espace risquant de s’étendre et de s’installer sur la longue durée. La crise est complexe, à l’image d’une équation mathématique à plusieurs inconnues. Encore faut-il en saisir tous les aspects, prendre de la hauteur et ne pas se laisser abuser par le jeu des uns et des autres. En reprenant l’interjection du Sphinx à Œdipe : "Comprends ou tu es dévoré".
Les lignes de fracture du Sahel
L’espace sahélien tourmenté, véritable polygone de crises, est travaillé par des lignes de fractures inscrites dans le temps long de l’histoire et qui continuent à produire leurs effets, et par des éléments plus récents se surajoutant et amplifiant la vulnérabilité du champ.
Outre l’opposition centre-périphérie, l’impact du colonialisme et d’autres, la géographie même de l’espace désertique favorise la remise en question des frontières établies par les États, l’étatisation postcoloniale de l’espace ayant bouleversé les frontières ethniques et les modes de vie traditionnels, notamment la libre mobilité des hommes et des biens, caravanes, commerce, transhumance et nomadisme. Le télescopage entre l’autorité étatique et l’autorité traditionnelle des populations nomades Touaregs, Toubous, etc. participe de l’explication du système de conflits que révèle la crise malienne.
Deuxième facteur, de nombreux conflits sahéliens trouvent leur origine dans la fracture Afrique blanche-Afrique noire, matérialisée par la traite d’abord islamo-arabe puis européo-coloniale, souvent renforcée par la complicité de populations noires (ethnies différentes et rivales). Lors de la décolonisation, les États regroupant administrativement des populations caractérisées par de lourds contentieux historiques, notamment les ethnies victimes de la traite, doivent assurer la cohabitation de tribus ayant participé activement au sein de l’ancien appareil négrier.
Second aspect de cette ligne de contact, la plupart des États situés entre les latitudes 10° Nord et 20° Nord sont caractérisés, dans leur architecture interne, par une fracture Nord-Sud qui traduit in fine, une opposition avant tout ethnique entre populations blanches, souvent arabisées, et populations noires. Au Mali, l’opposition fondamentale est avant tout celle des Blancs, Maures et Touaregs, et des ethnies africaines noires. La rébellion est nordiste et touareg. La fracture raciale Nord-Sud, ancrée dans l’histoire et à la base d’une profonde conscience ethnico-tribale, paraît difficilement conciliable avec le concept d’État-nation hérité de la décolonisation.
Les implications philosophiques de cette question sont lourdes de conséquences. Comment, en effet, envisager que les Touaregs, anciens dominants à l’égard des ethnies du Sud, puissent accepter la domination de ces mêmes ethnies, consacrées par le colonisateur puis par l’État malien après la décolonisation ? De véritables murs d’incompréhension, parfois de rancœur, se sont érigés dans le temps, minant le processus d’édification d’un véritable sentiment national, indispensable à l’émergence de l’État-nation.
Tant que cette problématique ne sera pas posée de manière claire, sans dérobade, il n’y aura guère de solution durable à la crise malienne. Rétablir la confiance entre les différents acteurs et l’apprentissage du vivre-ensemble apparaissent comme étant des priorités.
Restaurer les nations historiques du Sahel ?
Si nous poussons le raisonnement plus loin, l’exemple malien prouve que la balkanisation supplémentaire du Sahel est catastrophique si l’on tient compte de l’histoire ancienne, de la colonisation et de la décolonisation. Walvis Bay en Namibie (rétrocédée à la Namibie le 28 février 1994), l’Érythrée (27 avril 1993), le Soudan du Sud (9 juillet 2011) et maintenant l’Azawad reposent le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
Il est temps de mieux méditer la réponse fondamentale, la restauration des nations historiques devant prévaloir sur les entités coloniales dressées artificiellement par les métropoles dans l’intérêt des calculs impériaux de l’époque. L’Afrique doit se réapproprier sa propre destinée. Il est temps de tourner la page coloniale et d’aller vers la régionalisation bien comprise et le respect des ensembles homogènes sur la base des grandes nations historiques ayant précédé le charcutage colonial.
Sans innover, sans admettre des formes plus souples de territorialité transcendant les lignes de fracture et les clivages du passé, le problème touareg et d’autres ne pourront pas être surmontés sur le long terme.
A ces facteurs historiques se juxtaposent de nouveaux facteurs déstabilisateurs : la défaillance politique et économique des États sahéliens, incapables d’assumer les attributs de la souveraineté sur l’ensemble de leur territoire et de s’ancrer à la modernité ; la spéculation islamiste par des forces obscures qui sont loin de toute foi religieuse, encore plus de l’islam ; les sécheresses et famines amenées à s’amplifier compte tenu des effets attendus du réchauffement climatique ; la pauvreté, la précarité économique et sociale et le manque de perspective d’avenir pour toute une jeunesse désœuvrée ; l’explosion démographique (en 2040, la population sahélienne devrait doubler pour atteindre 150 millions d’habitants) ; la montée en puissance des trafics en tous genres et notamment du trafic de drogue en provenance d’Amérique latine ; l’enracinement du crime organisé ; le terrorisme incarné essentiellement par AQMI ; le jeu trouble et complexe de l’Algérie ; les rivalités et tensions entre États sahéliens ; les ingérences des puissances extérieures instrumentalisant les facteurs de tensions afin de mieux contrôler les richesses avérées et potentielles (pétrole, gaz, uranium, fer, or, cuivre, étain, etc.), enfin les effets induits de la guerre en Libye.
Face à cette complexité, méditons l’histoire ; elle nous livrera les clefs d’intelligibilité permettant de mieux surmonter les difficultés du présent. Si nous nous dérobons, si nous manquons de courage, elle nous écrasera !
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