Vu de Bamako Un pays oublié de tous ? | Humanite
Du nord, aux mains des islamistes
qui appliquent
la charia, au sud, où les personnes déplacées viennent grossir les rangs
de la misère, tout un peuple attend la suite des événements dans un climat d’anxiété
et de précarité accrues. Dix jours dans la capitale nous
ont permis de prendre le pouls d’une situation qui paraît encore inextricable.
Bamako (Mali), envoyée spéciale. Aux dernières nouvelles, al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), sur un site mauritanien, menaçait de mort les six otages français au Mali si la France intervenait militairement au nord du pays. Le premier ministre de transition, Cheick Modibo Diarra, à Paris le mercredi 19 septembre, a déclaré : « Le temps presse (…), le temps est du côté des terroristes. » Le Mali a enfin fait appel à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et saisi l’ONU d’une demande d’appui et d’accompagnement : « Nous avons suffisamment de troupes, ce qui nous manque, c’est le renseignement, l’aspect logistique et la formation. »
Bamako. Début septembre. Douentza, principal verrou entre le Nord et le Sud, est tombée aux mains des islamistes du Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao). Le 10 du mois, à Gao, cinq hommes accusés d’avoir attaqué un bus sont amputés de la main droite et du pied gauche. « Depuis que les occupants sont dans le nord, ils n’ont que deux activités : la police et le tribunal islamique », nous dit Sandy Haïdara, député de Tombouctou. La charia est appliquée en tout. Les femmes sans voile reçoivent dix coups de fouet. C’est quarante coups pour l’alcool et cent pour les relations hors mariage. À Ménaka (près de la frontière nigérienne), « les femmes n’ont plus le droit d’aller au fleuve laver la vaisselle et le linge », selon Mohamed Ag Ibatane, déplacé et réfugié à Bamako avec sa famille (quinze personnes). Il a assisté, à Ansango, au supplice d’un garçon amputé d’une main. « C’était un mercredi. Ils nous ont amenés au bord du fleuve après avoir installé des sièges. Ils ont assis l’homme sur une chaise, lui ont ligoté les mains et les pieds avant d’aiguiser le couteau. On était forcés de regarder. Ils ont mis cinq minutes à lui scier la main au cri d’“Allah akbar”. La main est tombée à terre. »
La terreur est au Nord conquis aux deux tiers depuis près de six mois par des milices islamistes. Les personnes déplacées grossissent les rangs de parents pauvres dans la capitale où les logis sont des camps de réfugiés. Certains retournent « là-haut ». Ils ne supportent plus ces conditions infernales. « La pluie, le paludisme, le manque d’espace, l’extrême misère, ils n’en peuvent plus », nous confie Sandy Haïdara.
À Bamako, pourtant, la vie semble suivre un cours presque habituel. Les petites vendeuses de maïs font des affaires. La récolte est bonne et permet, me dit l’une d’entre elles, « de faire la soudure », en attendant celle des céréales, dont le mil. Dans le Nord, la production de riz devrait baisser de 30 %. Le cheptel pourrait être perdu.
Les conséquences des événements se font sentir dans tous les secteurs. Quant au tourisme, fini les séjours dans le pays Dogon ou la manifestation de littérature Étonnants Voyageurs prévue en novembre à Bamako. Les grands hôtels ont fermé. Le personnel est au chômage. Les usines tournent au ralenti. Trois cents ouvriers d’une boîte de transformation du textile sont sur le carreau. Les taxis jaunes déplorent « le manque de toubabs ». Confiance en berne entre banques et commerçants, grevant l’économie informelle dans un pays où toute personne qui perçoit un salaire en fait vivre dix autres.
À la télé, le soir, après la météo, un artiste tente de remonter le moral des Maliens. Cette fois-là, c’était le cinéaste Souleymane Cissé qui a vanté « l’unité indéfectible du pays ». Le match de foot éliminatoire Mali-Botswana pour la Coupe d’Afrique des nations 2013 qui a eu lieu le 8 septembre (par bonheur le Mali a gagné par trois buts à zéro) a au moins galvanisé les Maliens. La victoire a été dédiée à ceux du Nord. Qu’en sera-t-il de la rentrée scolaire ? Partielle au sud, elle scellera, aux yeux de tous, la partition du pays.
Tout un peuple, atrocement meurtri, serre les dents dans l’attente d’un règlement hypothétique du conflit. Les hommes du Mujao, d’Ansar Dine et son leader, Iyad Ag Aghaly (Malien d’origine), affiliés à Aqmi, grignotent sans fin des morceaux de territoire. « Ansar Dine, nous dit Sandy Haïdara, est aidé dans son expansion par des groupes islamiques venus d’un peu partout : Afghans, Nigérians de Boko Haram, nom qui signifie “l’éducation occidentale est un péché”, Pakistanais, Somaliens, Yéménites, Tchadiens et Libyens ».
L’État, largement corrompu, n’a aucune politique ferme vis-à-vis du Nord. Les Touareg « laïques », naguère enrôlés par Kadhafi, disposaient d’un véritable arsenal, ce qui n’a pas empêché leur rébellion d’être mise à l’écart. Maints djihadistes ont récupéré les armes prises à l’armée malienne lors des combats. Aqmi est riche, grâce à divers trafics (de drogue de Colombie, d’armes lourdes et d’otages aux rançons colossales). Ils disposent d’un immense territoire où des avions peuvent impunément atterrir, à Kidal, à Gao, à Tessalit, seul aéroport bitumé du Nord. « Des gens du Qatar sont même venus », ajoute Sandy Haïdara.
Quant à l’armée malienne, elle manque de matériel et d’hommes suffisamment aguerris pour s’opposer à des fanatiques résolus. « Elle est caduque, complètement caduque ! » nous affirme Hamadoun Amion Guindo, secrétaire général de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM). (Voir entretien ci-contre.) Le problème du matériel se double de celui du défaut de formation des hommes au sein d’un corps devenu « une nouvelle fonction publique ». Pour le directeur du centre culturel américain de Bamako, Boubacar Belco Diallo, « l’armée n’est qu’une chasse gardée pour des fils de militaires à peine formés. Certains ne passaient même pas la visite médicale pour
savoir s’ils étaient aptes ». Ces carences rédhibitoires sont peut-être à l’origine du coup d’État du 22 mars, dû au ras-le-bol des militaires, dont certains, il y a des mois, furent égorgés comme des poulets à Aguelhok, dans la région de Kidal.
Ibrahim Boubacar Keïta, surnommé IBK, ex-premier ministre du président Alpha Oumar Konaré et président de l’Assemblée nationale durant cinq ans sous Amadou Toumani Touré (le président récemment déposé par la junte militaire), nous dit à ce propos : « Nous n’avons eu de cesse de dire qu’il fallait revoir notre armée nationale, la reformer, l’équiper, la mettre à la hauteur de ses missions. Nous avons proposé une loi de programmation militaire contraignante sur le plan budgétaire. Cette politique s’est noyée dans les sables. »
On parle d’une intervention en commun avec la Cedeao. C’est compliqué. Les armes achetées par le Mali sont bloquées dans les ports de Dakar et de Conakry. « J’avoue que j’ai du mal à suivre la logique de la Cedeao », nous dit IBK. « Comme les Maliens le souhaitent, précise-t-il, le recouvrement de notre intégrité territoriale doit être assumé principalement par
nos propres forces, cela a été admis en août et ce fut une bonne chose. Maintenant, on nous a dit de former un gouvernement d’union nationale. Notre pays s’est plié à cette demande et il ne se passe rien quant au déblocage de ces armes. Je trouve paradoxal qu’on veuille contribuer à hâter la libération d’un territoire malien sous contrôle d’Aqmi et de trafiquants et qu’en même temps, on lie les mains à l’armée malienne en lui refusant les moyens militaires dont elle a besoin ».
La confusion a longtemps régné au sommet d’un État à trois têtes, avec, d’un côté, un président de transition, Dioncounda Traoré, ancien ministre de la Défense, ancien président de l’Assemblée nationale – surnommé « celui qui ne cherche rien et qui a tout » par Kassim Traoré, journaliste à l’Indépendant – et de l’autre, le premier ministre, Cheick Modibo Diarra, astrophysicien de formation, qui, toujours selon Kassim Traoré, « pense qu’on lui a donné le Mali en dot de mariage ». Enfin, il y a celui qui imprime son rythme aux deux autres, le capitaine Amadou Haya Sanogo, élu à la tête des putschistes après le 22 mars.
La situation profite au pouvoir
religieux. En août, Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique malien (HCIM), a rempli le stade du 26-Mars avec 60 000 personnes, lors d’un rassemblement sur le thème de « La paix et la réconciliation ». Au centre culturel français, le bibliothécaire, Ousmane Diarra (sous contrat chez Gallimard « Continents noirs »), a modifié le titre de son prochain roman, l’Année des longs couteaux et des noms interminables. Animiste de l’ethnie Bambara, il est aujourd’hui insulté par sa femme et ses enfants parce qu’il ne fait pas les cinq prières par jour. Il émet de sérieuses réserves quant au tout nouveau ministère des Religions et du Culte : « Ce ministère ne fait que renforcer l’emprise du religieux sur le politique. Le HCIM est déjà au centre de toutes les négociations avec les islamistes. »
À Bamako, des embryons d’une islamisation rampante se font jour. Dans les mosquées – huit sur dix sont financées par les salafistes –, c’est la montée en flèche de prêches exaltés et la présence accrue d’imams venus du Pakistan, d’Indonésie, d’Irak, des Émirats et des pays du Golfe, tandis que les lieux de culte wahhabite poussent comme des champignons dans les villages autour de Bamako.
Bref historique d’une crise
22 mars. Amadou Toumani Touré est renversé par des militaires au motif d’incompétence dans la lutte contre la rébellion touareg au nord.
30 mars et 1er avril. Prise de Kidal et de Gao par Ansar Dine, appuyé
par le MNLA et Aqmi.
2 avril. Prise de Tombouctou par Ansar Dine et Aqmi.
6 avril. Accord-cadre junte militaire-Cedeao, Dioncounda Traoré, président
intérimaire, Cheick Modibo Diarra, premier ministre de transition.
27 juin. Le Mujao règne à Gao. Le MNLA au second plan.
30 juin. Saccage de mausolées à Tombouctou.
29 juillet. Lapidation à mort, à Aguelhok, d’un couple non marié qui a eu un enfant.
20 août. Nouveau gouvernement de 32 membres.
4 septembre. Traoré demande l’intervention des forces militaires d’Afrique de l’Ouest.
Muriel Steinmetz
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