«Avec ce projet d’accord, le Mali perd une large part de sa souveraineté» «IBK n’a aucune excuse et le risque d’une aventure nouvelle, même d’un nouveau coup d’Etat, suite à un désordre n’est pas à exclure»
Le Pr. Issa N’Diaye est connu pour son franc-parler. Il est un homme qui ne mâche pas ses mots et qui dit tout haut ce que les autres murmurent tout bas. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, l’universitaire et président de l’association malienne « Forum civique », se prononce sur les questions brûlantes de l’heure : Accords d’Alger, situation politique, futures élections régionales.Journal Infosept : Pensez-vous que le projet d’Accord d’Alger, à l’état actuel est un bon texte pour l’unité et l’indivisibilité du Mali ?
Pr Issa N’Diaye : La lecture première que l’on puisse faire de ce projet d’Accord et son paraphe par le Gouvernement attestent l’abdication de souveraineté de la part du Mali. C’est un projet d’accord qui a été rédigé par la Médiation internationale et visiblement imposé à toutes les parties. Ce qu’on constate dans ce projet d’accord, c’est que le Mali perd une large part de sa souveraineté. Mais, ce n’est pas, plus par la faute des partenaires extérieurs de la médiation internationale que des maliens eux-mêmes, qui ont permis depuis un certain nombre d’années un glissement qui a abouti aux résultats que nous connaissons. Aujourd’hui, il y a un effondrement de l’Etat malien que nous constatons et que malheureusement, les politiques maliens ont refusé d’assumer. Et si on avait eu le courage politique quand il y avait eu le coup d’Etat de mars 2012 de faire une bonne lecture de la situation d’effondrement du pays, on aurait pu éviter cela. Mais qu’est-ce qu’on a fait ? On a dit «retour à l’ordre constitutionnel normal» comme si de rien était. Et aujourd’hui, on se trouve confronté aux mêmes problèmes.
En réalité, et j’ai l’habitude de dire que, la crise dans la partie nord du Mali qu’on appelle «crise au nord du Mali», n’est pas une crise du nord mais la crise se trouve bel et bien à Bamako. C’est la crise des Institutions de l’Etat malien et c’est cette crise là qu’il faudra bien résoudre. L’Accord d’Alger fait ce constat là et a décidé de trouver une solution aux problèmes du Mali sans que les maliens aient quelque chose à dire en ce qui concerne leur destin. Je pense que c’est l’amer constat qu’il faut faire et à partir de là, voir ce qu’il faut faire aujourd’hui pour que le Mali puisse récupérer un jour sa souveraineté. Mais, le coup est très dur et mal parti. Je pense aussi qu’il faut un certain courage et une lucidité politique et surtout convier les maliens à réfléchir sur la situation actuelle et à dégager de manière consensuelle les pistes de solutions.
Journal Infosept : Jusque-là, les groupes armés de la CMA refusent de parapher le projet d’Accord. Comment expliquez-vous leur comportement ?
Pr Issa N’Diaye : C’était prévisible. Parce qu’en réalité, si on se remémore un peu de l’interview (ndlr : Le Courrier du Sahara en date du 17 Janvier 2014) de Hamma Ag Mahmoud qui avait dit qu’à l’époque et en premier lieu que c’est la France qui avait autorisé le MNLA à occuper les villes du nord, à créer l’Azawad et qu’elle avait même promis l’indépendance de cette zone au MNLA. Et que deuxièmement, le même Hamma Ag Mahmoud dit que la France a le contrôle politique à Bamako. Cela veut dire que cette situation a été créée du fait de la France et c’est à elle de gérer les états d’âme du MNLA et de ses alliés. Parce que ce qui est clair, c’est qu’aujourd’hui une solution a été trouvée et imposée au Gouvernement malien. Donc, c’est à la France de prendre les mesures nécessaires pour imposer à ce regroupement, qui est sa création, le projet d’accord qui a été paraphé par le Mali. La France trouvera les moyens de faire rentrer ce regroupement dans les rangs, il y va de leurs propres intérêts. Je pense aussi qu’il s’agit d’un baroud d’honneur et qu’ils (les groupes rebelles de la CMA) finiront par plier aux exigences parce qu’ils n’ont aucune réalité politique et militaire sur le terrain. L’heure de la vérité a sonné pour eux. Car selon le même Hamma Ag Mahmoud, le MNLA a atteint ses limites et qu’il est appelé à disparaitre. Je pense qu’il a parfaitement raison dans ses conclusions.
Journal Infosept : Alors, que peut faire la France dans cette situation dans la mesure où c’est elle qui a refusé l’entrée de l’Armée malienne à Kidal lors de la reprise des régions nord du pays ?
Pr Issa N’Diaye : Cet imbroglio a été crée par la France et les occidentaux d’une manière générale comme le chaos qu’ils ont créé en Lybie. La situation au Mali répond d’une stratégie de longue date qui consiste à occuper des positions militaires stratégiques dans cette partie nord du Mali, notamment Tessalit. C’est une vieille revendication française et la 1ere République malienne avait très bien compris cela en demandant l’évacuation de toutes les bases étrangères du Mali et le départ de tous les soldats étrangers. Malheureusement, la gestion catastrophique du pays que nous avons connue, notamment sous la période ATT, a permis à la France de reprendre pieds au Mali et surtout de prendre la base de Tessalit en imposant des accords de défense au Gouvernement malien. Je pense que la France est là pour longtemps et donc à charge pour elle alors de gérer cette situation, notamment les atermoiements du MNLA. La France finira bien par trouver la solution car, c’est elle qui a créé le problème. Mais, maintenant, il y a d’autres acteurs qui sont entrés dans la danse et dont il faut prendre les intérêts en question. Il y a l’Algérie et aussi les Etats Unis d’Amérique. Et,, de plus en plus on voit venir d’autres pays voisins de la sous-région qui ont aussi des intérêts dans ce qu’on dit, principalement la Mauritanie et le Burkina Faso, qui ont longtemps abrité les bases de ces mouvements rebelles, mais aussi le Niger qui risque d’en subir les contres-coups. Parce qu’il y a pratiquement les mêmes problèmes. Cette gestion dans l’équilibre des intérêts réciproques, évidemment avec la dominante française, amène la France à trouver une solution sans état d’âme face à cette situation.
Journal Infosept : Pour vous, est-ce l’option militaire est-elle envisageable pour une paix durable au Mali ?
Pr Issa N’Diaye : Je pense qu’il faut combiner l’option militaire à d’autres options. On ne peut pas avoir de paix sans faire ce qu’on a évité de faire jusqu’ici, c’est-à-dire cantonner et désarmer toutes les forces rebelles. Donc, on ne peut le faire que par l’utilisation de la force et il ne faut pas se faire d’illusion. Cela veut dire qu’il faut sécuriser le territoire malien en donnant la pleine mesure à l’Armée malienne d’occuper l’entièreté du territoire national. Mais les problèmes de fond sont à mon avis liés à la gestion du pays aussi bien au nord que dans le sud. Ce qui veut dire qu’il y a des reformes démocratiques à opérer au niveau de l’Etat malien pour que le pouvoir politique puisse se rapprocher des populations pour qu’en retour ces dernières puissent aussi avoir leur mot à dire, participer à la prise de décision et aussi faire le suivi et l’évaluation. Je pense que le pays a été dirigé de manière autoritaire depuis 1968 et que les populations étaient négligées et considérées comme quantité négligeable. Le passage obligé, c’est les Assisses nationales souveraines et c’est aux maliens de dire sous quelle forme ils entendent être désormais gouvernés. Mais jusqu’ici, on a évacué cette solution et le projet d’accord d’Alger a comblé le vide et essaie d’imposer une réponse. C’est un processus qui va aboutir à l’affaiblissement du pouvoir central, à l’émergence d’un pouvoir local plus fort. Est-ce que ce pouvoir local sera à même de sauvegarder les intérêts des populations? J’en doute dans la mesure où ces pouvoirs locaux risquent d’être faibles face aux multinationales qui sont aux aguets en ce qui concerne l’exploitation des ressources locales, notamment minières.
Journal Infosept : Quelle analyse faites-vous de la situation politique actuelle du Mali ?
Pr Issa N’Diaye : La situation politique actuelle continue à être dans l’impasse. J’étais de ceux qui pensaient qu’IBK avait compris l’héritage qui était le sien puisqu’il a assisté à tout et a été témoin de tout. Pour moi, il n’a aucune excuse. Le constat est qu’aujourd’hui, il n’y a pas d’Etat, la crise politique est endémique, il n’y a pas d’alternatives et le Mali ne voit pas de solution. Est-ce qu’il faut dire que la classe politique a atteint ses limites et qu’il faut entièrement la dissoudre pour une autre alternative ? Aujourd’hui, le discrédit est général au niveau de la classe politique. On peut dire que même ce qu’on appelle communément la Société civile, a perdu toute crédibilité. Il y a un vide dangereux aujourd’hui au Mali qu’il faut combler et aucun parti politique et société civile n’est en mesure de le faire. Il y a des risques d’explosions si on ne prend garde. A mon avis, il faut recourir à ses assisses nationales qui doivent analyser la crise, situer les responsabilités, sanctionner les coupables et renouveler l’espérance des maliens. C’est cela la solution. Or, j’ai l’impression que nous ne sommes pas entrain d’aller dans ce sens et que le désespoir est de plus en plus grand. Donc, le risque d’une aventure nouvelle, même d’un nouveau coup d’Etat suite à un désordre n’est pas à exclure. Il y a péril en la demeure et il faudrait que les maliens prennent conscience et se disent que c’est à eux de trouver les solutions à la crise multidimensionnelle dans laquelle est plongé le pays.
Journal Infosept : Un mot sur les premières élections régionales dans l’Histoire de notre pays ?
Pr Issa N’Diaye : Pour moi, les élections sont toujours une gâchette. Les réalités que nous avons connues jusqu’ici ont montré que les élections, depuis les années 1992, n’ont permis de résoudre aucun problème fondamental du pays. Je pense que ce n’est pas des élections, quelles soient nationales, régionales ou locales, qui vont résoudre le problème. Je trouve que le problème est de bâtir un système démocratique où les populations puissent participer aux prises de décisions et à la gestion de leur propre devenir. Les élections ne peuvent constituer qu’un moyen parmi tant d’autres, mais cela serait une erreur de continuer à privilégier les élections comme on continue à le faire aujourd’hui.
Journal Infosept : Que pensez-vous du Journal Infosept, qui se veut sous régional ?
Pr Issa N’Diaye : Je pense que c’est une bonne stratégie parce qu’il ne sert à rien de fabriquer son propre journal à côté. Il y en a de trop. Je trouve que, s’il peut y avoir un journal au-delà des frontières qui couvre en quelque sorte plusieurs pays et qu’il puisse y avoir une collaboration entre les différents journalistes, cela reste une bonne stratégie. Ce qui indique aussi la voie à ce qu’il y a lieu de faire en ce qui concerne les solidarités entre forces politiques et sociétés civiles au-delà des frontières. Je pense que c’est vers ce genre de solution qu’il faut aller. Si vous arrivez à le faire, donc, je vous dis CHAPEAU et je vous encourage vivement. En tout cas, c’est une des voies, les plus sûres pour pouvoir couvrir cet espace de manière plus efficace.
Propos recueillis
Par Dieudonné Tembely
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