mardi 29 janvier 2013

GUERRE DANS LE SAHEL • Aujourd’hui le Mali, demain le Nigeria ? | Courrier international

GUERRE DANS LE SAHEL • Aujourd’hui le Mali, demain le Nigeria ? | Courrier international

Aujourd’hui le Mali, demain le Nigeria ?
Jusqu’ici terra incognita, le Sahel est devenu un tremplin pour les islamistes armés. Le processus de déstabilisation s’annonce plus vaste.
The Times |
Richard Dowden |

Dessin de Hagen, Norvège.

Il y a encore deux ou trois ans, le Mali survivait essentiellement grâce à l’aide occidentale. Depuis que son peuple a renversé la dictature en place, en 1992, le pays a connu une relative démocratie. Malgré sa pauvreté – ses principales sources de richesse sont l’or et le coton –, il s’en sortait mieux que beaucoup de ses voisins. Mais, en mars 2012, le Mali a connu un coup d’Etat et aujourd’hui son gouvernement est défaillant. Qu’est-ce qui a dérapé ?D’abord, le gouvernement n’était pas aussi habile que les donateurs l’affirmaient. En profitant de l’aide, il est devenu suffisant, corrompu et a omis d’œuvrer pour le développement, en particulier dans le Nord pauvre du pays.L’an dernier, un jeune capitaine, Amadou Haya Sanogo, voyant le mécontentement de la population, s’est emparé du pouvoir. Bien qu’il ait dû s’accommoder d’un président et d’un Premier ministre civils et accepter de préparer le pays à un retour à la démocratie, il demeure un acteur puissant.
Ensuite, le nord du pays a servi de refuge à des rebelles salafistes chassés d’Algérie à la fin des années 1990 et a été la cible de groupes islamistes armés mobilisés et financés par des fondamentalistes saoudiens de l’islam wahhabite [tendance ultraorthodoxe et extrémiste], qui prêchent le djihad contre l’Occident.Comme beaucoup d’autres, ma première réaction a été de penser qu’il n’y avait aucun mal à ce que des islamistes vivent dans le désert. Quel préjudice pouvaient-ils y causer ? Mais le Sahara est comme une mer où l’on rencontre peu d’obstacles naturels et où il n’y a pas de frontières apparentes. C’est un espace idéal pour se livrer au trafic d’argent, de drogue, de cigarettes, d’armes et d’êtres humains. Des étrangers y étaient – et y sont encore – fréquemment pris en otages.Le désert abritait également des Touaregs, ces nomades coiffés de turbans bleus qui contrôlaient le commerce transsaharien en se déplaçant à dos de dromadaire. Ils se comportaient en aristocrates qui ne se mélangeaient pas aux Africains noirs du Sud ou en faisaient leurs esclaves. Mais, dans les années 1980 et 1990, leurs troupeaux ont été détruits par la sécheresse et beaucoup de jeunes ont rejoint l’armée du colonel Kadhafi, plus au nord.
Quand ce dernier a été renversé, en 2011, ces Touaregs se sont emparés de toutes les armes qu’ils pouvaient récupérer et sont retournés au Mali dans le but d’occuper le Nord et d’en faire un pays indépendant, l’Azawad. Ils ont trouvé des alliés légitimes dans les islamistes et sont entrés en rébellion en janvier 2012, repoussant l’armée malienne avant de s’emparer de tout le nord du pays et de déclarer son indépendance, peu après le coup d’Etat du capitaine Sanogo.Cette terra incognita qu’était le Sahel – du Sénégal à l’ouest à la Somalie à l’est – est en passe de devenir un tremplin pour une nouvelle offensive d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) et d’autres groupes islamistes. Le Mali a des frontières avec sept pays et le Niger voisin, un autre pays à l’équilibre précaire, en a avec cinq.
Selon Africa Confidential, une newsletter qui fait autorité, les prochaines cibles des islamistes seront la Mauritanie, avec ses abondantes ressources halieutiques et minérales, puis le Niger, qui recèle de l’uranium et du pétrole.Mais la conséquence la plus grave serait la déstabilisation du Nigeria, au sud-est, qui ne devrait pas tarder à prendre le relais de l’Afrique du Sud en tant que première économie africaine et principal fournisseur étranger de pétrole des Etats-Unis. Le Nigeria a déjà son propre mouvement d’insurgés islamistes, Boko Haram, qui a été armé et entraîné par Aqmi. En 2010, Boko Haram a commis un attentat à la bombe contre les locaux de l’ONU à Abuja, la capitale, dans le centre du pays, et lancé des assauts contre des églises et des édifices gouvernementaux dans des villes du Nord. Mais il n’a pas encore attaqué le Sud, majoritairement chrétien.Le bruit court que les groupes islamistes se battent entre eux, ce qui expliquerait que toutes les attaques soient concentrées dans des secteurs musulmans. La majeure partie de cette région d’Afrique adhère traditionnellement à un islam soufiste, qui tolère des pratiques locales considérées comme blasphématoires par l’islam wahhabite, plus rigoureux.
Depuis 2006, les Etats-Unis ont conduit les opérations contre les mouvements islamistes armés en Afrique, mettant en place des missions d’entraînement militaire dans la plupart des pays frontaliers du Sahara. L’un des résultats les plus alarmants de l’épisode malien est que la plupart des soldats entraînés par les Etats-Unis sont, dit-on, restés dans leurs baraquements ou ont déserté pour rejoindre les islamistes. Or, aujourd’hui, les Etats-Unis ne sont pas en mesure d’apporter un soutien militaire direct au gouvernement malien car, en vertu de la loi américaine, ils ne peuvent fournir un tel appui qu’aux démocraties.Sera-t-il possible de stopper l’avancée des islamistes ? En bombardant des dépôts d’armes et des concentrations de rebelles, on pourra l’entraver, mais, pour venir à bout d’Aqmi, il faudra recourir à des soldats sur le terrain qui aient le soutien des habitants. Aujourd’hui, l’armée malienne est faible et démoralisée. Les Français vont donc probablement devoir fournir l’essentiel d’une force incluant des soldats d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Ils pourront être assistés par des Touaregs nationalistes, mais ces derniers inspirent de la méfiance.
 The Times |
Richard Dowden |
24 janvier 2013

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