Jean-Yves Le Drain, le ministre français de la Défense, prévoit une intervention militaire au Nord-Mali au premier trimestre de l’année 2013. Cet agenda est-il crédible ?
Philippe Hugon : Non, je ne pense pas qu’il soit crédible, l’armée malienne n’est pas constituée dans sa hiérarchie, dans son équipement, et les conditions de la force de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) doivent être davantage efficientes, adaptées à ce genre de terrain. L’intervention militaire peut avoir lieu en automne 2013. Mais, il ne faut pas que la menace de l’intervention soit renvoyée aux calendes grecques car c’est parce qu’il y a une pression qu’il peut avoir des négociations avec les terroristes.
Quels sont les enjeux de cette intervention militaire ?
Philippe Hugon : L’intervention militaire est le dernier recours, le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) ne pose pas de problèmes, Ansar Dine (Groupe de Touaregs pro-charia) est plus extrémiste, et se base sur la loi islamique et la destruction des mausolées. Même s’il se sépare du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) et d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique), la négociation avec Ansar Dine est difficile d’autant qu’il n’y a pas de gouvernement légitime à Bamako. La zone sahélo-sahélienne devient une zone non contrôlée c’est pour cela que c’est compliqué d’entamer les négociations. Intervenir militairement peut avoir des effets collatéraux graves : les populations peuvent être touchées, des prises en otage. Il peut se passer ce qui s’est passé en Afghanistan, des actions terroristes peuvent être relancées. Mais, sans intervention, il y a le risque d’effet de contagion et de prolifération de trafics.
La France va-t-elle droit dans le mur ?
Philippe Hugon : Une intervention peut nuire à la vie des otages, un otage est une arme qui permet aux groupes terroristes de gagner de l’argent. En revanche, s’ils sont exécutés il n’y a plus d’arme de chantage. La France est plus exposée car elle a plus de liens avec des pays sahéliens que d’autres pays européens, par exemple l’Allemagne et la Suède. Cependant, la France ne va pas droit dans le mur. Elle est prise dans un dilemme : sauver la vie des otages et soutenir une intervention militaire qu’elle ne réalise pas elle-même. Ce n’est pas une position française de soutenir l’intervention militaire au Nord-Mali, également défendue par tous les pays de la Cedeao et de l’Union africaine (UA). Aqmi joue un jeu classique en utilisant les otages comme bouclier pour éviter une intervention militaire, et ainsi revendiquer des choses : notamment la suppression de l’interdiction du port du niqab ; ce qui rend difficile les négociations c’est parce qu’il n’y a pas d’intermédiaires avec Aqmi, les négociateurs ne savent pas à qui parler.
Pourquoi la France persiste-t-elle à soutenir cette intervention militaire annoncée alors que la vie des otages est menacée ?
Philippe Hugon : La France n’a pas des intérêts économiques particuliers, en termes de pétrole ou de gaz. De toute façon, l’exploitation de ces ressources ne peut être faite dans l’immédiat. Si la France a soutenu une intervention militaire au Nord-Mali, c’est parce qu’il y a une grande communauté malienne en France. Le Mali, une ancienne colonie française, est un pays où la France a toujours eu une influence. La France a un double discours, comme les Anglais, Italiens et Américains. Généralement, pour libérer les otages, il faut payer une rançon et aucun pays ne le reconnait. La force des preneurs d’otages, c’est que les journalistes médiatisent leur rapt, la guerre se gagne aujourd’hui par les forces mass médias. Le risque de l’exécution des otages existe dès lors qu’ils ont été enlevés. Aqmi, par exemple, avait dans un premier temps réclamé le retrait des troupes françaises d’Afghanistan.
Quelle est la meilleure stratégie à adopter ?
Philippe Hugon : L’action la moins risquée c’est d’avoir un plan de développement de la région permettant aux populations de retrouver de l’emploi et des revenus. Ce qui dissuadera les jeunes d’être attirés par ces mouvements terroristes. Le pouvoir de Bamako doit par ailleurs répondre aux attentes du MNLA. En outre, il faudrait mener des actions ciblées contre le Mujao et Aqmi par des drones. Pour les inciter à quitter le terrain. Car il ne peut pas avoir des négociations politiques avec ces terroristes qui sont dans le champ d’un rapport de force.
Afrik.com
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