Alors que l'armée malienne a lancé une vaste opération de recrutement, les miliciens de Ganda Koy s'entraînent pour la reconquête du Nord-Mali. Reportage.
Miliciens dans la ville de Mopti, au centre du Mali, le 20 août 2012. AFP
l'auteur
Il ne fait pas encore jour dans les rues larges et quadrillées de Sévaré, au centre du Mali.
Les volontaires de la milice Ganda Koy (les maîtres de la terre) sont invisibles, mais on entend leurs cris.
Aigus, sans cadence. De ceux que l’on pousse pour se donner du courage en entrant sous une douche glaciale. De ceux qu’il faut pour débuter aux aurores une nouvelle journée d’entraînement à la guerre.
Ils sortent de la pénombre en petites foulées, répartis des deux côtés de la route. Leur circuit à travers la ville prend fin dans l’immense cour d’un bâtiment administratif auparavant inoccupé, déjà cerné par la brousse.
En claquettes, en maillots de foot et même en pagnes, les quelques 200 volontaires vont passer la matinée à faire des exercices physiques. L’ambiance est à mi-chemin entre la discipline de fer du film Full Metal Jacket et la décontraction d’un cours d’EPS (éducation physique et sportive) au lycée: on cache sa cigarette dans les rangs, on sort son téléphone à la moindre occasion.
Vient ensuite la pause déjeuner. En fait, une bouillie de riz servie dans une marmite aussi large que celle utilisée par Panoramix pour préparer sa célèbre potion magique.
A défaut de potion magique les gens ici veulent des armes. Rares sont ceux qui ont le privilège d’en porter une. Sans elles, les milices ne sont que des épouvantails.
On s’entraîne donc avec des armes factices ou imaginaires.
«Attention! Ça c’est lance-roquettes!», sourit un milicien, genoux à terre, quand on passe devant un morceau de bois posé sur son épaule.
Pas sûr que son joli sourire d’ancienne lycéenne de Gao ne suffise pour désarmer les combattants djihadistes bien armés et persuadés de gagner un ticket pour le paradis en mourant.
En fin de journée, on reforme une dernière fois les rangs pour désigner les personnes d’astreinte. «Présent !», crie une jeune femme à l’appel de son nom. «On dit “présente”!», rectifie son voisin sans douceur.
Quelques mois plus tôt Amnesty International avait écrit que «les miliciens de Ganda Koy auraient tué au moins 20, et peut-être même plus de 40 civils maures et touareg», parallèlement à d’autres massacres commis par l’armée malienne et les groupes armés touareg.
Ganda Koy et les mouvements plus récents (Ganda Izo, Front de libération du Nord-Mali etc.) sont les manifestations bellicistes de l’exaspération de certaines populations noires du nord se définissant comme «sédentaires», par opposition aux Touaregs réputés nomades.
Accords de paix successifs «signés sous le manteau d’arrangements institutionnels, [qui] ignorent et écrasent les réalités historiques, démographiques et socioculturelles du Nord Mali», «amateurisme dans le traitement de l’épineuse question du Nord-Mali»…
Dans son manifeste publié en août, l’alliance Zasya-Lasaltaray, qui œuvre pour «la libération du Nord-Mali» dit exprimer «une légitimité séculaire —une légitimité plus vieille que le Soudan français, plus vieille que la nation malienne; et celle-ci est en définitive, plus vieille que les rebellions actuelles».
A savoir celle des descendants de l’empire songhaï.
Un double-mètre et un double-quintal qu’on n’aimerait pas croiser seul dans un coin du désert. Même si son bouc grisonnant de vétéran suggère que cette guerre sera peut-être son dernier engagement.
Reste à savoir sous quel uniforme. Le gouvernement a condamné l’existence des milices et la plupart des forces politiques veulent leur intégration dans l’armée, qui vient de lancer un programme de recrutement.
«Il pourrait concerner entre 1.000 et 2.000 personnes», dit-on prudemment au ministère de la Défense, où l’on assure que «si les miliciens sont Maliens, ils peuvent bien sûr s’inscrire».
Mais pas question pour Aliou Maïga d’intégrer l’armée pour un maigre salaire, alors qu’il gagne bien plus avec son travail de menuisier. Parmi les miliciens en revanche, certains rêvent de porter l’uniforme et de redorer le blason d’une armée humiliée.
Djihadistes, rebelles, armée malienne, troupes étrangères, milices…Comment comptent-ils s’identifier sur le terrain?
«On n’a pas encore décidé. On mettra peut-être des chapeaux traditionnels songhaïs, ou des turbans. En tout cas on circulera avec le drapeau du Mali», assure Aliou Maïga, en ajoutant qu’il dispose d’un boubou très particulier pour se protéger.
Retrouvez tous les articles de notre dossier Mali: un pays coupé en deux
Les volontaires de la milice Ganda Koy (les maîtres de la terre) sont invisibles, mais on entend leurs cris.
Aigus, sans cadence. De ceux que l’on pousse pour se donner du courage en entrant sous une douche glaciale. De ceux qu’il faut pour débuter aux aurores une nouvelle journée d’entraînement à la guerre.
Ils sortent de la pénombre en petites foulées, répartis des deux côtés de la route. Leur circuit à travers la ville prend fin dans l’immense cour d’un bâtiment administratif auparavant inoccupé, déjà cerné par la brousse.
Un entraînement version Full Metal Jacket décontracté
A une centaine de mètres de là, le nouvel hôpital de la ville accueillera sans doute les futurs blessés d’une guerre de libération du nord dont les protagonistes et l’agenda demeurent flous.En claquettes, en maillots de foot et même en pagnes, les quelques 200 volontaires vont passer la matinée à faire des exercices physiques. L’ambiance est à mi-chemin entre la discipline de fer du film Full Metal Jacket et la décontraction d’un cours d’EPS (éducation physique et sportive) au lycée: on cache sa cigarette dans les rangs, on sort son téléphone à la moindre occasion.
Vient ensuite la pause déjeuner. En fait, une bouillie de riz servie dans une marmite aussi large que celle utilisée par Panoramix pour préparer sa célèbre potion magique.
A défaut de potion magique les gens ici veulent des armes. Rares sont ceux qui ont le privilège d’en porter une. Sans elles, les milices ne sont que des épouvantails.
On s’entraîne donc avec des armes factices ou imaginaires.
«Attention! Ça c’est lance-roquettes!», sourit un milicien, genoux à terre, quand on passe devant un morceau de bois posé sur son épaule.
«Il n'y a pas de femmes ici»
«Même si je dois donner ma peau pour libérer mes parents qui se trouvent au nord, je le ferai», annonce Sira Sissoko à l’ombre d’un acacia, dans un maillot de football rouge d’Arsenal.Pas sûr que son joli sourire d’ancienne lycéenne de Gao ne suffise pour désarmer les combattants djihadistes bien armés et persuadés de gagner un ticket pour le paradis en mourant.
En fin de journée, on reforme une dernière fois les rangs pour désigner les personnes d’astreinte. «Présent !», crie une jeune femme à l’appel de son nom. «On dit “présente”!», rectifie son voisin sans douceur.
«On dit “présent”. Il n’y a pas de femmes ici»,conclut l’un des formateurs de la milice.«Groupe d’autodéfense», rectifie à Bamako l’avocat Harouna Toureh, coordinateur des Forces patriotiques de résistance (regroupement des différentes milices), bien conscient des connotations négatives associées au mot «milice».
Ganda Koy, une milice qui dérange
Née en 1994 en pleine rébellion touareg, Ganda Koy n’a pas la réputation de faire dans la dentelle. En avril 1995, l’anthropologue Hélène Claudot-Hawad (proche des milieux touareg) dénonçait dans Le Monde diplomatiquele discours de ce mouvement à l’égard des Touaregs, «dont les accents rappellent étrangement l’antisémitisme européen».Quelques mois plus tôt Amnesty International avait écrit que «les miliciens de Ganda Koy auraient tué au moins 20, et peut-être même plus de 40 civils maures et touareg», parallèlement à d’autres massacres commis par l’armée malienne et les groupes armés touareg.
Ganda Koy et les mouvements plus récents (Ganda Izo, Front de libération du Nord-Mali etc.) sont les manifestations bellicistes de l’exaspération de certaines populations noires du nord se définissant comme «sédentaires», par opposition aux Touaregs réputés nomades.
Accords de paix successifs «signés sous le manteau d’arrangements institutionnels, [qui] ignorent et écrasent les réalités historiques, démographiques et socioculturelles du Nord Mali», «amateurisme dans le traitement de l’épineuse question du Nord-Mali»…
Dans son manifeste publié en août, l’alliance Zasya-Lasaltaray, qui œuvre pour «la libération du Nord-Mali» dit exprimer «une légitimité séculaire —une légitimité plus vieille que le Soudan français, plus vieille que la nation malienne; et celle-ci est en définitive, plus vieille que les rebellions actuelles».
A savoir celle des descendants de l’empire songhaï.
A quoi peut servir Ganda Koy?
Ganda Koy est aussi composée de nombreux Peuls. Comme Aliou Maïga, chef des opérations, qui supervise de loin l’entraînement de ses protégés, en sueur sous le soleil.Un double-mètre et un double-quintal qu’on n’aimerait pas croiser seul dans un coin du désert. Même si son bouc grisonnant de vétéran suggère que cette guerre sera peut-être son dernier engagement.
Reste à savoir sous quel uniforme. Le gouvernement a condamné l’existence des milices et la plupart des forces politiques veulent leur intégration dans l’armée, qui vient de lancer un programme de recrutement.
«Il pourrait concerner entre 1.000 et 2.000 personnes», dit-on prudemment au ministère de la Défense, où l’on assure que «si les miliciens sont Maliens, ils peuvent bien sûr s’inscrire».
Mais pas question pour Aliou Maïga d’intégrer l’armée pour un maigre salaire, alors qu’il gagne bien plus avec son travail de menuisier. Parmi les miliciens en revanche, certains rêvent de porter l’uniforme et de redorer le blason d’une armée humiliée.
Djihadistes, rebelles, armée malienne, troupes étrangères, milices…Comment comptent-ils s’identifier sur le terrain?
«On n’a pas encore décidé. On mettra peut-être des chapeaux traditionnels songhaïs, ou des turbans. En tout cas on circulera avec le drapeau du Mali», assure Aliou Maïga, en ajoutant qu’il dispose d’un boubou très particulier pour se protéger.
«Il absorbe les balles, et gonfle à mesure qu’il les absorbe.»Fabien Offner
Retrouvez tous les articles de notre dossier Mali: un pays coupé en deux
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire