dimanche 9 décembre 2012

Mali : exécution publique au nom de la charia - maliweb.net

Mali : exécution publique au nom de la charia - maliweb.net

Un islamiste, le 24 avril 2012 près de Tombouctou
© AFP

Notre reporter témoigne de la mort d’un berger, jugé à Tombouctou selon la loi islamique.

C’est un jour ordinaire à Tombouctou, ville sahélienne « gouvernée » depuis huit mois par les milices islamistes. Sur la place du marché, entre les marchandes de légumes, des porteurs bousculent les passants. Des bouchers proposent leur viande sur des étals couverts de mouches. Dans les rues encombrées de motos et de camions, des gamins pieds nus tapent dans un ballon de fortune.

Soudain, un convoi lourdement armé traverse la place. À la sortie de la ville, il s’arrête pour encercler une vaste cuvette de sable, rapidement envahie par une foule immense. Une voix s’élève, relayée par un haut-parleur : « C’est la charia, la loi d’Allah. » Encadré par quatre gardes, un homme au front dégarni, le teint clair et la barbe fournie, sort d’un tout-terrain. C’est Moussa Ag Mohamed, éleveur touareg de 40 ans, originaire de la bourgade de Goundam.

Une dernière prière

Ce père de quatre enfants est le premier condamné à mort dans le cadre de l’application de la charia par Ansar Dine, un des groupes djihadistes qui contrôlent le Nord-Mali. Moussa, pieds et mains liés, avance en titubant. On lui ôte ses liens. Le temps d’une dernière prière, d’une dernière larme. Il se met à genoux. Une balle lui transperce le cœur. Des « Allah akbar » retentissent, un filet de sang coule sur sa poitrine. Moussa murmure quelques mots. On devine qu’il demande à être achevé. Une seconde balle l’étend sur le sable tiède.

Jugé par un tribunal islamique, il avait été reconnu coupable du meurtre d’un pêcheur noir de la communauté bozo, après que ses vaches eurent abîmé les filets de sa victime. Selon la charia, Moussa, lui-même membre d’Ansar Dine, n’avait aucune chance de sauver sa tête : la famille du pêcheur ne lui avait pas accordé le pardon, ni n’avait accepté les 30 millions de francs CFA que ses proches avaient proposés en guise de « diya », le prix du sang. « Il a tué mon fils, il devait être tué », confie sèchement la mère, voilée dans un boubou bariolé, devant le corps immobile du Touareg.

Au Sahel, la méfiance règne entre Noirs sédentaires et nomades « teint clair » (Touaregs) ou « peau rouge » (Arabes). Or les actes de ces derniers, majoritaires parmi les milices qui occupent le Nord, sont souvent perçus avec suspicion par les gens. Des jours après la mise à mort du berger, des Noirs de Tombouctou mettaient en doute son exécution. « Il n’a pas bougé quand ils ont tiré la première balle et il s’est relevé. C’est bizarre », s’étonne Baba, un commerçant songhaï, la grande ethnie noire du Nord-Mali. « Vous avez été à son enterrement ? » demande un lycéen. « La charia s’applique à tous, Noirs ou Blancs, y compris nos combattants », rétorque le porte-parole d’Ansar Dine.

Selon la tradition musulmane, sa famille devait enterrer Moussa, mais elle est restée à Goundam et n’a pas assisté au procès. Il a donc été enterré par les islamistes le lendemain, à l’aube, après la première prière du jour. Sa dépouille drapée d’un linceul blanc avait été apportée dans une mosquée pour la traditionnelle prière du mort. Les dizaines de croyants présents étaient presque tous djihadistes. « C’était trop fort », dit Al Mouataz Billah, un combattant revenant du cimetière. « Trop dur », renchérit son ami Abou Jendel. « Je n’ai pas dormi de la nuit », complète un autre.

« Obligation divine »

Yeux embrumés, voix enrouée, le trio avoue qu’il aurait préféré voir le Touareg épargné. Et si l’un d’eux avait été désigné au peloton d’exécution, aurait-il désobéi aux ordres ? Sûrement pas. « La charia est une obligation divine, c’est une fierté pour tout croyant sincère de participer à son application », explique l’imam Cissé, membre du tribunal islamique qui a condamné le berger. Lui aussi aurait voulu voir Moussa sauvé. « Même s’il prévoit la peine de mort, l’islam recommande aussi le pardon. Mais la famille a refusé de pardonner. C’était son droit. Ce n’est donc pas nous qui avons décidé de tuer cet homme. Dieu nous l’a imposé, ses ordres ne se discutent pas. »

sudouest.fr/2012/12/09

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