mercredi 16 mai 2012
Au Mali (ou ce qui en reste), le chaos règne au Nord, tandis que le Sud est K.O. Ne s’expriment plus, dans ce pays, que des intérêts personnels. Aucun des discours que tiennent ceux qui pensent avoir une parcelle de pouvoir n’est crédible. Les « intérimaires » (présidence de la République + Premier ministre + ministres) fonctionnent selon de vieux schémas ; ceux qui avaient cours quand tout était normal.
Et les « journaliers » (la junte militaire au Sud + les groupes « rebelles » au Nord), comme il se doit, jouent leur jeu, au jour le jour, sans se préoccuper de ce que sera demain. Non seulement la situation paraît inextricable mais, plus encore, on a la désagréable impression que personne ne maîtrise quoi que ce soit. Pire encore, on peut douter que quelqu’un ait une idée quelconque de la façon dont les Maliens vont pouvoir s’extraire de ce maelström. Du même coup, on s’étonne que le Mali ait fait si longtemps illusion. Il y a dans ce pays profusion de personnalités politiques, de personnalités intellectuelles, de diplomates, d’entrepreneurs, d’hommes d’affaires… A commencer par Cheick Modibo Diarra, aujourd’hui Premier ministre de transition.
Ce pays a été dirigé, pendant vingt ans, par deux chefs d’Etat qui n’étaient pas des imbéciles ni, non plus, des dictateurs : Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré. Bien évidemment, on peut écouter avec intérêt le discours « anti-impérialiste » d’Aminata Dramane Traoré*, figure de proue malienne du mouvement altermondialiste africain, mais ce qu’attendent les Maliens, c’est une solution à leurs problèmes : un Sud K.O. et le chaos au Nord.
Au Sud, malgré les médiations à répétition, rien n’est réglé et la junte n’entend pas céder la place malgré les engagements souscrits. Les événements du 30 avril/1er mai 2012 ont ajouté à la confusion. Et les propos de Modibo Diarra, lors de son adresse à la Nation le mercredi 2 mai 2012, n’ont pas permis d’y voir plus clair : « Nous avons assisté, a-t-il déclaré, à une tentative de déstabilisation du pays ces dernières 48 heures qui se sont soldées par une victoire, en tout cas temporaire, pas complète encore, de notre armée et de nos forces de sécurité ». « Déstabilisation » dont le premier ministre ne dit rien, si ce n’est qu’elle serait le fait « d’éléments en civil et armés ».
Un discours qui laisse penser que Diarra et la junte sont sur la même longueur d’onde – il y a eu un « contre coup d’Etat » –, ce qui ne manque pas d’être… déstabilisant puisque, justement, la nomination d’un gouvernement très majoritairement civil (et dans une configuration « Tout va très bien Madame la Marquise »**) résultait du retrait de la junte de la scène politique. Or, il n’en est rien.
La preuve en est qu’à l’occasion du premier conseil des ministres (30 avril 2012), Diango Cissoko a été chargé de « mener la discussion avec le Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE, junte militaire) sur le rôle qui doit être le sien pendant la transition ». Ce qui implique que le CNRDRE est toujours en place et qu’il ne veut pas la céder. Constat d’échec ? De la facilitation menée conjointement par le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire au nom de la Cédéao ? Du gouvernement Diarra ? C’est dire que le Nord-Mali peut dormir tranquille (enfin, façon de parler) ce n’est pas demain que les militaires maliens vont entreprendre sa reconquête ; ils sont occupés à conforter leur pouvoir à Bamako puisque, une fois encore, les « politiques » ont failli et que la société civile n’a pas envie d’aller, à nouveau, au « casse-pipe pour des prunes ».
Certains ne manqueront pas de penser que, finalement, ce n’est peut-être pas la pire des solutions dans l’état de déliquescence où se trouve le Mali. L’armée à voulu prendre le pouvoir parce que, disait-elle, les civils avaient failli ; eh bien, qu’ils prouvent ce dont ils sont capables ! Le problème avec les militaires, c’est que l’on sait quand ils s’installent au pouvoir mais jamais quand ils vont en partir ; c’est ce qu’illustre, d’ailleurs, l’actuelle situation au Mali. On pense donc aujourd’hui, à Bamako, que le CNRDRE « doit » avoir un « rôle ». Et c’est Diango Cissoko qui va négocier ce « rôle ».
Ce docteur en droit (doctorat de 3ème cycle + doctorat d’Etat, les deux obtenus à l’Université de Rouen), qui a débuté sa carrière d’administrateur civil dans les services pénitentiaires (il a été le directeur de la prison centrale de Bamako), a été ministre de la Justice, Garde des Sceaux (1984-1988), secrétaire général de la présidence de la République (avec rang de ministre) du 15 février 1988 jusqu’au 26 mars 1991, jour de la chute du régime de Moussa Traoré. Une chute qui va être fatale à sa carrière.
Il va connaître alors une longue traversée du désert (qu’il occupera comme « consultant », ce qui signifie en clair qu’on n’a pas de boulot mais que, malgré tout, on entend encore gagner de l’argent grâce à son carnet d’adresses et aux services rendus par le passé) jusqu’à sa nomination, le 13 novembre 2002, comme directeur de cabinet (avec rang de ministre) du Premier ministre. ATT venait de conquérir le pouvoir (par les urnes cette fois) et avait nommé à la primature un Touareg : Mohamed Ag Hamani. Cissoko restera directeur de cabinet du Premier ministre jusqu’au 28 janvier 2008 (c’est Modibo Sidibé qui est alors premier ministre), date à laquelle il sera nommé secrétaire général de la présidence de la République. En mai 2011, il obtiendra le poste de Médiateur de la République.
Aujourd’hui, il va pouvoir mettre son talent de médiateur à l’épreuve en négociant le rôle que doit jouer le CNRDRE dans la transition. Celui du ramasse-miettes. Car il ne faut pas s’y tromper : la préoccupation de Ouaga et d’Abidjan (la seconde capitale s’alignant nécessairement sur la première, Alassane D. Ouattara, qui a déjà du mal à être en Côte d’Ivoire – cf. LDD Côte d’Ivoire 0368/Mercredi 9 mai 2012 – ne peut pas être partout) est de régler le problème majeur qui est celui de l’absence de contrôle étatique de Bamako sur « l’Azawad » et, du même coup, de l’émergence d’une multitude de pôles d’insécurité sur ce territoire qui jouxte la Mauritanie, l’Algérie, le Niger et le Burkina Faso.
Ouaga a d’ores et déjà envoyé ses émissaires dans le Nord-Mali, au contact avec les différents groupes de « rebelles », ceux qui sont les plus aptes à engager un dialogue avec les patrons de la sous-région afin « de ne pas injurier l’avenir ». Pour mener à bien cette diplomatie secrète, Ouaga a besoin de stabiliser le pouvoir en place à Bamako. Cette stabilisation vaut bien quelques breloques et autres colifichets pour des militaires qui préfèrent les plans de carrière plutôt que la guerre. Cela tombe bien : la guerre, Ouaga sait qu’elle ne pourra pas résoudre la situation qui prévaut dans le Nord-Mali et entre le Nord et le Sud du pays.
Ce serait répondre à la provocation des groupuscules islamistes – qui ont l’avantage du terrain – alors que l’objectif est de les éradiquer. Et pour cela, il y a d’autres moyens et d’autres alliés pour y parvenir. Le principal allié étant la pression exercée sur les différents acteurs par la « communauté internationale » et la Cédéao qui n’entend rien lâcher sur le fond mais est disposée à y mettre la forme.
* Dans un long entretien – deux pages – avec Rosa Moussaoui (L’Humanité du 4/5/6 mai 2012), Aminata Dramane Traoré explique que la crise malienne résulte directement de la guerre de l’OTAN en Libye, expression d’une « démarche de reconquête » de l’Afrique par la France et d’une « démarche de conquête » de cette même Afrique par les Etats-Unis. Elle dénonce aussi, dans les pays africains, « une démocratie affairiste et corrompue, où aller aux affaires signifie s’enrichir, enrichir le parti, pour être en capacité d’acheter les voix qui permettront de se maintenir au pouvoir sans jamais rien changer ».
Selon elle, Paris a entrepris de « sous-traiter » aux Touareg la lutte contre les groupes islamistes armés « quitte à entretenir un foyer de tension interne au Mali ». Rien n’est faux dans ce qu’elle dit, mais le discours manque cruellement de cohérence, la preuve en est qu’elle ne dit pas un mot (il est vrai que Moussaoui ne l’interroge pas sur ce sujet qui fâche L’Humanité) de son soutien à la junte militaire.
** Je m’étonne toujours que dans des gouvernements de « transition », plus encore en période de crise, les responsables aient toujours le désir de faire « comme si », comme si tout marchait bien. Il y a quand même, dans le gouvernement formé le 24 avril 2012, un tas de ministres qui doivent se la couler douce. Quid « des relations avec les institutions » (il n’y a même pas de président de l’Assemblée nationale), « de la jeunesse, du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle » - ils ont même, l’un et l’autre, un ministre délégué - « de l’artisanat, de la culture et du tourisme », « des sports »… ?
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Ce pays a été dirigé, pendant vingt ans, par deux chefs d’Etat qui n’étaient pas des imbéciles ni, non plus, des dictateurs : Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré. Bien évidemment, on peut écouter avec intérêt le discours « anti-impérialiste » d’Aminata Dramane Traoré*, figure de proue malienne du mouvement altermondialiste africain, mais ce qu’attendent les Maliens, c’est une solution à leurs problèmes : un Sud K.O. et le chaos au Nord.
Au Sud, malgré les médiations à répétition, rien n’est réglé et la junte n’entend pas céder la place malgré les engagements souscrits. Les événements du 30 avril/1er mai 2012 ont ajouté à la confusion. Et les propos de Modibo Diarra, lors de son adresse à la Nation le mercredi 2 mai 2012, n’ont pas permis d’y voir plus clair : « Nous avons assisté, a-t-il déclaré, à une tentative de déstabilisation du pays ces dernières 48 heures qui se sont soldées par une victoire, en tout cas temporaire, pas complète encore, de notre armée et de nos forces de sécurité ». « Déstabilisation » dont le premier ministre ne dit rien, si ce n’est qu’elle serait le fait « d’éléments en civil et armés ».
Un discours qui laisse penser que Diarra et la junte sont sur la même longueur d’onde – il y a eu un « contre coup d’Etat » –, ce qui ne manque pas d’être… déstabilisant puisque, justement, la nomination d’un gouvernement très majoritairement civil (et dans une configuration « Tout va très bien Madame la Marquise »**) résultait du retrait de la junte de la scène politique. Or, il n’en est rien.
La preuve en est qu’à l’occasion du premier conseil des ministres (30 avril 2012), Diango Cissoko a été chargé de « mener la discussion avec le Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE, junte militaire) sur le rôle qui doit être le sien pendant la transition ». Ce qui implique que le CNRDRE est toujours en place et qu’il ne veut pas la céder. Constat d’échec ? De la facilitation menée conjointement par le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire au nom de la Cédéao ? Du gouvernement Diarra ? C’est dire que le Nord-Mali peut dormir tranquille (enfin, façon de parler) ce n’est pas demain que les militaires maliens vont entreprendre sa reconquête ; ils sont occupés à conforter leur pouvoir à Bamako puisque, une fois encore, les « politiques » ont failli et que la société civile n’a pas envie d’aller, à nouveau, au « casse-pipe pour des prunes ».
Certains ne manqueront pas de penser que, finalement, ce n’est peut-être pas la pire des solutions dans l’état de déliquescence où se trouve le Mali. L’armée à voulu prendre le pouvoir parce que, disait-elle, les civils avaient failli ; eh bien, qu’ils prouvent ce dont ils sont capables ! Le problème avec les militaires, c’est que l’on sait quand ils s’installent au pouvoir mais jamais quand ils vont en partir ; c’est ce qu’illustre, d’ailleurs, l’actuelle situation au Mali. On pense donc aujourd’hui, à Bamako, que le CNRDRE « doit » avoir un « rôle ». Et c’est Diango Cissoko qui va négocier ce « rôle ».
Ce docteur en droit (doctorat de 3ème cycle + doctorat d’Etat, les deux obtenus à l’Université de Rouen), qui a débuté sa carrière d’administrateur civil dans les services pénitentiaires (il a été le directeur de la prison centrale de Bamako), a été ministre de la Justice, Garde des Sceaux (1984-1988), secrétaire général de la présidence de la République (avec rang de ministre) du 15 février 1988 jusqu’au 26 mars 1991, jour de la chute du régime de Moussa Traoré. Une chute qui va être fatale à sa carrière.
Il va connaître alors une longue traversée du désert (qu’il occupera comme « consultant », ce qui signifie en clair qu’on n’a pas de boulot mais que, malgré tout, on entend encore gagner de l’argent grâce à son carnet d’adresses et aux services rendus par le passé) jusqu’à sa nomination, le 13 novembre 2002, comme directeur de cabinet (avec rang de ministre) du Premier ministre. ATT venait de conquérir le pouvoir (par les urnes cette fois) et avait nommé à la primature un Touareg : Mohamed Ag Hamani. Cissoko restera directeur de cabinet du Premier ministre jusqu’au 28 janvier 2008 (c’est Modibo Sidibé qui est alors premier ministre), date à laquelle il sera nommé secrétaire général de la présidence de la République. En mai 2011, il obtiendra le poste de Médiateur de la République.
Aujourd’hui, il va pouvoir mettre son talent de médiateur à l’épreuve en négociant le rôle que doit jouer le CNRDRE dans la transition. Celui du ramasse-miettes. Car il ne faut pas s’y tromper : la préoccupation de Ouaga et d’Abidjan (la seconde capitale s’alignant nécessairement sur la première, Alassane D. Ouattara, qui a déjà du mal à être en Côte d’Ivoire – cf. LDD Côte d’Ivoire 0368/Mercredi 9 mai 2012 – ne peut pas être partout) est de régler le problème majeur qui est celui de l’absence de contrôle étatique de Bamako sur « l’Azawad » et, du même coup, de l’émergence d’une multitude de pôles d’insécurité sur ce territoire qui jouxte la Mauritanie, l’Algérie, le Niger et le Burkina Faso.
Ouaga a d’ores et déjà envoyé ses émissaires dans le Nord-Mali, au contact avec les différents groupes de « rebelles », ceux qui sont les plus aptes à engager un dialogue avec les patrons de la sous-région afin « de ne pas injurier l’avenir ». Pour mener à bien cette diplomatie secrète, Ouaga a besoin de stabiliser le pouvoir en place à Bamako. Cette stabilisation vaut bien quelques breloques et autres colifichets pour des militaires qui préfèrent les plans de carrière plutôt que la guerre. Cela tombe bien : la guerre, Ouaga sait qu’elle ne pourra pas résoudre la situation qui prévaut dans le Nord-Mali et entre le Nord et le Sud du pays.
Ce serait répondre à la provocation des groupuscules islamistes – qui ont l’avantage du terrain – alors que l’objectif est de les éradiquer. Et pour cela, il y a d’autres moyens et d’autres alliés pour y parvenir. Le principal allié étant la pression exercée sur les différents acteurs par la « communauté internationale » et la Cédéao qui n’entend rien lâcher sur le fond mais est disposée à y mettre la forme.
* Dans un long entretien – deux pages – avec Rosa Moussaoui (L’Humanité du 4/5/6 mai 2012), Aminata Dramane Traoré explique que la crise malienne résulte directement de la guerre de l’OTAN en Libye, expression d’une « démarche de reconquête » de l’Afrique par la France et d’une « démarche de conquête » de cette même Afrique par les Etats-Unis. Elle dénonce aussi, dans les pays africains, « une démocratie affairiste et corrompue, où aller aux affaires signifie s’enrichir, enrichir le parti, pour être en capacité d’acheter les voix qui permettront de se maintenir au pouvoir sans jamais rien changer ».
Selon elle, Paris a entrepris de « sous-traiter » aux Touareg la lutte contre les groupes islamistes armés « quitte à entretenir un foyer de tension interne au Mali ». Rien n’est faux dans ce qu’elle dit, mais le discours manque cruellement de cohérence, la preuve en est qu’elle ne dit pas un mot (il est vrai que Moussaoui ne l’interroge pas sur ce sujet qui fâche L’Humanité) de son soutien à la junte militaire.
** Je m’étonne toujours que dans des gouvernements de « transition », plus encore en période de crise, les responsables aient toujours le désir de faire « comme si », comme si tout marchait bien. Il y a quand même, dans le gouvernement formé le 24 avril 2012, un tas de ministres qui doivent se la couler douce. Quid « des relations avec les institutions » (il n’y a même pas de président de l’Assemblée nationale), « de la jeunesse, du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle » - ils ont même, l’un et l’autre, un ministre délégué - « de l’artisanat, de la culture et du tourisme », « des sports »… ?
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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