lundi 25 juin 2012

Tombouctou: entre l'Azawad et la Chari'a - Le Matin DZ - Les idées et le débat

Tombouctou: entre l'Azawad et la Chari'a - Le Matin DZ - Les idées et le débat

Tombouctou: entre l'Azawad et la Chari'a

Par Le Matin DZ | 24/06/2012 02:45:00 | 1076 lecture(s) | Réactions (2)
La prise de Tombouctou sème le trouble dans les forces en présence: la rébellion Touareg pour l'indépendance de l'Azawad et le groupe terroriste Ansar Eddine se sont-ils donné la main? L'Algérie de Bouteflika, après avoir suspendu toute aide militaire au Mali a-t-elle pris langue avec ce groupe d'El Qaïda au Maghreb et à quels desseins?
Un groupe terroriste d'Ansar Eddine aux portes de Tombouctou
Avant hier, le 20h de France 2 a diffusé un reportage inédit réalisé en direct au centre de la ville mythique de Tombouctou montrant des islamistes d’Ansar Eddine fouetter sur la place publique et devant une population médusée un homme et une homme pour avoir eu des rapports sexuels hors mariages. 100 coups de fouets chacun donnés à tour de rôles par la bande d’El Qaïda au Maghreb islamique. Pour cette cité fondée par une femme gardienne d’un puits au XIIe siècle de notre ère, l’humiliation n’est pas un simple fait de torture, mais elle touche à l’histoire de cette « perle du désert » et ce corps de la femme martyrisée, secouée de douleurs, suppliant ses bourreaux, c’est la mémoire et les racines anciennes de la ville qui sont ainsi, trois mois à peine après l’arrivée de la horde islamiste, détruits, physiquement et symboliquement.
Dès leur arrivée en cette ville aux 333 saints, se pavanant dans des 4X4, lourdement armés, fiers d’être ainsi filmés par des caméras étrangères, ils s’en sont pris aux bars déjà fermés, jetant pêle-mêle des bouteilles de vin vides, écrasant des canettes de bière. Puis, d’autres, encore plus enragés, cassent des statuettes en bois, les piétinent, les démembrent dans la poussière, victorieux, la kalachnikov en bandoulière ou pointé vers le ciel, brulent le mausolée du saint musulman Sidi Mahmoud Ben Amar, menace la population de pires supplices pour ces vénérations païennes. La chari’a a pris d’assaut la ville, une ville si tant rêvée, si tant
Du jour au lendemain, Tombouctou inscrite au patrimoine mondiale, bascule dans le chaos et l’ensauvagement qui ont pour nom "la chari’a". Ville célèbre pour ses richesses en matière de manuscrits d’exégètes, précieusement gardés, il est fortement à craindre que cette mémoire écrite finisse sous le feu de l’autodafé, déclarés impies au nom de cette même chari’a. Pour tout cela, la situation désastreuse que vit Tombouctou n’est pas qu’une affaire interne au Mali. Elle intéresse l’humanité entière car cette fois, il ne s’agit pas de chasser un dictateur, mais bien d’effacer la trace d’une humanité entière, sa mémoire, ses rites, ses traditions, ses langues et, bien sûr, l’enjeu, la mort d’une des villes dont les mausolées et les demeures d’hommes et de femmes s’ouvrent sur le désert.
Mais qui est ce groupe d’Ansar Eddine. Les explications fournies par différents médias attestent d’une formation hétéroclite composée de résistants libyens qui, après la mort de Kadafi ont quitté le pays surarmés, transité par les frontières algériennes et fait jonction avec les Touaregs qui, jusque-là étaient jaloux de leur berbérité et de leur laïcité. Selon cette version, ce n’est donc pas une formation idéologiquement affiliée à El Qaïda au Maghreb islamique mais un magma de bandes organisées formé de mercenaires libyens, d’anciens terroristes du GSPC algérien et bien sûr d’éléments d’El Qaïda si fluctuants dans cette vaste région du nord du Sahel.
L’autre explication fonde ses éléments sur le fait que la prise de Tombouctou et d’autres villes de cette partie nord du pays a été facilitée par le coup d’Etat du 27 mars dernier contre le président Amadou Toumani Touré par deux forces aux intérêts apparemment divergents : Associés contre l’armée malienne, un groupe Touaregs musulman et néanmoins se proclamant laïc, et qui, depuis un demi-siècle pour l’indépendance du Nord, libéré de Bamako, le mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et ces groupes hétéroclites ont fait jonction pour s’emparer de Tombouctou, Gao et Kidal. Du coup, selon les reportages réalisés sur place depuis la prise de la ville, les Touaregs de l’Aawad semblent renier leur laïcité et disent vouloir appliquer la chari’a. Se sont-ils mis sous la coupe d’Ansar eddine ? Connus, voire même célébrés pour leur indépendance, leur berbérité, comment comprendre cette nouvelle expression bâtarde, composés de deux termes antinomiques par laquelle ils sont désormais qualifiés "Touaregs islamistes" ? Mais de toutes ces informations, pas un mot sur les populations Touaregs, ni même sur les habitants de Tombouctou. C’est à peine si, dans les reportages filmés, l’on voit des corps nouvellement voilés traverser comme des ombres les rues, comme attestant de l’implacable chari’a qui s’abat sur le pays sans qu’aucune résistance n’ait été tentée. Peu sûr. Car du côté des populations Touaregs, il y a fort à parier qu’elles ne se laisseront pas embrigader par l’idéologie d’El Qaïda du Maghreb islamistes dont les chefs sont pour la plupart étrangers au pays.
Le gouvernement malien, quant à lui, se suffit de déclarations de bonnes intentions. Il a condamné la flagellation infligée au couple prétendument "adultère" et promis aux Maliens vivant dans le Nord qu’il ne les abandonnera pas.
Mais avec la question Touareg, l’Algérie officielle semble avoir tout intérêt que la révolte pour la libération de l’Azawad ne soit pas un exemple de velléités autonomistes en Algérie, à l’exemple de la principale revendication du MAK de Ferhat Mehenni : l’autonomie de la Kabylie. D’ailleurs, selon une information rapportée par le journal électronique Siwel du MAK , une délégation d’Ansar Dine aurait été reçue officiellement en Algérie. Les buts d’Alger, écrit le journal, "est de brouiller le climat au nord malien avec l’introduction d’un groupe terroriste afin de « frapper l’élan du nouvel État Azawad." Ce qui complique la donne puisque les forces la rébellion touareg ne semble pas avoir attendu qu’Alger injecte Ansar Eddine dans leurs rangs pour faire sienne la principale revendication des éléments d’Ansar Eddine : appliquer la chari’a.
Sur le plan géopolitique, la vraie question réside dans le rôle attendu du Conseil d'état major opérationnel conjoint de Tamanrasset (CEMOC). La décision algérienne de geler son aide militaire au Mali a été prise après que le pays a mis un terme à ses opérations antiterroristes à Gao, Kidal et Tombouctou. L'Algérie a également gelé l'envoi de matériel militaire dans l'attente de la fin des combats. De plus, devant les demandes pressantes des puissances occidentales pour une intervention militaire dans la région du Sahel qui a connu une série d’enlèvements de coopérants occidentaux, l’Algérie et le Mali ont opposé un niet catégorique à toute aide occidentale.
Autant dire que, nourrie par le rush des islamistes en Tunisie, le chaos encore lourd de conséquences en Libye, la fièvre des Frères Musulmans en Egypte, les attentats terroristes accrus en Kabylie, El Qaïda au Maghreb islamiste inaugure une nouvelle stratégie : se lover dans des mouvements de résistance indépendantiste comme au Mali, ramener à son profit les révolutions arabes par la légalité constitutionnelle à l'exemple de la Tunisie et de l'Egypte.
La prise de Tombouctou participe de cette stratégie.
R.M

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