mercredi 20 juin 2012

Les vérités de Me Amadou Tiéoulé DIARRA - maliweb.net

Les vérités de Me Amadou Tiéoulé DIARRA - maliweb.net

3 réactions [-] Texte [+] Email Imprimer Partager 
Le problème du Nord est le fait des hommes…
La solution est au bout des canons…
CMD doit être jugé carte sur table…
La classe politique doit s’ériger en Conseil Général Transitoire…
La communauté internationale joue double jeu…
Les maliens doivent se battre ou périr.

Dans cette interview inédite, voulue objective et constructive, le professeur Amadou Tiéoulé DIARRA et non moins Avocat à la cour nous livre ses opinions sur l’actualité du pays. De l’historique de la crise actuelle du nord à la responsabilité des dirigeants politiques, en passant par des propositions concrètes…les propos de l’homme sont sans équivoque. La responsabilité de la CEDEAO, de l’union africaine, de la France, de l’ONU et de l’Algérie ;  les  compétences du Premier ministre et les actions qu’il a eu à poser ; le dossier du Capitaine Sanogo ; les défis pour la classe politique, les institutions et la société civile ; Les véritables priorités pour le pays…sont autant de préoccupations qui ont été abordées dans cet entretien. L’analyse est à la fois historique, juridique et politique…Un entretien à lire absolument !!!

Bonjour Professeur, pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?

Evidemment. Je remercie d’abord le journal Le Flambeau pour la confiance qu’il vient de me témoigner. Je m’appelle Amadou Tiéoulé DIARRA. J’exerce comme Avocat. Mais je choisis l’autre face de
ma vie à savoir celle d’Enseignant de carrière. Un grimpant mais pas un sac à dos ! J’ai enseigné au Premier Cycle dès l’âge de 18 ans. Parti au Sénégal en 1975 étudier, j’ai enseigné le Droit au Collège Saint-Michel et l’Université Chéick Anta DIOP m’a recruté comme Assistant en Histoire du Droit et des Institutions. J’ai rendu ma démission de l’Université C.A.D en y laissant tous mes intérêts sans calcul. Rentré au Mali en 1993, je continue d’enseigner le droit jusqu’à ce jour.

Quels regards portez-vous sur la situation du Nord ?

Si j’écris sur la question du Nord, c’est en tant que malien et pour y avoir vécu. Bien que je n’ai aucune expérience de l’art militaire. Mais j’ai enseigné au Nord et précisément à Kounsoum (Ansongo) par mutation punitive. Et c’est au Nord que j’ai été un citoyen aguerri !
La situation du Nord-Mali est un drame ! Et les germes du drame il ne faut pas aller les chercher loin. Ce n’est ni une question d’ordre institutionnel ni territorial. Je veux dire que le problème n’est pas dans les institutions mais plutôt il est dans les hommes. Tous ceux qui sont de ma génération savent qu’à l’accession du pays à l’Indépendance, nous étions déjà une Nation si l’on tient compte uniquement des anciens territoires de Ouagadou-Mêli-Songhoï. Soit dit en passant, je ne me réjouis pas de la grandeur de l’Empire du Mali comme bon nombre d’historiens maliens qui sont heureux de dire que le Mali s’étendait de l’Océan Atlantique à la Méditerranée ! C’était de l’annexion ! Un peuple n’est pas fondé à en soumettre un autre par le fer et le feu.
Cela dit à l’accession à l’indépendance nous étions déjà constitués en nation (Ouagadou-Mêli-Songhoï). L’ouvrage de Maître Abdoulaye Sékou publié en 2008 est dans ce sens.
Si j’affirme que la situation actuelle est dans la gestion des hommes en voici la preuve. Le point de départ est l’accord de Tamanrasset signé en Janvier 1991 en Algérie, l’Etat du Mali et les rebelles conviennent de ce qui suit « le cantonnement des éléments rebelles, l’allègement des dispositifs de l’armée dans les sixième et septième régions, le désengagement des forces armées de l’administration civile, la suppression de certains postes militaires, l’accélération du processus de décentralisation ».  Nous sommes en 1991 et en 1990 déjà les forces  contestatrices du régime du Général Moussa TRAORE gagnaient du terrain de jour en jour. Pourquoi et pour quelle raison les forces démocratiques ont laissé ces revendications triompher et même formuler ?
Mais il y a pire le 11 avril 1992 sous la transition, un Pacte National est signé avec la bénédiction de la classe politique malienne dans son entièreté. Ce pacte admet pour la première fois dans notre Droit public malien le concept de « statut particulier » avec comme conséquence : « la mise en place des assemblées locales, régionales et inter-régionales ; l’installation d’exécutifs et de secrétariats permanents ; le redécoupage administratif ; la création d’un poste de commissaire pour le Nord sous l’autorité du Président de la République chargé de la mise en œuvre du Pacte National…. ». C’est éminemment politique ! Pourquoi et pour quelle raison ?
En 1993, est votée la première loi sur la décentralisation. Pourquoi et pour quelle raison cette loi n’a pas absorbé les dispositions autonomistes du Pacte National ? Aucun renvoi au Pacte National ! Pourquoi et pour quelle raison ?
Dans la mesure où le suffrage est universel et permet à tous ceux et celles qui vivent au Nord d’avoir une chance égale juridiquement ou politiquement au niveau de l’appareil d’Etat, pourquoi et pour quelle raison créé-t-on un droit particulier ? Cela est-il le fait des hommes ou des institutions ?
On a eu l’impression que l’accord d’Alger du 04 Juillet 2006 est la consécration de tout ce qui précède en ce sens qu’il prévoit entre autres « la création d’un conseil régional provisoire de coordination et de suivi ; dont les membres sont désignés par consensus par les deux parties ; la création en dehors des zones urbaines de Kidal d’unités spéciales de sécurité, rattachées au commandement de la zone militaire et composées essentiellement d’éléments issus des zones nomades ».
Tout se passe comme si la situation au Nord se résume uniquement à une question ‘’nomade’’ excluant les autres identités culturelles !

Quelles solutions proposez-vous pour la résolution de cette crise ?

Il n’y a pas mille solutions. Il n’y a  qu’une seule et unique solution. C’est que, en ce qui concerne d’abord le MNLA. En tant que mouvement régi ou non par le droit, il doit se retirer purement et simplement des territoires occupés par la force. La lecture des différents accords permet de comprendre que s’ils sont appliqués, ils n’indiquent pas que les forces rebelles peuvent modifier les frontières établies pour ériger un Etat. A tout le moins, ils ont la faculté de revendiquer des « exécutifs et secrétariats permanents » pour les zones uniquement nomades et non sédentaires comme Gao, Tombouctou, Ansongo et Kidal-ville. Même dans l’hypothèse de revendication d’un ‘’statut particulier’’, il ne devrait pas passer par les armes pour aboutir à des violations massives de droits de l’homme.

4°) Quels doivent être selon vous les rôles des institutions africaines et de la communauté internationale dans cette crise ?

Les exigences de la Communauté Internationale doivent commencer par là ! En effet, l’Algérie (qui en est le facilitateur) la France (où le MNLA a ses portes d’entrée) le Conseil de Paix et de Sécurité de l’U.A, le Conseil de Sécurité de l’ONU doivent exiger du MNLA non pas de négocier mais de se retirer des territoires occupées par la force.
Comment comprendre que la pression de la Communauté Internationale ait été si forte sur le CNRDRE que ce dernier a reculé et que la Communauté Internationale ne puisse pas ébranler le MNLA pour qu’il recule de position ! Comment expliquer cela ?
Si le MNLA persiste dans ses positions actuelles, il devra être traité au même titre que Ansardine, les salafistes, Boko Ram et par conséquent nous sommes en présence d’une guerre d’agression contre le Mali et la légitime défense est de droit pour le Mali. Cela veut dire que le Mali n’a pas besoin de solliciter le recours au Chapitre 7 de la Charte Onusienne pour faire la guerre. Tout comme la CEDEAO n’avait aucunement besoin de solliciter l’avis ou l’aval de la France.
L’utilisation des armes par le MNLA pour faire valoir des droits contenus dans les accords signés n’était nullement justifiée d’autant qu’il y avait non seulement la voie de recours au Facilitateur mais en plus les recours devant le Conseil de Paix de l’Union Africaine et même la saisine de la Cour d’Abuja ou la Haye. Le MNLA doit se retirer pour effacer le caractère de guerre d’agression de son action. Quant aux autres occupants illégaux sur le terrain, la solution est au bout du canon !

Vos impressions (forces et faiblesses) sur le gouvernement actuel et les différents actes qu’il a eu à poser depuis sa prise de fonction ?

A l’occasion d’une interview accordée à votre confrère ‘’Le Pouce’’ j’ai dit que pour fragiliser le Dr Cheik Modibo DIARRA, il faut commencer par dire que c’est le beau-fils du Général Moussa TRAORE. Pour moi il faut le juger carte sur table. Autrement dit, sur les actes gouvernementaux qu’il pose.
Ce gouvernement est un compromis et il résulte de l’accord-cadre. Il est vrai qu’il ne correspond pas à ce qu’un progressiste souhaiterait ou un restaurateur de l’ancien ordre défunt. C’est cela le compromis ! On n’est pas dans la situation idéale d’un gouvernement progressiste tout comme non plus dans la situation où l’ordre défunt prévaut. Nous avons besoin de gens honnêtes pour le moment. Peu importe leur orientation politique. Autant nous n’en avons pas besoin autant il leur est interdit de l’affirmer. Deux valeurs et deux valeurs seulement doivent les préoccuper : comment récupérer le Nord et quel fichier électoral pour le Mali ? Voilà.

Le statut d’ancien chef d’Etat proposé au capitaine Sanogo est-il légitime : c’était une stratégie ou une réelle volonté politique ?

Je ne vais pas m’étendre sur ce sujet. Première question : La CEDEAO en avait-elle le pouvoir ? C’est discutable. Les implications financières et matérielles du statut se posent ! Mais j’ai eu l’impression que tout cela conduit à neutraliser le CNRDRE. Etait-ce la solution ? Je ne suis pas sûr. Je pense que le CNRDRE avait besoin simplement d’être convaincu par la Communauté Internationale et non pas le bâton et la carotte. Au contraire, la démarche de la Communauté régionale a permis à ces jeunes militaires peut –être de comprendre que la diplomatie est basée sur le mensonge et non la vérité des humains face-à-face ! C’est dommage !

Vos impressions sur la classe politique, la société civile et les institutions de la république depuis les évènements du 22 mars …

Je commence par les Institutions. On est dans une situation atypique. Un mélange de droit et de fait. Mais plus le fait que le droit. A la hiérarchie de l’Etat, il y a un Président Intérimaire mu en Président ‘’légitime’’ selon le Président François Hollande.
Un Premier Ministre de pleins pouvoirs. Qu’est-ce à dire ? C’est une sorte de droit coutumier de la CEDEAO en gestation. C’est l’expérience ivoirienne avec Charles Konan Banny-Laurent Gbagbo qu’on a voulu appliquer au Mali dans un contexte autre que celui de la Côte d’Ivoire. L’histoire nous dira ce que cache la volonté de la CEDEAO à prolonger unilatéralement de 12 mois le ‘’mandat’’ du Président intérimaire.
Nous vivons actuellement un consensus très fragile. L’éloignement accidentel du Président Dioncounda TRAORE nous épargne momentanément des blocages institutionnels possibles. Pas de peuple sans consensus. Et ce consensus je le préfère au chaos. Mais à condition que les pouvoirs du Premier Ministre soient scrupuleusement respectés par tous et toutes.
Quand à la classe politique et la Société civile : Pendant longtemps nous les avons séparés dans nos analyses. A la naissance des concepts. Cela peut se comprendre. Je réaffirme que je suis sans-parti mais j’ai un esprit de parti. Du point de vue organique je fais une distinction entre les partis politiques et les organisations de la Société civile.
Je sais qu’il y a les mouvements politiques et les mouvements sociaux au Mali. Mais qu’est ce que la Politique ? La course à Koulouba seulement ? Ou notre capacité à nous organiser pour faire  la Société selon une autre vision ?
Les politiques se battent pour le pouvoir de l’Etat et sa consolidation. Tandis que la Société civile lutte pour arracher à l’Etat certaines prérogatives qui reviennent aux populations.
Dans ces conditions ce ne sont pas seulement les partis politiques qui sont producteurs de politique. Mais  aussi les mouvements sociaux des populations et les syndicats. Donc je ne conçois pas un pôle qui crée la politique et l’autre (les mouvements sociaux) comme consommateur ! C’est pourquoi je me méfie des programmes politiques élaborés dans les Etats-majors des partis, en dehors des mouvements sociaux. J’aimerais traiter ce sujet et l’approfondir avec la Presse Universitaire du Mali et le Flambeau en symposium si l’occasion m’était donnée.

Quelle (s) analyse (s) faites-vous sur la situation actuelle du Mali sur les plans politique, économique, social, culturel et démocratique ?

Mon souhait est que la classe politique trouve le moyen de s’ériger en un Conseil Général Transitoire pendant toute la période. Je suis conscient comme tout le monde de l’existence des clivages politiques. Ne les exagérons pas. C’est plus dans la pensée que dans la pratique.
Pour l’instant les règles internationales actuelles ainsi que les règles communautaires (UEMOA-CEDEAO) surplombent les règles étatiques. Qui veut s’affranchir doit ménager sa monture et se cuirasser. L’expérience ivoirienne et celle malienne actuelle ont suffisamment montré le double visage de la Communauté Internationale. Politiquement il reste beaucoup de chemins à parcourir. Au Mali nous nous battons politiquement avec le cœur. Mais il nous faut connaitre ce que c’est qu’un parti politique. Et qu’est ce qu’on en fait ?
Nous restons culturellement et socialement en transition. Ou nous défendons nos cultures et nos sociétés ou nous périrons.
Si l’idée de Conseil Général est acceptée, il doit pousser à fond le Gouvernement de CMD à mettre sur la table tous les dossiers du Vérificateur. Comme feuille de route, n’allons pas la chercher loin : C’est le Nord, le fichier électoral, la mise en œuvre judiciaire des dossiers du vérificateur Sidy Sosso DIARRA. Et je termine par mon souhait de voir la constitution du 25 Février 1992  reléguée au Musée à côté du Parc National.
Je suis sûr que ceux ou celles qui l’ont défendue hier, c’était plutôt par principe contre le projet de A.T.T et non par nécessité  démocratique positive. Continuer à défendre aujourd’hui  la constitution du 25 Février  c’est faire preuve de comportement régressif. Nous avons besoin de reconstruire le Mali sur une nouvelle base. Et si on recouvrait le Nord, c’est légitime que des organisations comme le COREN et autres exigent une autre architecture institutionnelle que celle répressive  et anti-démocratique du 25 Février 1992 qui montre ses limites.
Je suis un partisan fervent de la défense d’une 4e République et je l’ai exprimé dans mes écrits parus dans la presse depuis 2006.

Quel(s) message (s) souhaiteriez-vous adresser à l’ensemble du peuple malien en guise de derniers mots ?

Permettez-moi de commencer par vous remercier et féliciter pour votre travail. En tant que Journal né au sein de l’Université, le Flambeau est un instrument  de contribution à l’élaboration de la pensée politique et sociale au Mali. Nous y gagnerons davantage en organisant des symposiums.
Quand au peuple malien, je voudrais dire ceci : le problème n’est pas qu’on soit forcément d’accord sur toute la ligne. Non c’est impossible. Mais que les citoyens s’expriment dans le respect des convictions des autres. Je souhaite que le peuple malien soit moins réjouissant jusqu’à ce que l’unité totale soit retrouvée. Notre compromis est l’accord-cadre (c’est notre règle commune). Acceptons-la Débattons-en sans fureur.
Propos recueillis par
Idrissa Kantao & Hamady Diallo

Aucun commentaire: