« Le choix de la guerre est […] forcément le pire car il est celui qui laisse peu de chances d’échapper à ce monde, à sa réalité et au questionnement de cette réalité dans ce qu’elle représente de pire : « Ce monde est constitué comme il doit l’être pour subsister péniblement ; s’il était un peu plus mal fait, il ne pourrait se perpétuer […] parmi tous les mondes possibles, ce monde est donc le pire ». Et pourtant il nous faut ne pas désespérer de l’améliorer ».
En appelant à la rescousse le philosophe allemand Arthur Schopenhauer tout en combattant son pessimisme, Louis Gautier, dans « Face à la guerre » (éditions La Table ronde – Paris, 2006), nous donne une des clés de la situation qui prévaut au Mali : il convient de se « questionner » sur ce qui se passe dans ce pays avant que d’entamer la vielle antienne : tout agresseur doit être à son tour agressé pour rétablir l’équilibre et donc « l’ordre » des choses ! On notera d’ailleurs que les réflexions menées par les cadres du MNLA le sont sous les auspices de HD Centre – Centre pour le dialogue humanitaire –, organisation genevoise qui s’efforce « d’améliorer la réponse apportée par la communauté internationale aux conflits armés » ; quant à leur financement, il est assuré par le Danemark dont on sait quelle est la présence… au Burkina Faso.
Or, en ce qui concerne le Mali, c’est au Burkina Faso et nulle part ailleurs que tout se passe. Le statut de médiateur officiel de Blaise Compaoré, l’onction accordée par la Cédéao, le savoir faire des Burkinabè en la matière… font que Ouaga est un passage obligé. La meilleure preuve en est qu’aujourd’hui, vendredi 15 juin 2012, débarque dans la capitale du « pays des hommes intègres » une délégation de cinq membres d’Ansar Dine (que le MNLA écrit « Ansar Eddine ») menée par Iyad Ag Ghali ; un entretien avec le président du Faso est prévu à une date non encore déterminée. Une rencontre qui se fait, semble-t-il, avec l’accord tacite du MNLA.
C’est un événement majeur qui, après la réception du MNLA par le chef de l’Etat burkinabè, voici une semaine, permet à sa diplomatie d’être présente sur tous les fronts : au Sud et au Nord du Mali, à New York et à Paris. C’est dire que la guerre est en perte de vitesse et que Ouaga s’efforce de nouer le dialogue avec tous les acteurs de la « crise malo-malienne » (mais aussi avec les capitales d’Afrique de l’Ouest – qui ne peut, désormais, qu’inclure l’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye – concernées par la multiplication des zones grises dans le « corridor sahélo-saharien »). Ce qui ne signifie pas que la menace d’une intervention armée doive être levée. Mais elle ne pourrait être qu’une action de stabilisation, de reprise de contrôle de villes emblématiques ; pas d’éradication de groupes armés autonomes qui n’ont rien à perdre et dont la finalité n’est pas de gagner la « guerre » mais de sécuriser les réseaux permettant leurs trafics.
Paris, qui n’a rien à gagner à un affrontement armé sur le terrain, joue le jeu de la temporisation et du soutien à une médiation burkinabè qui prendrait en compte les revendications du MNLA. Djibrill Y. Bassolé a été reçu par Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Qui a reçu, par la suite, le président intérimaire malien Dioncounda Traoré puis son premier ministre, Cheikh Modibo Diarra. François Hollande a, quant à lui, reçu le président du Niger, Mahamadou Issoufou, et s’est entretenu au téléphone avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, les deux chefs d’Etat les plus « va-t-en guerre ».
Il y a quelques mois, fin mars 2012, la Cédéao venait de se réunir à Abidjan pour se pencher sur trois mots qui caractérisaient le Mali et gâtait le sommet des chefs d’Etat des pays membres : junte, ATT et rébellion. Nul ne savait ce qu’il fallait faire. Et Thomas Boni Yayi, président du Bénin et président de l’Union africaine, avait trouvé la formule magique : « Avec notre cher doyen, Blaise Compaoré, nous allons pouvoir trouver une solution appropriée à cette situation ». Autrement dit, Blaise va se « démerder » de tout cela comme il a réussi à se « démerder » des autres crises ouest-africaines.
A Ouaga, et tout particulièrement à Kosyam, on était moins formels et on jugeait déjà, avant même la chute et la fuite d’ATT, que la question qui se posait était de savoir sur quel fil tirer pour démêler la pelote malienne. Trop d’interlocuteurs ; pas assez d’interlocuteurs crédibles. Plus encore, beaucoup d’interférences « étrangères ». Et une finalité des actions menées qui était particulièrement floue. Depuis, la situation sur le terrain a quelque peu évolué, au Sud comme au Nord du Mali, mais il n’y a pas d’acquis dans les avancées. Et il n’y en aura pas tant qu’on n’aura pas réfléchi avant d’agir (c’est ce qui a manqué à l’interventionnisme de Sarkozy en Afrique du Nord ; mais les Bush-Men lui avaient montré le chemin en Irak et en Afghanistan*).
Il est évident, aujourd’hui, qu’au Mali, on ne reviendra pas à la case départ. Et que ce pays devra tourner une page de son histoire qui est d’ailleurs, essentiellement, une histoire post-coloniale. Les Tamasheq, eux aussi, devront réfléchir, plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent, à la façon dont ils doivent s’insérer dans le monde contemporain. L’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, dans son Histoire de l’Afrique noire (éditions Hatier – Paris, 1978), évoquant la « grandeur du Mali » quand le Soudan occidental régnait sur l’Afrique de l’Ouest, a écrit : « Il est probable que la mise au point d’un système politique aussi souple, le seul logique dans un grand pays sans bureaucratie généralisée, ait été l’un des secrets de la réussite du Mali. Il s’agissait d’une sorte d’indirect rule sur les provinces périphériques. Il faut y ajouter la tolérance religieuse, le prosélytisme s’exerçant uniquement par l’infiltration pacifique des marchands mandé. Aucun roi malien n’a fait de guerre sainte. Pendant plus d’un siècle, au cours de sa belle époque, le Mali a réalisé un modèle d’intégration politique où des peuples aussi variés que les Touareg, les Wolof, les Malinké et Bambara, les Songhaï, les Peul et Toucouleur, les Dialonké, etc. reconnaissaient un seul souverain ».
Il ne s’agit pas de réinventer l’empire du Mali mais de réinventer le « vivre ensemble » qu’il avait su promouvoir parce qu’on ne gagne jamais à exclure. Il s’agit surtout de ne pas perdre de vue que la situation au Nord du Mali a été créée par la faillite du mode de production politique à Bamako et la mainmise sur les instances dirigeantes d’une mafia politico-affairiste qu’il faut éradiquer. C’est dire qu’il y a un préalable absolu à la recherche d’une solution durable au Nord.
Et Blaise Compaoré l’a rappelé aujourd’hui même – vendredi 15 juin 2012 – à l’issue de son séjour en Allemagne : « Nous attendons que les institutions maliennes se remettent en place et puissent assumer leurs responsabilités dans le processus engagé. Et ce, d’autant plus que dans les discussions engagées par la médiation, il faut bien qu’il y ait, à Bamako, des institutions qui vont prendre leur place dans le dialogue politique en cours avec les mouvements islamistes et indépendantistes ».
* Louis Gautier (cf. supra) dit à ce sujet : « On assiste à la banalisation du recours à la force après la fin de la guerre froide, sous couvert d’interposition et d’ingérence. Le premier conflit du Golfe, la Somalie, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, la liste est longue des affrontements qui ont servi politiquement et militairement d’introduction à la situation actuelle en Irak. Les Européens, sans en avoir une claire conscience, ont ainsi préparé le chemin de la guerre. Considérant ces conflits sans réelle importance ni signification (en dehors du scandale de la violence au Rwanda, en Bosnie, au Liberia…), considérant que la guerre appartenait à la préhistoire de leur Union en phase d’achèvement, ils ont accepté « pour la bonne cause » de donner forme à un nouveau laisser-faire militaire dans le monde. Croyant avoir disqualifié la guerre, ils l’ont au plus déqualifiée. Ils sont effrayés aujourd’hui de ne pas avoir su se préserver d’un éventuel retour de bâton ».
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Or, en ce qui concerne le Mali, c’est au Burkina Faso et nulle part ailleurs que tout se passe. Le statut de médiateur officiel de Blaise Compaoré, l’onction accordée par la Cédéao, le savoir faire des Burkinabè en la matière… font que Ouaga est un passage obligé. La meilleure preuve en est qu’aujourd’hui, vendredi 15 juin 2012, débarque dans la capitale du « pays des hommes intègres » une délégation de cinq membres d’Ansar Dine (que le MNLA écrit « Ansar Eddine ») menée par Iyad Ag Ghali ; un entretien avec le président du Faso est prévu à une date non encore déterminée. Une rencontre qui se fait, semble-t-il, avec l’accord tacite du MNLA.
C’est un événement majeur qui, après la réception du MNLA par le chef de l’Etat burkinabè, voici une semaine, permet à sa diplomatie d’être présente sur tous les fronts : au Sud et au Nord du Mali, à New York et à Paris. C’est dire que la guerre est en perte de vitesse et que Ouaga s’efforce de nouer le dialogue avec tous les acteurs de la « crise malo-malienne » (mais aussi avec les capitales d’Afrique de l’Ouest – qui ne peut, désormais, qu’inclure l’Afrique du Nord, du Maroc à la Libye – concernées par la multiplication des zones grises dans le « corridor sahélo-saharien »). Ce qui ne signifie pas que la menace d’une intervention armée doive être levée. Mais elle ne pourrait être qu’une action de stabilisation, de reprise de contrôle de villes emblématiques ; pas d’éradication de groupes armés autonomes qui n’ont rien à perdre et dont la finalité n’est pas de gagner la « guerre » mais de sécuriser les réseaux permettant leurs trafics.
Paris, qui n’a rien à gagner à un affrontement armé sur le terrain, joue le jeu de la temporisation et du soutien à une médiation burkinabè qui prendrait en compte les revendications du MNLA. Djibrill Y. Bassolé a été reçu par Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Qui a reçu, par la suite, le président intérimaire malien Dioncounda Traoré puis son premier ministre, Cheikh Modibo Diarra. François Hollande a, quant à lui, reçu le président du Niger, Mahamadou Issoufou, et s’est entretenu au téléphone avec le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, les deux chefs d’Etat les plus « va-t-en guerre ».
Il y a quelques mois, fin mars 2012, la Cédéao venait de se réunir à Abidjan pour se pencher sur trois mots qui caractérisaient le Mali et gâtait le sommet des chefs d’Etat des pays membres : junte, ATT et rébellion. Nul ne savait ce qu’il fallait faire. Et Thomas Boni Yayi, président du Bénin et président de l’Union africaine, avait trouvé la formule magique : « Avec notre cher doyen, Blaise Compaoré, nous allons pouvoir trouver une solution appropriée à cette situation ». Autrement dit, Blaise va se « démerder » de tout cela comme il a réussi à se « démerder » des autres crises ouest-africaines.
A Ouaga, et tout particulièrement à Kosyam, on était moins formels et on jugeait déjà, avant même la chute et la fuite d’ATT, que la question qui se posait était de savoir sur quel fil tirer pour démêler la pelote malienne. Trop d’interlocuteurs ; pas assez d’interlocuteurs crédibles. Plus encore, beaucoup d’interférences « étrangères ». Et une finalité des actions menées qui était particulièrement floue. Depuis, la situation sur le terrain a quelque peu évolué, au Sud comme au Nord du Mali, mais il n’y a pas d’acquis dans les avancées. Et il n’y en aura pas tant qu’on n’aura pas réfléchi avant d’agir (c’est ce qui a manqué à l’interventionnisme de Sarkozy en Afrique du Nord ; mais les Bush-Men lui avaient montré le chemin en Irak et en Afghanistan*).
Il est évident, aujourd’hui, qu’au Mali, on ne reviendra pas à la case départ. Et que ce pays devra tourner une page de son histoire qui est d’ailleurs, essentiellement, une histoire post-coloniale. Les Tamasheq, eux aussi, devront réfléchir, plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent, à la façon dont ils doivent s’insérer dans le monde contemporain. L’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, dans son Histoire de l’Afrique noire (éditions Hatier – Paris, 1978), évoquant la « grandeur du Mali » quand le Soudan occidental régnait sur l’Afrique de l’Ouest, a écrit : « Il est probable que la mise au point d’un système politique aussi souple, le seul logique dans un grand pays sans bureaucratie généralisée, ait été l’un des secrets de la réussite du Mali. Il s’agissait d’une sorte d’indirect rule sur les provinces périphériques. Il faut y ajouter la tolérance religieuse, le prosélytisme s’exerçant uniquement par l’infiltration pacifique des marchands mandé. Aucun roi malien n’a fait de guerre sainte. Pendant plus d’un siècle, au cours de sa belle époque, le Mali a réalisé un modèle d’intégration politique où des peuples aussi variés que les Touareg, les Wolof, les Malinké et Bambara, les Songhaï, les Peul et Toucouleur, les Dialonké, etc. reconnaissaient un seul souverain ».
Il ne s’agit pas de réinventer l’empire du Mali mais de réinventer le « vivre ensemble » qu’il avait su promouvoir parce qu’on ne gagne jamais à exclure. Il s’agit surtout de ne pas perdre de vue que la situation au Nord du Mali a été créée par la faillite du mode de production politique à Bamako et la mainmise sur les instances dirigeantes d’une mafia politico-affairiste qu’il faut éradiquer. C’est dire qu’il y a un préalable absolu à la recherche d’une solution durable au Nord.
Et Blaise Compaoré l’a rappelé aujourd’hui même – vendredi 15 juin 2012 – à l’issue de son séjour en Allemagne : « Nous attendons que les institutions maliennes se remettent en place et puissent assumer leurs responsabilités dans le processus engagé. Et ce, d’autant plus que dans les discussions engagées par la médiation, il faut bien qu’il y ait, à Bamako, des institutions qui vont prendre leur place dans le dialogue politique en cours avec les mouvements islamistes et indépendantistes ».
* Louis Gautier (cf. supra) dit à ce sujet : « On assiste à la banalisation du recours à la force après la fin de la guerre froide, sous couvert d’interposition et d’ingérence. Le premier conflit du Golfe, la Somalie, la Bosnie, le Kosovo, l’Afghanistan, la liste est longue des affrontements qui ont servi politiquement et militairement d’introduction à la situation actuelle en Irak. Les Européens, sans en avoir une claire conscience, ont ainsi préparé le chemin de la guerre. Considérant ces conflits sans réelle importance ni signification (en dehors du scandale de la violence au Rwanda, en Bosnie, au Liberia…), considérant que la guerre appartenait à la préhistoire de leur Union en phase d’achèvement, ils ont accepté « pour la bonne cause » de donner forme à un nouveau laisser-faire militaire dans le monde. Croyant avoir disqualifié la guerre, ils l’ont au plus déqualifiée. Ils sont effrayés aujourd’hui de ne pas avoir su se préserver d’un éventuel retour de bâton ».
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire