L’armée malienne patrouille de nouveau dans la ville de Ménaka, au lendemain de la signature par la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), de l’accord d’Alger et après en avoir été délogée pour la dernière fois en mai 2014.
Le retour dans cette ville de l’extrême Est du Mali de l’armée régulière jusqu’ici cantonnée à 2 km, s’est opéré sans triomphalisme et sans combat. Certains observateurs y voient déjà un début de pacification du Nord-Mali et de redéploiement de l’armée nationale dans toute la zone.
A en juger par les scènes de joie des Ménakois, à la vue des soldats maliens et ceux de la MINUSMA arpentant les ruelles de cette bourgade de 40 000 âmes, on peut se risquer à dire que le processus du retour de tout le septentrion malien dans le giron de la République est bien entamé.
Le plus difficile reste à faire
Ces patrouilles sont d’autant plus rassurantes pour les populations locales qu’elles s’inscrivent dans le cadre global de la pacification et de la réconciliation entre les différents acteurs de la crise malienne. Une crise dont Ménaka a terriblement souffert pour avoir cristallisé toutes les convoitises, peut-être à cause de sa situation géographique qui fait de cette localité la porte d’entrée au Mali, et peut-être même au-delà, des djihadistes et autres narcotrafiquants venant de la Libye ou du Niger voisins.
Rappelons-le, Ménaka était contrôlée jusqu’en début 2013 par les soldats loyalistes qui, face aux rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et de leurs alliés, ont dû abandonner leurs treillis pour se fondre dans la masse des fuyards en direction du Niger ; puis le MNLA a été chassé par les islamistes qui, à leur tour, ont été évincés par la MINUSMA et les soldats nigériens en l’occurrence, avant que ceux-ci n’abandonnent la ville au MNLA remis en selle par une opération militaire française dont les islamistes sont les principales cibles et victimes.
La ville a été par la suite reprise par l’armée malienne en février 2013, avant de passer de nouveau sous le contrôle du MNLA en mai 2014, suite au cuisant échec (un de plus !) de l’armée régulière dans sa tentative de reconquérir par le canon toutes les positions des rebelles, à commencer par la ville de Kidal. Depuis, l’armée malienne, défaite sur quasiment tous les fronts, a dû faire contre mauvaise fortune bon cœur en acceptant sa « mise en résidence surveillée » à la lisière de la ville, et en laissant le soin à ses supplétifs du Groupe d’Auto-défense Touareg Imghad et Alliés (GATIA) de laver l’affront en délogeant en avril dernier le MNLA et alliés.
Ce rappel des faits montre à quel point Ménaka est une ville-symbole des antagonismes et des vieilles rivalités entre les différents groupes qui composent ce septentrion « compliqué » du Mali.
Et on se gardera de pavoiser outre mesure, car les défis qui restent à relever sont aux dimensions de cette région aride du Mali, immenses !
Et le plus difficile reste à faire, avec la mise en place d’une armée représentative des groupes rebelles et des loyalistes, sur la base de quotas qui ne manqueront pas de susciter des surenchères ou des grincements de dents, sans oublier cette épineuse question des grades et de commandement dans les différents corps d’armée.
Les précédents accords de paix ont, en effet, achoppé sur ces questions et ravivé des tensions entre soldats qui se sont tirés dessus, des années durant.
Et c’est ce manque d’homogénéité et subséquemment de discipline interne qui explique en partie l’extraordinaire vulnérabilité de cette armée dont on disait qu’elle disposait d’armes de toutes sortes, mais qui, paradoxalement, était incapable de tenir ses positions, même face à des combattants souvent ignorant totalement tout des subtilités de l’art militaire.
Il faudra plus qu’un supplément d’âme de la part des parties en conflit, pour mettre fin à la haine et au désir de vengeance
Comment, avec une armée aussi délitée et qui n’a pas totalement soldé les comptes avec sa honteuse guerre interne, Bamako pourra-t-il reconquérir Kidal, qui passe pour être la citadelle imprenable de la rébellion touareg ?
Bien malin qui pourrait le dire, quand on sait que Kidal est le dernier grand bastion de la rébellion et qu’une « opinion publique » y est conditionnée et gonflée à bloc contre toute « reddition », fût-elle négociée ou forcée.
Et la CMA, par la voix de l’un de ses représentants, Ambéry Ag Rissa, l’a fait clairement savoir récemment, en disant qu’elle contrôlera Kidal jusqu’à ce qu’une nouvelle armée malienne, composée d’un nombre significatif ( ?) des groupes armés opposés à Bamako, soit constituée et déployée.
Comment ne pas être sceptique quant à une éventuelle osmose entre ennemis d’hier, quand on a vu, de par le passé, des désertions collectives et massives de soldats qui, comme par hasard, appartenaient au même groupe ethnique ou clanique ? N’est-ce pas les mêmes qui sont allés se regrouper dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas pour déclarer leur rupture de ban avec la République ?
Comment ne pas se souvenir de cette attaque meurtrière, dans la nuit du 17 au 18 janvier 2012, du poste avancé de l’armée malienne à Aguelock par des hommes commandés par un certain Ba Ag Moussa surnommé "Bamoussa", ex-militaire déserteur de sinistre réputation, qui avait été incorporé dans l’armée malienne à la faveur, justement, d’un accord de paix similaire à celui qui vient d’être signé ?
Comment enfin les populations des zones occupées arriveront-elles à pardonner aux soldats maliens leur trop grande propension à se « défouler » sur des civils désarmés, suspectés de complicité avec les terroristes ou les indépendantistes ?
Assurément, il faudra plus qu’un supplément d’âme et/ou un dépassement de soi de la part des différentes parties en conflit, pour mettre fin à la haine et au désir de vengeance, surtout que de nouveaux acteurs comme les islamistes ont fait irruption sur la scène, avec leurs méthodes de mise à mort terrifiantes comme la lapidation ou la décapitation.
Et si le déploiement de l’armée malienne à Ménaka peut être considéré comme l’acte 1 de la réconciliation et de la réunification du « Maliba », il faut espérer qu’avec le temps, et le talent des négociateurs aidant, on entonnera dans toutes les bourgades du Nord-Mali, de Kona aux confins de l’Algérie, et de Léré aux frontières du Niger et de la Libye, l’hymne de l’union sacrée et de la confiance mutuelle retrouvée.
Certes, il serait naïf de penser que cela sera aussi facile que d’apposer une signature au bas d’un document, mais après tout, « tout ce qui est imaginable par l’homme est réalisable par l’homme », selon un révolutionnaire africain bien connu. Croisons les doigts pour que nos frères maliens empruntent enfin et durablement le chemin de la paix et de la réconciliation nationale.
« Le Pays »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire