maliweb.net - L’avenir politique au Mali : En se souvenant de l’après pacte
A plus de vingt ans de distance, les situations ne sont absolument pas similaires. Sauf par la nature de certains problèmes posés
Le plus difficile viendra après le 20 juin. L’avertissement tourne en boucle depuis la fin de la semaine dernière. Il se répète aussi bien du côté de la Médiation internationale que de celui des différentes parties maliennes. Cette mise en garde vient tout d’abord de l’extrême difficulté qu’il y a eu à amener la CMA vers le pas décisif que constitue la signature par elle de l’Accord de paix dans une douzaine de jours. La Coordination a, tout au long du processus de négociation, fait très souvent entendre des annonces discordantes sur sa stratégie. Sa frange la plus réaliste s’est finalement imposée. Celle-ci avait depuis un certain temps estimé à leur juste importance deux facteurs déterminants : la montée de la pression de la communauté internationale dont les injonctions s’étaient faites plus incisives lors de ces dernières semaines ; et l’évolution du rapport de force sur le terrain militaire, la Coordination ayant échoué dans ses tentatives répétées de reprendre Ménaka, qui représentait avant tout pour elle un butin symbolique obtenu lors des événements du 21 mai 2014. Il convient cependant de ne pas sous-estimer la capacité de réaction dont pourraient encore disposer les récalcitrants.
La mise en garde prend aussi et déjà en compte l’accueil très mitigé que l’opinion nationale a réservé aux conclusions de la rencontre d’Alger. La plupart de nos compatriotes se sont essentiellement rebellés contre le fait que Ménaka, qui à leurs yeux a réintégré le giron de la République, soit à l’avenir sécurisé par la MINUSMA, ainsi que le demandait la Coordination. La réticence populaire se base sur le fait que la force onusienne s’était signalée dans un passé encore très récent par sa passivité face aux exactions et aux foucades des éléments du MNLA qui occupaient la ville. Les habitants de Ménaka sortis nombreux dimanche pour manifester leur inquiétude, doutant ouvertement de la capacité de la Mission à s’opposer à une éventuelle réinstallation par la force des rebelles ou à des actions punitives montées par ces derniers.
La mise en garde s’inspire enfin et tout naturellement de l’histoire des processus de rétablissement de la paix après un conflit interne. La conclusion d’un accord ouvre en général de nouveaux fronts sans doute moins meurtriers en pertes de vies humaines, mais qui restent le théâtre de confrontations acharnées. Ces fronts voient s’entrechoquer les interprétations contraires des dispositions de l’accord, se multiplier les manœuvres de repositionnement sur des territoires stratégiques, se déployer des campagnes d’intox pour instrumentaliser l’opinion, se développer des logiques d’ultimatums en cas de blocage des discussions et se pointer les menaces de remise en cause dès les premiers retards importants dans l’exécution du calendrier. Tout ceci surviendra inévitablement dans les prochains mois et perturbera encore un peu plus une opinion nationale dont la sensibilité aux problèmes du Septentrion a été singulièrement exacerbée par trois longues années d’incertitude. Le gouvernement aura alors besoin de tout son savoir-faire pour maintenir fermement le cap sur l’apaisement.
LES IDÉES DU 28 MAI. Mais quelles difficultés l’Exécutif doit-il s’attendre à affronter ? L’apparente similitude de certaines situations n’amène pas forcément la répétition des conséquences qu’elles génèrent. Mais il nous semble que certains phénomènes qui ont empoisonné l’immédiat Pacte national ont de bonnes chances de resurgir et de compliquer l’après Accord. Le premier d’entre eux qui se manifeste déjà est celui de la persistance, voire de l’aggravation de l’insécurité.
En 1992 avant même que le Pacte national ne soit signé, son contenu tout comme la sincérité du gouvernement malien avaient été mis en doute par Rhissa Sidi Mohamed, leader du FPLA un des Mouvements signataires. Sur le terrain, la cessation des hostilités s’avéra toute virtuelle, puisque les « bases » qui affirmaient n’avoir pas participé aux négociations et les bandes de maraudeurs armés continuaient leur harcèlement. Entre le 12 avril (date de la signature du Pacte) et le 7 juillet 1992, une cinquantaine d’attaques avaient été décomptées. Avec comme retombée l’installation de la psychose non seulement chez les populations du Septentrion, mais aussi chez les habitants de Mopti, Ségou et Bamako. Avec pour conséquences des attaques injustifiables contre les résidents touaregs et arabes de Tombouctou, de Gao et de Sévaré.
Malgré les efforts du gouvernement, les actions armées se poursuivirent jusqu’à la mi-année 1995, soit trois ans après la conclusion de l’accord de paix. Elles avaient eu comme point d’orgue les attaques spectaculaires lancées contre les capitales régionales Tombouctou et Gao. En réaction, les populations sédentaires se jugeant insuffisamment protégées par les forces armées, créèrent le 19 mai 1994 le Mouvement patriotique malien Ganda Koye. Face à la montée du tumulte et des passions, les autorités de l’époque eurent le mérite de rester fidèles à leurs options premières.
Elles s’opposèrent fermement à la promotion de l’autodéfense, réaffirmèrent leur attachement au Pacte national (« notre seule chance, avec ses faiblesses, avec ses limites », selon la formule du chef de l’Etat d’alors), insistèrent sur la préservation de l’unité nationale et de nos traditions de tolérance. Toutes ces idées forces furent développées par le président Konaré dans une allocution solennelle prononcée le 28 mai 1994 et défendues par le Premier ministre Ibrahim B. Keïta lors d’une longue tournée dans les Régions de Tombouctou, de Gao et de Kidal.
Aujourd’hui, la donne sécuritaire est certainement plus complexe et aussi volatile qu’il y a vingt ans. Au niveau des rebelles, la principale inconnue concerne tout particulièrement l’attitude qu’adopteront les radicaux de la CMA. Parmi ceux-ci, certains n’ont aucune emprise réelle sur le terrain. Ils appartiennent essentiellement à la légion des intellectuels qui s’étaient embarqués dans la grande aventure de l’indépendance et qui ne décolèrent pas devant les concessions acceptées par les négociateurs, notamment l’abandon du schéma fédéraliste. La branche armée du MNLA et celle du HCUA paraissent (pour le moment) surtout soucieuses ne pas être délogées de leur sanctuaire kidalois pendant la période intérimaire, quitte à faire accepter par la suite leur préférence à maintenir une majorité de leurs combattants au Nord du Mali.
Le danger est susceptible de venir de deux côtés. Première hypothèse – et le cas s’est produit en 1992-1995 – des réfractaires poursuivraient leurs opérations de harcèlement et des bandes armées qui ont versé dans le banditisme ne renonceraient pas à leurs activités de rapines. Deuxième hypothèse, un Mouvement signataire reprendrait ses attaques comme le FIAA l’avait fait en 1994-1995 en invoquant la mise en danger de ses communautés et l’insincérité des autorités gouvernementales
Mais la complication réelle et tangible est apportée par la présence des éléments terroristes totalement absents de l’équation sécuritaire des années 1990. Le net regain d’activités affiché par les djihadistes depuis quelques semaines se traduit tout à la fois par une recrudescence des attaques, mais aussi par un relèvement du niveau des cibles visées. Sans céder à la paranoïa, il est indispensable de bien déchiffrer le message délivré par l’explosion déclenchée sur le tronçon Tombouctou-Teherdge et qui visait explicitement les responsables militaire et de la sécurité de la MINUSMA.
LA PUISSANCE DES SOUPÇONS. Les agresseurs tenaient à prouver tout à la fois la qualité de leurs renseignements et leur intention de dépasser le stade de la simple escarmouche. D’une certaine manière, l’Accord va jouer sa crédibilité sur la part que prendront les éléments de la CMA à la lutte anti-terroriste, eux qui jusqu’à présent n’ont pu ni prévenir les bombardement des camps de la Mission onusienne et de Barkhane situés à Kidal, ni même aider à en retrouver les responsables. Or – et tout au moins sur le territoire de la 8è Région -, ils ont l’avantage de mieux connaître le terrain et d’apporter un vrai plus dans le domaine du renseignement. A condition, bien sûr, que soit surmontée la pesanteur que représente l’ombre de Iyad Ag Ghaly.
Deuxième problème qu’avaient eu à affronter les autorités maliennes dans la mise en application du Pacte national et que le gouvernement actuel trouvera inévitablement sur son chemin, le sentiment répandu dans la population que l’application de l’accord de paix apporte des dividendes indues aux mouvements rebelles. Entre 1993 et 1994, ce ressenti avait notamment suscité une forte grogne au sein des forces armées en raison de la manière discutable dont avaient été intégrés d’ex-combattants. Le même sentiment de révolte avait été exprimé par les associations des jeunes et les syndicats qui s’inquiétaient de l’embauche dans la Fonction publique malienne d’éléments sans qualification particulière. De leur côté, les communautés sédentaires s’étaient indignées de se voir négligées dans les projets portant sur la reconstruction du Nord du Mali.
Le sentiment de malaise était d’autant plus profond à l’époque que la définition des « quotas » d’ex-combattants à intégrer se traitait lors de négociations menées en Algérie entre délégués du gouvernement malien, représentants des MFUA et médiateur algérien. Les autorités qui avaient commis la maladresse de garder secrètes aussi bien les exigences des Mouvements que les concessions acceptés par le Mali, finirent par s’inquiéter de la virulence des protestations et par donner des précisions sur les chiffres de « l’intégration ». Ceux-ci, qui avaient déjà fait l’objet de fuite dans la presse privée, furent jugés excessifs par les parties contestataires et ont alimenté une énorme frustration dont les effets n’ont pas totalement disparu, vingt ans plus tard.
Le gouvernement actuel a d’ailleurs enregistré la force du sentiment de défiance populaire dans les concertations qu’il avait organisées sur le processus d’Alger. Les interlocuteurs du gouvernement ont de manière plutôt vigoureuse mis en garde ce dernier contre l’instauration d’un dialogue exclusif avec la Coordination, contre une trop grande perméabilité aux concessions afin d’arriver rapidement à un accord, contre l’introduction d’un traitement inégalitaire des citoyens, contre l’instauration d’une reconstruction à deux vitesses du pays. La très grande majorité des Maliens s’est ralliée à la nécessité de concessions pour que le pays se donne une chance de construire la paix. Mais cette acceptation n’a en rien réduit la puissance des soupçons nourris par le citoyen lambda. Ce dernier reste profondément persuadé que les vrais compromis lui ont été partiellement dissimulés et que l’avenir lui réserve de très désagréables révélations. Contre ce sentiment diffus de défiance, les autorités n’ont d’autre antidote qu’un recours constant à une pédagogie intelligente et surtout à une information régulière et détaillée sur les différentes étapes à de la mise en œuvre.
DEUX MESURES MÉRITOIRES. Ce point nous amène au troisième embarras qu’avait eu à affronter le gouvernement malien dans la très difficile conjoncture de l’après Pacte national. L’Exécutif de l’époque avait choisi, entre 1992 et 1994, d’observer un double black out. Il s’était abstenu de répliquer à la relation parfois très discutable des faits à laquelle se livraient certains médias occidentaux. Et il se dispensait de donner des informations sur les attaques qui s’étaient succédées à un rythme affolant après la cérémonie du 12 avril 1992. Les autorités craignaient que l’annonce des agressions à répétition (que les MFUA se sont bien gardé de condamner) ne mettent en danger les communautés arabe et touarègue établies dans les villes du Sud. Malheureusement – et comme cela était prévisible -, l’embargo gouvernemental produisit l’effet inverse de celui recherché. La presse privée, en l’absence d’une version officielle des événements, relayait les informations sur les agressions fournies par les associations des ressortissants du Nord, informations inévitablement marquées par des exagérations et des approximations.
En outre, les titres privés diffusaient largement deux thèses de plus en plus partagées par les populations. La première était que face à la montée de l’insécurité, l’autodéfense devenait une réponse incontournable. La seconde soutenait mordicus l’existence d’une « cinquième colonne » présente dans toutes les grandes villes maliennes et qui y préparait l’entrée des rebelles. Certains de nos lecteurs se souviennent à cet égard des assauts maintes fois annoncés du FIAA sur Bamako. La spirale déclenchée par la pratique de l’embargo fut interrompue par l’arrivée en octobre 1994 de Boubacar Sada Sy au département chargé de la Défense. Le nouveau ministre prit deux mesures méritoires. Tout d’abord, l’autorisation fut donnée au Bureau de presse des armés (actuelle Direction de l’information et des relations publiques des armées) de signaler toutes les attaques et d’insister sur les mesures prises pour renforcer la sécurité.
Ensuite, une rencontre avec les directeurs de publication et de radios FM de Bamako pour exprimer sa préoccupation devant la diffusion de rumeurs sans fondement et de propos appelant à la violence contre certaines ethnies. Le ministre annonçait son intention de poursuivre désormais en justice tout média qui se ferait le relais de ces types de contenu. Les initiatives de Boubacar Sada Sy constituaient les premiers signes d’un revirement stratégique dans la communication institutionnelle du Mali qui adopta un ton plus offensif dans le rétablissement de la vérité des faits avec notamment la montée en première ligne de Ibrahim B. Keïta et une intense activité diplomatique déployée par le parlement malien.
En ce qui concerne le proche avenir, le gouvernement entamera certainement à partir du 20 juin une entreprise de communication à mener avec un extrême doigté. Car il aura autant à combattre les rumeurs et les inexactitudes qu’à briser patiemment le noyau des préventions. Il aura également à se montrer autant réactif que persuasif. Il s’agit, en effet, plus d’explications à donner que de convictions à asséner. Afin de faire convaincre définitivement nos compatriotes que le prix payé pour la paix n’est jamais allé jusqu’à la braderie de ce qui nous fait vivre comme une nation debout.
G. DRABO
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