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LE PLUS. Après plus d'un an de négociations, le dernier mouvement de la rébellion à dominante touareg du Nord du Mali a signé un accord de paix, baptisé l'accord d'Alger. Le conflit qui embrase le pays va-t-il pour autant prendre fin ? Quelles sont les solutions pour sortir de la crise ? Décryptage de Myriam Arfaoui, étudiante en Relations internationales et diplomatie.
Édité par Anaïs Chabalier Auteur parrainé par Olivier Hanne
Ibrahim Boubacar Keita et Mahamadou Djery Maiga lors de la signature de l'accord d'Alger, le 20 juin 2015 (H.KOUYATE/AFP).
Le 20 juin 2015, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) joint sa signature aux accords de paix malienne. Jusque-là, les négociations ont été rythmées par des blocages successifs qui interrogent leur efficacité. Quelles sont les raisons de cet aboutissement tardif et les failles de ses conclusions ?
Cet accord confère au dialogue inter-malien un nouvel élan. En ce sens, il ne doit pas être abordé comme une finalité en soi, mais comme le précurseur d’une dynamique plus vaste, ouvrant le champ à une discussion intra-malienne profonde et proactive.
Dès lors, il s’agit d’un accord paradoxal, à la fois tardif et précipité. Malgré quelques concessions accordées aux membres de la CMA, le texte apporte à des problématiques latentes profondes des solutions rapides de surface. Et d’interroger, s’agit-il d’un accord efficace porté par la volonté réelle des signataires, ou bien d’un accord de conjoncture guidé par la pression de la diplomatie internationale et l’enlisement de la violence ?
Le dialogue politique est nécessaire
La rébellion de 2012 s’inscrit dans la continuité des mouvements politico-militaires touareg qui agitent épisodiquement le Mali depuis son indépendance [1].
La chute de Mouammar Kadhafi et l’avantage matériel conféré par son arsenal militaire [2] permet au Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) de s’imposer face à une armée malienne déliquescente.
Le 22 mars 2012, un coup d’État destitue le président Amadou Toumani Touré [3]. Alors que le 6 avril, le MNLA déclare unilatéralement l’indépendance de la région [4]. Cette détonation permet la concentration d’un amas belligène confus qui nécessite d’être disséqué.
La nature des groupes armés en interaction dans la zone doit être interrogée afin de rendre les solutions envisagées pour la sortie de crise pertinentes. Dès lors, si pour les groupes de l’islam radical des mesures militaires rapides s’imposent, pour les groupes irrédentistes touareg le dialogue politique est un préalable nécessaire à toute pacification malienne.
L'impasse des négociations se cristallise
Sous médiation burkinabée les accords de Ouagadougou, en juin 2013, permettent de mettre en place des élections présidentielles et législatives. Élu en août 2013, Ibrahim Boubacar Keïta contribue au moins institutionnellement à résorber l’instabilité politique et engager un processus de paix viable [5].
L’Algérie, familière des accords inter-maliens, devient le chef de file des négociations. Les discussions entre le gouvernement de Bamako et les groupes armés touareg débutent le 16 juillet 2014 et progressent lentement, mais finissent par se confronter à un nouveau blocage dès février 2014 [6]. L’impasse des négociations semble se cristalliser et pourrait à long terme empêcher l’instauration d’une paix durable.
Cette impasse interroge l’efficacité des solutions mises en place : il ne s’agit plus seulement de soigner les symptômes d’une plaie gangrenée, mais de l’appréhender en elle-même, à son origine. Dès lors, le processus de sortie de crise doit-il se limiter à l’urgence de la déflagration ?
Penser la paix dans le sens d’un rétablissement semble vain, voire dangereux, puisqu’aucune solution pertinente n’a été apportée à la problématique touareg par le passé. Les négociations sont principalement axées sur des soins de surface, négligeant la persistance d’une fracture politique et sociale profonde.
Or, il n’est pas seulement question de retourner à un état de paix fébrile et perturbé susceptible d’imploser à la moindre secousse, mais de créer véritablement la paix malienne en prenant compte des écarts et divergences à l’origine de la conflictualité.
D’une part, le pacte civil doit s’établir entre l’État et les populations pour réaffirmer son utilité et éradiquer la violence illégitime. D’autre part, entre les populations elles-mêmes à travers notamment la réconciliation sociale et l’apaisement du climat de tensions et de suspicions. La médiation internationale encline à trouver des solutions rapides tend à imposer des textes dans lesquels les groupes armés touareg ne se reconnaissent pas.
Dès lors, le dialogue se bloque et la violence subsidiaire persiste. Ce cercle vicieux nécessite d’interroger les raisons de l’impasse : quels dysfonctionnements, quels écarts freinent la paix malienne ?
Des solutions déjà envisagées par le passé
La médiation internationale instaure un dialogue entre les groupes armés touareg et le gouvernement de Bamako. Or, les accords qui découlent des négociations reprennent des solutions déjà envisagées par le passé, sans véritablement les approfondir :
"Par exemple, sans mécanisme de transfert réel des ressources, la décentralisation débouchera sur une impasse." [7]
La décentralisation est envisagée comme compromis à la jonction de deux tendances : une aspiration fédéraliste touareg et une aspiration unitaire de l’État malien. Les négociations actuelles reprennent cette solution des précédents accords inter-maliens, en tentant de lui donner un retentissement plus convaincant [8].
Or, les solutions du passé se sont de fait avérées inefficaces, en témoignent les rébellions touareg successives des années 1990 à 2009 [9]. Ainsi, l’un des principaux blocages résulte de cette tendance à l’anachronisme : c’est-à-dire, appliquer d’anciennes recettes là où les populations aspirent à un véritable changement.
La multiplicité des groupes en action empêche une vision claire des parties aux négociations. Les groupes armés touareg n’ont pas tous les mêmes aspirations. En outre, la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) ne représente pas toutes les populations du nord-Mali.
Or, d’une part, cette disparité conduit à un foisonnement de mouvements encore trop engagés dans des intérêts propres, peu représentatifs, et souvent en conflit. Et d’autre part, elle bloque le dialogue, notamment avec les groupes considérés comme opposés, voire ennemis :
"La CMA se refuse toujours à négocier avec les groupes de la Plateforme qu’elle considère comme des supplétifs armés du gouvernement." [10]
Quant aux accords en eux-mêmes, ils ne traitent pas de la nature des groupes armés non-étatiques : sont-ils criminels ? Radicaux ? Irrédentistes ? Des milices de l’État ? Il est d’autant plus difficile de les définir puisqu’ils se réunissent conjoncturellement, indépendamment de leurs finalités propres, par soucis d’opportunité et d’efficacité.
Instaurer le rôle essentiel de l’État
Si la question touareg nécessite un changement profond qui doit être pensé sur le long terme, l’engagement international fait prévaloir des solutions de court terme axées sur un rétablissement rapide de l’ordre et de la sécurité régionale :
"En privilégiant ainsi une perspective sécuritaire de court terme sans avoir un soutien franc des parties, les partenaires du Mali achètent au mieux un court répit mais ratent l’occasion de poser les fondations d’un changement politique réel au nord du Mali." [11]
Le dialogue inter-malien est un préalable nécessaire, mais insuffisant. Ab extra, c’est un dialogue intra-malien qui s’impose : les Maliens doivent participer à la construction de la paix dans leur propre pays, puisque des accords dans lesquels les parties ne se reconnaissent pas deviennent des coquilles vides.
Or, le blocage résultant du caractère impersonnel des accords conduit les groupes armés à des choix alternatifs. Pour faire entendre leur voix, la violence devient un moyen d’expression privilégié et se perpétue.
Ces lacunes sont en partie le fait de dissensions plus profondes. D’une part, un désaccord vertical entre l’État et les populations : il est nécessaire de rétablir l’utilité de l’État et le monopole de la violence pour mettre un terme aux exactions. D’autre part, un dissentiment horizontal entre les populations elles-mêmes : les oppositions au sein de l’État sont le produit d’une réconciliation historique manquée depuis les indépendances.
Restaurer l’utilité et le rôle exclusif de l’État est une variable fondamentale de la résolution du conflit. Notamment parce qu’il doit devenir un support objectif au dialogue intra-malien, suffisamment fort pour contenir la violence et éviter la radicalisation :
"Les négociations auraient dû se focaliser sur la manière d’améliorer concrètement la capacité de la puissance publique à fournir aux populations les services qu’elle attend." [12]
Or, la question de l’État malien est à la fois le centre névralgique de la conflictualité et la solution à la pacification des rapports humains. Là où la médiation internationale donne la priorité à l’ordre et la sécurité régionale, l’impasse des négociations pose les prémices d’une interrogation plus profonde : comment rétablir le pacte civil et instaurer le rôle essentiel de l’État ?
Une succession de blocages non résolus
La cristallisation de la frustration, la réconciliation manquée entre les populations maliennes, contribue largement à l’instabilité politique du pays :
"Si la pauvreté, l’islamisme radical et la criminalité sont pointées du doigt comme les causes principales de l’implosion de l’État malien, ils ne doivent pas occulter une réalité géopolitique : la revendication de l’identité touareg, et derrière elle, la question berbère." [13]
La rencontre entre les deux mondes arabo-berbères et soudaniens dans un même cadre politique constitue une concurrence de temporalité, une opposition entre deux perceptions de l’histoire. Les Touareg sont réticents à l’idée d’être intégrés à un État exclusivement dominé par des peuples qu’ils tenaient en infériorité [14].
Or, les nouvelles institutions déplacent la conflictualité sur l’arène politique entre les descendants soudaniens d’une histoire apophatique construite sur le rejet de l’esclavage et de la domination et les héritiers nostalgiques d’empires musulmans conquérants. L’État ne résorbe pas ce conflit identitaire sous-jacent, alors même que la réconciliation semble être un préalable nécessaire à la sortie de crise malienne [15].
L’impasse des négociations maliennes semble être le résultat d’une succession de blocages plus ou moins profonds outrepassés sans être dépassés ni résolus. Dans une sorte de rapport réciproque de causalité, la stérilité du débat verbal entraîne la violence expressive et la violence armée oblige la médiation internationale à trouver des solutions rapides souvent superficielles qui ne résolvent pas le fond du problème.
Or, cette impasse entretient un contexte combustible qui peut conduire à la détonation chaque fois que l’islam radical et le djihad se loge dans les ruptures politiques et se pose en solution alternative ou de lassitude. La dynamique cyclique des rébellions touareg interroge l’efficacité des modes de gestion de crise mis en œuvre jusqu’à présent :
"À Alger, il aurait fallu trouver un meilleur compromis entre ordre et changement." [16]
Et au cœur de cette impasse, c’est la problématique de l’État défaillant qui se pose : comment substituer à la succession des phases de rupture violente le principe de continuité et de pérennité de l’État pacificateur ?
[1] En 1962 des touaregs Ifoghas opposés à l'autorité du président Modibo Keita se rebellent dans la région de Kidal. Cette rébellion se solde par la mise sous surveillance militaire du nord du pays. En 1990, la contestation reprend au Mali et au Niger. Elle s'achève en 1996 par la cérémonie symbolique de la flamme de la paix et la signature d'un Pacte national. Cet accord prévoit notamment une meilleure intégration des Touareg dans la société malienne. En 2006, des groupes armés touaregs se rebellent à Kidal et Ménaka. La médiation algérienne conduit à la signature des Accords d'Alger. De 2007 à 2009, les insurrections se poursuivent au Mali et au Niger. Elles s'achèvent par la signature d'un cessez-le feu en octobre 2009.
[2] "Kadhafi ayant fait ouvrir les arsenaux dans toutes les villes de Libye, des convois importants d’armes sont organisés vers le théâtre d’opération malien qui ne tardera pas à s’embraser", O CDE/CSAO (2014), "Un atlas du Sahara-Sahel : Géographie, économie et insécurité", Cahiers de l’Afrique de l’Ouest, Editions OCDE, p.200
[3] Le coup d’État militaire du 22 mars 2012 est mené par Amadou Haya Sanogo. Il est en partie une réponse à la corruption et la passivité dont fait preuve le gouvernement et l'armée malienne face à l'intensification du mouvement touareg dans le nord du pays.
[4] "Déclaration d’indépendance de l’Azawad", Mouvement National de Libération de l’Azawad, 6 avril 2012.
[5] Les élections sont encore marquées par des réflexes ethniques. Par exemple, alors qu’Ibrahim Boubacar Keïta, qui connait très peu le nord du pays, est soutenu par la majorité des Bambaras du sud, son rival Soumaïla Cissé est majoritairement soutenu par les Songhaï du nord.
[6] International Crisis Group, "Mali : la paix à marche forcée ?", Rapport Afrique n°226, Dakar / Bruxelles, 22 Mai 2015, p.1.
[7] International Crisis Group, "Mali : la paix à marche forcée ?", op. cit. p.1.
[8] "Modibo Keita a fait savoir qu’une "décentralisation très poussé et une régionalisation" du Mali ont été proposées dans le cadre de la deuxième phase des négociations de paix à Alger", BENAKLI, Nadia, "Crise Malienne, le président Keita pour une décentralisation très poussée."
[9] Par exemple, le Pacte national du 12 avril 1992 prévoyait une décentralisation et un statut particulier pour les régions du nord. Or, cela n’a pas empêché la reprise des hostilités quelques années plus tard.
[10] International Crisis Group, "Mali : la paix à marche forcée ?", op. cit. p.5.
[11] Ibid., p.6.
[12] International Crisis Group, "Mali : la paix à marche forcée ?", op. cit. p.4.
[13] FIORINA, Jean-François, "Le Mali au bord du gouffre, retour sur la menace islamiste au Sahel", "CLES- Comprendre les enjeux stratégiques".
[14] Certaines populations touareg faisaient le commerce des esclaves.
[15] "Tous les partis nationalistes – et l’indépendance – se sont construis sur un mensonge : l’occultation de la question sociale.", BAYART, Jean-François, "Les anciens esclaves constituent la base du djihadisme", Le Un, n°43, février 2015.
[16] International Crisis Group, "Mali : la paix à marche forcée ?", op. cit. p.4.
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