supplice de Tantale
Mohamed Houday
Comme je le prédisais dans ma dernière contribution, les lignes ont bougé du côté d’Alger et les Maliens sont bien heureux d’accueillir une signature que nous voulons définitive, de l’Accord d’Alger, le 20 juin prochain. L’évènement historique que nous sommes bien heureux de célébrer est surtout dû à notre clairvoyance, à notre patience, à notre constance dans les circonstances les plus tragiques et à notre détermination à sauver à tout prix ce qui nous uni et qui constitue le socle même de notre existence, c’est-à-dire une harmonieuse coexistence dans un Mali uni et divers, débarrassé de toute propension irrédentiste et séparatiste.
Nous aurons connu toutes les péripéties, traversé toutes les épreuves, subi toutes les humiliations et fait l’objet de tous les chantages, mais enfin, nous voilà, au bout du tunnel. Qu’Allah soit loué ! Nous souhaitons vivement que cette fois-ci, nous scellerons une paix définitive, vraie et qui résistera à toutes les supercheries et autres duplicités aux relents meurtriers qui ont mis à rude épreuve notre existence en tant qu’Etat-nation. Aujourd’hui, comme par enchantement et en prélude à l’Accord, tous nos regards sont tournés vers cette citadelle mythique, fief des grands guerriers Ouillimiden qui ont su opposer une résistance farouche, déterminée, voire pathétique à tous les envahisseurs, y compris le puissant colonisateur français. C’est donc fort logiquement que Menaka s’est subitement invitée dans la tourmente et dont le statut semble conditionner la suite des négociations pour aboutir à la paix. Sa position géostratégique-stratégique et son histoire politique cristallisent toutes les convoitises.
Les événements et les opérations militaires qui s’étendaient jadis sur tout le septentrion se sont fortement focalisés ces derniers temps sur cette localité blessée, excavée et qui porte encore aujourd’hui ses meurtrissures. Ses dignes fils, parce qu’ils n’ont pas accepté pactiser avec le diable, ont payé de leur vie. Ultime sacrifice dans l’honneur et la grandeur. Les descendants de Firhoun, et non d’infime lignage, dépositaires d’une autorité locale fortement établie et qui ne souffre d’aucune contestation, ont été, dans bien de cas, des victimes expiatoires, crucifiés sur l’autel de la barbarie. Aujourd’hui, cette localité martyre ne doit sa consolation qu’à l’un de ses rares fils encore en vie – et je lui en souhaite pour longtemps – l’honorable Bajan Ag Hamatou qui n’a jamais accepté la compromission et a choisi de vivre dans un Mali uni dans sa diversité socioculturelle. Mais diantre ! Pourquoi Ménaka suscite-t-il un tel regain d’intérêt et pourquoi est-il devenu l’épicentre de tous les crimes ? La réponse est bien simple et l’allure des événements, ces derniers temps, est bien plus qu’édifiante pour que nous en tirons les appréciations suivantes :
1- Nul besoin d’être un expert en géostratégie pour savoir que le centre de commandement opérationnel du Sahel de Barkane a facile accès au nord du Mali par Ménaka. Les connivences de Barkane avec l’aile militaire de la CMA relèvent du secret de polichinelle. Nous faisons, nous aussi à l’Opération Barkane, un clignement amical empreint de gratitude pour tout ce qui est entrepris pour nous assurer paix et sécurité dans le Sahel. Les Maliens n’oublieront jamais l’acte fraternel posé par la France lorsque nous étions en proie à la montée des périls, notamment en ce début d’année 2013. Tout comme nous n’oublierons jamais tous les Français morts pour que nous soyons délivrés du rouleau compresseur et de l’étau qui se resserrait dangereusement autour de nous.
Mais nous exigeons, comme je l’ai toujours dit, un traitement à hauteur de notre franche reconnaissance. Nous estimons qu’il en sera ainsi dans le traitement futur du délicat et sempiternel problème dit du Nord. Nous avons nos convictions et nous savons apprécier en toute lucidité la qualité de nos rapports avec les amis qui nous veulent du bien.
2-La localité de Ménaka est une plaque tournante très convoitée des narcotrafiquants qui ont des facilités pour accéder au Temasna. Autrement, celui qui contrôle Ménaka contrôle aussi un pan important du corridor par lequel transite la cocaïne, source de tous nos malheurs depuis que la pègre algérienne a fait du nord du Mali un no man’s land, sanctuaire du crime organisé et de la rapine.
3- Cette même position géostratégique favorise la circulation entre le Nord du Mali et la frontière du Burkina Faso, autre sanctuaire de la CMA et de ses satellites. C’est par là que les blessés sont évacués pour recevoir des soins au Burkina, c’est aussi par là qu’on accède aux camps des réfugiés qu’on instrumentalise à coups d’artifices et de propagande à fin de les rallier aux besoins de la cause. Les récents événements qui ont endeuillé la localité de Misseni dans l’extrême sud du pays sont bien révélateurs. Ménaka est une passoire. Et nous avons intérêt à ce que cette zone soit dans de bonnes mains. Notre salut est à ce prix, sinon, nous courrons des dérives et des dangers certains. Au Nigeria, le malheur est parti de cette donne.
3- Ménaka est aussi, en prévision du futur découpage politico-administratif, un enjeu démographique certain, après la zone du fleuve. Les futurs politiques en tireront une légitimité certaine.
C’est bien parce que Ménaka est un enjeu qui fait appel à tous les sacrifices que cette localité a connu, fait rarissime, un affrontement matricide qui s’est soldé en avril 2015 par un bilan d’une femme tuée et de neuf blessées graves. Telle est la conséquence d’une instrumentalisation d’un conflit, à l’origine motivé par des revendications territoriales et identitaires et qu’on a cru devoir en toute bassesse ramener à des affrontements entre les maillons essentielles de notre communauté, c’est-à-dire les femmes ; nos sœurs et nos mères.
Cette situation surréaliste a naturellement abouti à des accrochages violents entre les éléments de la plateforme à travers le GATIA et ceux de la CMA, le 27 avril 2015. En moins d’une heure, la CMA, qui avait un dispositif de 15 véhicules, ce jour-là, avait été défaite et contrainte d’abandonner Ménaka où elle avait établi une partie de son poste de commandement opérationnel depuis mai 2014.
La CMA, qui ne s’est visiblement pas remise de son éviction de Ménaka remettra ça, et le 28 avril c’est bien requinquée qu’elle attaquera les positions de la Plateforme à Intadéini. Mais les choses tourneront court,19 véhicules équipés de la CMA seront saisis, dont 5 issus de l’arsenal français sont des véhicules de commandement des principaux chefs militaires de la CMA formés et équipés par les forces spéciales françaises – peut-être pour traquer les jihadistes et non pas pour nous combattre – mais ils en firent ce jour, un tout autre usage, certainement approprié à la situation.
La CMA, qui avait en prévision préparé, une vigoureuse riposte en cas d’attaque suite à l’anniversaire du 21 mai 2014 qui s’est soldé par la prise de Kidal par la CMA et ses alliés et la mort du Colonel Fayçal Ag Kiba, avait anticipé pour attaquer les positions de la Plateforme, le 15 mai 2015 à Inkadawen, au moment même où l’on signait la paix à Bamako. Sans succès.
Dans la même logique, le 21 mai 2015, la CMA, appuyée par les redoutables éléments d’Ançar Eddine toujours prêts à secourir, échafaudèrent un infaillible plan d’attaque pour venir à bout des teigneux combattants de la plateforme. Ceux-ci tiendront leur position toute la journée du 21 mai jusqu’à la tombée de la nuit, malgré la supériorité numérique des forces en face. Conscients de cette situation constatée et sûrs d’être attaqués nuitamment, ils firent un léger recul tous phares éteints, la nuit. Leur position initiale, conformément à leur prévision, a été reprise par certains éléments d’Ançar Eddine, arrivés à la rescousse au dernier moment. C’est ainsi que ceux-ci ont été pris pour cible par la CMA et, dans la confusion ambiante, Ançar Eddine travaillera sans le savoir pour le compte de la Plateforme. Cette situation rocambolesque et pénible à relater a été favorisée par la mort d’Abdoulkarim le Targui et de Ibrahim Ag Inawelen dit Bina. Ceux-ci coordonnaient, en effet, toutes les opérations militaires qui engageaient les éléments d’Ançar Eddine sur le terrain.
Voilà pour les derniers événements sur le terrain et qui ont précipité, à coup sûr, la reprise des dernières consultations d’Alger. La guerre a fait ses limites et les lendemains ne sont guère reluisants avec l’intervention téméraire des forces patriotiques de la Plateforme. Celles-ci auront joué un rôle déterminant dans l’aboutissement d’un long processus et il faut savoir les impliquer à hauteur du respect qu’elles imposent. La forte pression exercée sur nos politiques et le chantage récurrent auquel ils sont soumis depuis belle lurette rendaient leur manœuvre étroite. Aujourd’hui, c’est la plateforme et, à travers elle, le GATIA qui fait l’objet de pression pour signer un Accord aux contours incertains. Nous signerons quand bien même nous aurons vu beaucoup d’eau couler sous le pont.
Houday Ag MOHAMED, Direction Régionale Travail Bamako
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