21/05/2012 à 13:56
Crise malienne: le Burkina, clef ou verrou?
Une communauté occidentale unanime exalte le rôle du Burkina Faso dans la crise malienne. Le revers de la médaille sera-t-il pour les Burkinabè?
Bien malin celui qui sait quand et comment sera dénoué l’écheveau malien. La solution viendra-t-elle du Burkina Faso, ce pays voisin qui fait figure de «médiateur tout terrain»?
C’est à Ouagadougou que furent signés des accords inter-togolais, ainsi que les derniers accords inter-ivoiriens. Ce sont soixante-dix Burkinabè qui ont constitué, jeudi 17 mai, les premiers éléments de la force militaire de la communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) enGuinée-Bissau. C’est encore le président du Burkina, Blaise Compaoré, qui est médiateur dans la crise malienne.
La tâche reçoit d’autant plus de soutien international qu’elle est épineuse. Au mois de mars, le président burkinabè, déjà désigné médiateur, est contraint de faire demi-tour, en plein vol, alors qu’il se rend à Bamako. Des manifestants pro-junte occupaient le tarmac de l'aéroport où il devait atterrir.
Il est discrètement conseillé par Moustapha Ould Limam Chafi, ressortissant mauritanien contre lequel le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a lancé unmandat d’arrêt pour «financement du terrorisme, intelligence avec des groupes terroristes et appui logistique et financier à des groupes terroristes en activité dans le Sahel». Règlement de compte mauritano-mauritanien? Toujours est-il que Chafi, conseiller de longue date de Blaise Compaoré, est l’atout du Faso dans les contacts avec les islamistes du Nord-Mali.
En août 2010, il contribue à faire libérer les otages espagnols Roque Pascual et Albert Vilalta. Puis il se fait plus discret, au profit de Diendéré. Le 17 avril dernier, sur la base aérienne de la capitale burkinabè, le général débarque avec l’Italienne Mariani Mariasandra, captive du groupe Abou Zaid depuis le 2 février 2011. Le 24 avril, il ramène la Suisse Béatrice Stockly, enlevée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) le 15 avril, à Tombouctou, puis cédée au groupe Ansar Dine.
L’ancienne puissance coloniale, en particulier, ne tarit pas d’éloge sur ce petit pays sahélien qui joue dans la cour des grands. En avril, c’est le ministre de droite Alain Juppé qui félicite
L’action du pays des Hommes intègres fait-elle pour autant l’unanimité? Des voix discordantes se font entendre ici ou là, comme celles de gbagboïstesexilés qui soutiennent que le président burkinabè participerait à la déstabilisation du Mali comme il aurait déstabilisé la Côte d’Ivoire, dix ans auparavant, lorsque les rebelles ivoiriens préparaient leur tentative de coup d’État à Ouagadougou.
Mais les voix les plus inquiètes viennent du cœur du Burkina. La plupart des citoyens burkinabè ressentent de la fierté à l’écoute des éloges internationaux suscités par leurs dirigeants. Mais le dossier malien inquiète plus que les autres. Pas seulement parce que la trop grande bienveillance de l’ancien putschiste Compaoré à l’égard de la junte malienne expliquerait l’entêtement du capitaine Amadou Sanogo, aigri, à ne pas se mettre en réserve de la république. Pas uniquement parce que la situation du Nord-Mali jette sur les routes du Faso des milliers de réfugiés maliens, à une époque où se profile une grave crise alimentaire…
«Celui qui aime le miel se fera tôt ou tard piquer par une abeille»,prévient l’opposant burkinabè Arba Diallo, arrivé en deuxième position à l’issue de la dernière élection présidentielle. La libération d’otagesest-elle moins à mettre sur le compte de rançons dont pourrait, sous forme de commissions, bénéficier le pouvoir burkinabè que sur le compte de «liaisons dangereuses» avec les islamistes? La proximité avec les ravisseurs ne frisera-t-elle pas un jour la complicité?
Face à de telles interrogations, le Premier ministre burkinabè Luc Adolphe Tiao, droit dans ses bottes, dénonce les «supputations de salon» de «jaloux» du succès du président du Faso. Difficile de répondre à un argument aussi mature…
Damien Glez
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Le Mali peut-il s'en sortir?
C’est à Ouagadougou que furent signés des accords inter-togolais, ainsi que les derniers accords inter-ivoiriens. Ce sont soixante-dix Burkinabè qui ont constitué, jeudi 17 mai, les premiers éléments de la force militaire de la communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) enGuinée-Bissau. C’est encore le président du Burkina, Blaise Compaoré, qui est médiateur dans la crise malienne.
La tâche reçoit d’autant plus de soutien international qu’elle est épineuse. Au mois de mars, le président burkinabè, déjà désigné médiateur, est contraint de faire demi-tour, en plein vol, alors qu’il se rend à Bamako. Des manifestants pro-junte occupaient le tarmac de l'aéroport où il devait atterrir.
Libération des otages
Le conciliateur «refoulé»se cantonne alors à recevoir les différents protagonistes à Ouagadougou et déploie ses deux principaux lieutenants sur le terrain malien. Au Sud, son bras droit politique, le patient Djibril Bassolé, ministre burkinabè des Affaires étrangères, fait office de représentant du médiateur de la CEDEAO. Au Nord, son bras droit militaire, l’insondable général Gilbert Diendéré, chef d'état-major particulier de la présidence, part sur la piste des otages occidentaux.Il est discrètement conseillé par Moustapha Ould Limam Chafi, ressortissant mauritanien contre lequel le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a lancé unmandat d’arrêt pour «financement du terrorisme, intelligence avec des groupes terroristes et appui logistique et financier à des groupes terroristes en activité dans le Sahel». Règlement de compte mauritano-mauritanien? Toujours est-il que Chafi, conseiller de longue date de Blaise Compaoré, est l’atout du Faso dans les contacts avec les islamistes du Nord-Mali.
En août 2010, il contribue à faire libérer les otages espagnols Roque Pascual et Albert Vilalta. Puis il se fait plus discret, au profit de Diendéré. Le 17 avril dernier, sur la base aérienne de la capitale burkinabè, le général débarque avec l’Italienne Mariani Mariasandra, captive du groupe Abou Zaid depuis le 2 février 2011. Le 24 avril, il ramène la Suisse Béatrice Stockly, enlevée par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) le 15 avril, à Tombouctou, puis cédée au groupe Ansar Dine.
Eloges internationaux, critiques régionales
Les chancelleries internationales saluent qui «la diplomatie émergente» du pays des Hommes intègres, qui la «dynamique insufflée patiemment par le président du Faso».L’ancienne puissance coloniale, en particulier, ne tarit pas d’éloge sur ce petit pays sahélien qui joue dans la cour des grands. En avril, c’est le ministre de droite Alain Juppé qui félicite
«en particulier (…) le médiateur, le président du Burkina Faso, monsieur Blaise Compaoré, ainsi que son représentant, le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, M. Djibril Bassolé, pour le travail accompli».En mai, résultat de l’élection présidentielle oblige, c’est un député socialiste qui s’y colle, en attendant que François Hollande et Laurent Fabius finissent de faire connaissance avec leurs homologues. Sur les chaînes internationales, François Loncle –président, il est vrai, du groupe d'amitié parlementaire France-Burkina Faso à l'Assemblée Nationale française– encense l’ancienne Haute-Volta pour le rôle qu’elle joue dans le conflit malien.
L’action du pays des Hommes intègres fait-elle pour autant l’unanimité? Des voix discordantes se font entendre ici ou là, comme celles de gbagboïstesexilés qui soutiennent que le président burkinabè participerait à la déstabilisation du Mali comme il aurait déstabilisé la Côte d’Ivoire, dix ans auparavant, lorsque les rebelles ivoiriens préparaient leur tentative de coup d’État à Ouagadougou.
«Liaisons dangereuses» avec les islamistes
Selon ces partisans de l’ancien régime d’Abidjan, le gouvernement malien de transition aurait été composé par Compaoré lui-même. Ils en veulent pour preuve la nomination du conseiller diplomatique du chef de l’État burkinabè, Sadio Lamine Sow, à la tête de la diplomatie malienne. Cheick Modibo Diarra, lui-même, «frère» franc-maçon de Compaoré et de Sow, n’est-il pas, depuis longtemps, un lobbyiste acharné du président du Faso?Mais les voix les plus inquiètes viennent du cœur du Burkina. La plupart des citoyens burkinabè ressentent de la fierté à l’écoute des éloges internationaux suscités par leurs dirigeants. Mais le dossier malien inquiète plus que les autres. Pas seulement parce que la trop grande bienveillance de l’ancien putschiste Compaoré à l’égard de la junte malienne expliquerait l’entêtement du capitaine Amadou Sanogo, aigri, à ne pas se mettre en réserve de la république. Pas uniquement parce que la situation du Nord-Mali jette sur les routes du Faso des milliers de réfugiés maliens, à une époque où se profile une grave crise alimentaire…
«Celui qui aime le miel se fera tôt ou tard piquer par une abeille»,prévient l’opposant burkinabè Arba Diallo, arrivé en deuxième position à l’issue de la dernière élection présidentielle. La libération d’otagesest-elle moins à mettre sur le compte de rançons dont pourrait, sous forme de commissions, bénéficier le pouvoir burkinabè que sur le compte de «liaisons dangereuses» avec les islamistes? La proximité avec les ravisseurs ne frisera-t-elle pas un jour la complicité?
Face à de telles interrogations, le Premier ministre burkinabè Luc Adolphe Tiao, droit dans ses bottes, dénonce les «supputations de salon» de «jaloux» du succès du président du Faso. Difficile de répondre à un argument aussi mature…
Damien Glez
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