Un an bientôt qu'il a renversé Amadou Toumani Touré. Un an qu'il promet de se mettre en retrait, puis de se battre pour son pays. Un an qu'il joue de son influence pour rester au centre du jeu, lui, le capitaine putschiste, Amadou Haya Sanogo, que la République du Mali peine à écarter.
Mais qu'on lui donne des armes, s'énervait-il en juin dernier dans les colonnes de Jeune Afrique. On allait voir ce qu'on allait voir ! Le temps a passé... et on n'a rien vu du tout. Le capitaine Amadou Haya Sanogo avait beau jurer que sa place était au front, il est toujours au camp militaire de Kati, à l'exact endroit où il s'est installé au lendemain du coup d'État contre Amadou Toumani Touré (ATT), le 21 mars 2012. Et pour Idriss Déby Itno, dont les hommes ferraillent depuis le 5 février dans le Grand Nord (27 d'entre eux ont été tués, le 22 février, dans le massif des Ifoghas), sans doute la pilule est-elle dure à avaler. « Soldats maliens, a lancé le président tchadien le 27 février lors du dernier sommet de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), votre place est au front pour accomplir votre devoir de protection des populations ! »Le capitaine Sanogo paraît surtout prendre ses aises au coeur du pouvoir. Le 13 février, il a officiellement été investi à la tête du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité, à Bamako. Bien loin des combats qui font rage aux confins du pays.
Ce jour-là, tout le gratin de la République, en tenue des grands jours, avait répondu à l'invitation de Dioncounda Traoré, le président de la transition (certains avaient d'ailleurs fait le déplacement sans même savoir que c'était au capitaine Sanogo que l'on s'apprêtait à rendre hommage). Il y avait là, dans la grande salle de conférences du palais de Koulouba, le chef de l'État, bien sûr, mais aussi son Premier ministre, Diango Cissoko, le ministre de la Défense, Yamoussa Camara, ainsi que les présidents d'institution et les représentants des corps d'armée. Pourquoi tant d'honneurs ? Sanogo n'avait-il pas été nommé à ce poste six mois plus tôt ? À Bamako, beaucoup s'en sont agacés. « Après tous les efforts faits pour le mettre sur la touche, ce qui se passe donne envie de se frapper la tête contre les murs », peste un militant des droits de l'homme. « Pendant la cérémonie, on a perdu le compte des amabilités que le président et le capitaine se sont renvoyées, ironise un témoin de la scène. Il est clair qu'il va maintenant avoir un rôle officiel et qu'on lui devra tous les honneurs. »
Passage à tabac
De quoi faire grincer des dents ceux qui persistent à croire que le chef des putschistes a organisé le passage à tabac de Dioncounda Traoré, fin mai 2012, et que l'intervention française, le 11 janvier dernier, a permis d'empêcher un coup de force du capitaine contre le président de la transition (dont la maison avait été encerclée par des militaires dans la nuit). D'ailleurs, en privé, l'ancien chef de la junte ne se gêne pas pour critiquer Dioncounda Traoré et les caciques de l'ancien régime toujours aux affaires. « On n'a pas fait tout ça pour revenir au point de départ ! » s'est-il emporté en janvier devant un visiteur.
En attendant, le comité qu'il dirige est chargé d'élaborer un plan de réforme et de réorganisation de l'armée, de s'assurer de sa mise en oeuvre, puis d'en faire l'évaluation. On ignore tout de l'identité de ses 14 autres membres, mais Sanogo - qui a remercié Traoré de lui avoir confié cette « lourde tâche » - assure qu'il n'a « aucune vocation politique et [qu'il] ne saurai[t] se substituer à la chaîne de commandement militaire ».
En mettant Sanogo au coeur du système, on le rend lui aussi comptable de la gestion du pouvoir.Le poste équivaut-il à une mise sur la touche ? Les avis divergent. Il y a ceux qui soulignent que, bien que directement rattaché au cabinet du président, le jeune capitaine est seul maître à bord. C'est bien mieux que le poste de premier vice-président du Haut Conseil d'État que lui avait promis Traoré lors de son retour au Mali, en juillet 2012. « Mais en le mettant au coeur du système, on le rend lui aussi comptable de la gestion du pouvoir », souligne un membre de l'entourage présidentiel. Et quelles réformes Sanogo sera-t-il chargé de mener ? Quelle marge de manoeuvre aura-t-il ? Le capitaine n'a pas assisté, le 21 février, à la signature de l'arrangement technique autorisant la formation de soldats maliens par des Européens à partir d'avril. Quant au général Lecointre, le Français qui dirige la Mission d'entraînement de l'Union européenne au Mali (EUTM), il a affirmé ne pas traiter avec le capitaine... Juste ce qu'il fallait pour convaincre une partie des Maliens que cette nomination n'est rien d'autre qu'une voie de garage.
Rémunération versée au président du Comité de réforme. À Bamako, certains y voient une prime au coup d'État...
« Une voie de garage peut-être, mais une voie royale, commente un diplomate ouest-africain en poste à Bamako. Les émoluments des membres du comité [voir ci-dessus, NDLR] sont plus que confortables, et cela permet à son président de consolider son pouvoir. L'armée française finira par quitter le Mali. Sanogo, lui, restera. »Surtout, l'ex-putschiste a toujours la mainmise sur l'appareil sécuritaire. Le colonel Ibrahima Dahirou Dembélé, le chef d'état-major, est un ancien du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'État (CNRDRE), la junte. Tout comme le ministre de l'Administration territoriale, Moussa Sinko Coulibaly, qui fut son directeur de cabinet, et l'actuel directeur de la gendarmerie nationale, le colonel Diamou Keita, qui fut son conseiller (Coulibaly et Keita sont des amis de longue date du capitaine, qu'ils ont connu au Prytanée militaire de Kati). Et c'est encore Sanogo qui a nommé le patron des renseignements, Sidi Alassane Touré. « Sans compter les nombreux soutiens qu'il compte encore, argumente un journaliste malien : tous ces militaires qui ont vu leurs primes de guerre passer de 6 000 à 50 000 F CFA, tous les déçus de la classe politique traditionnelle et tous les nationalistes qui, au moindre faux pas des forces internationales, remonteront en puissance. » Le problème, conclut un haut gradé, « c'est surtout le manque de leadership politique. Sanogo profite du vide. »
Pas d'interview
À Kati, on fait mine d'ignorer toutes les interrogations quant à son influence réelle. Sur le fronton du bâtiment, le siège du CNRDRE est toujours annoncé en grandes lettres vertes peintes sur fond blanc. La mention du Comité de réforme a été ajoutée dessous et en petit. Amadou Haya Sanogo s'y fait plus discret que jamais. On l'a vu rendre visite à la troupe, à Sévaré, puis aux soldats blessés de l'hôpital Gabriel-Touré de Bamako, mais ni ses autres déplacements ni les actions du comité ne sont médiatisées. Sanogo a refusé toutes nos demandes d'interview « pour justement ne pas être accusé de s'immiscer dans la vie politique, explique l'un de ses proches. Mais le capitaine n'a pas attendu son investiture officielle pour commencer à travailler ». Et de citer, pêle-mêle, la prise en charge des blessés de guerre, la réfection de l'école primaire du camp et la centralisation des soins à l'hôpital militaire de la ville.
Le décret qui porte création du comité laisse la possibilité de prolonger son mandat au-delà des élections, prévues en juillet. À Bamako, le 13 février, Sanogo a affirmé qu'il ne souhaitait pas passer « un seul instant à la tête du comité [une fois terminée] la période de transition », mais il s'est bien gardé de dire ce qu'il ferait ensuite. Selon certaines indiscrétions, il se verrait bien entrer en politique. De là à dire qu'il se rêve un destin présidentiel à la ATT...
L'ombre du soupçon
« C'est le genre de sujet qu'il vaut mieux éviter. On est passé à tabac pour moins que ça », prévient un journaliste malien. À Bamako, on se garde bien d'évoquer ouvertement les « coïncidences » du mois de janvier. Reste qu'au moment même où les jihadistes attaquaient Konna, le 8, la Coordination des organisations patriotiques du Mali (Copam, projunte) manifestait violemment à Bamako contre le président Traoré. Même les services français ont admis qu'ils étaient troublés par les « fréquents contacts téléphoniques » qui ont eu lieu entre Ansar Eddine et les meneurs des manifestations entre le 8 et le 10 janvier. De quoi alimenter les soupçons de connivences entre les groupes armés et Oumar Mariko, leader de la Copam et fervent supporteur du capitaine Sanogo. C'est d'ailleurs lui qui, en juillet 2012, avait rencontré des représentants d'Ansar Eddine à Niafunké, avec la bénédiction du chef des putschistes. Ce dernier a-t-il encouragé des troubles, dans le Nord comme dans le Sud, pour revenir sur le devant de la scène à Bamako ? À voir. M.G.B..
« C'est le genre de sujet qu'il vaut mieux éviter. On est passé à tabac pour moins que ça », prévient un journaliste malien. À Bamako, on se garde bien d'évoquer ouvertement les « coïncidences » du mois de janvier. Reste qu'au moment même où les jihadistes attaquaient Konna, le 8, la Coordination des organisations patriotiques du Mali (Copam, projunte) manifestait violemment à Bamako contre le président Traoré. Même les services français ont admis qu'ils étaient troublés par les « fréquents contacts téléphoniques » qui ont eu lieu entre Ansar Eddine et les meneurs des manifestations entre le 8 et le 10 janvier. De quoi alimenter les soupçons de connivences entre les groupes armés et Oumar Mariko, leader de la Copam et fervent supporteur du capitaine Sanogo. C'est d'ailleurs lui qui, en juillet 2012, avait rencontré des représentants d'Ansar Eddine à Niafunké, avec la bénédiction du chef des putschistes. Ce dernier a-t-il encouragé des troubles, dans le Nord comme dans le Sud, pour revenir sur le devant de la scène à Bamako ? À voir. M.G.B..
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