"Mémoire d'un crocodile" de Amidou Mariko qui a participé en tant que sergent à la rébellion de 1963:
Chapitre 9. La culpabilité (1963).
Oui, il s'est passé des choses terribles pendant cette révolte....Je suis tombé dans une embuscade, j'ai participé à des accrochages, j'ai vu tomber des gens à mes côtés. J'ai appris à cette époque ce qu'était la guerre, et combien elle n'est pas belle. La guerre n'est jamais une bonne chose, mais celle-ci était en plus d'un genre particulier, le pire. Car il ne s'agissait pas d'un affrontement entre deux armées, en plein jour, mais d'une guérilla, d'un tourbillon de coups de mains, d'attaques obscures, de répression souvent aveugle. Dans ce type d'opération, on ne sait même pas où est l'ennemi, on finit par se méfier de tout le monde car n'importe qui peut aider et soutenir la rébellion sans qu'on le sache, déserter du jour au lendemain alors qu'on a donné sa confiance, et l'ami d'hier peut devenir sans crier gare l'ennemi du lendemain. Inversement, comme tout ce que l'on rencontre peut constituer une menace, on se retourne souvent contre des gens dont on a peur alors qu'ils sont parfaitement innocents. On cherche à comprendre par tous les moyens ce qui se passe, à obtenir des renseignements,
Donc, nous avions créé une zone interdite afin d'isoler les rebelles et les couper de la population. Cette zone n'était pas cartographiée, mais elle englobait tout le nord de l'Adagh. A l'intérieur, plus personne n'avait le droit de circuler, et tous ceux que nous y trouvions étaient appréhendés comme rebelles potentiels. Comme il fallait gêner au maximum les mouvements des révoltes, et que nous étions dans le désert, les puits étaient particulièremen
Dans ce pays où l'eau nécessaire pour la vie est si rare, nous avons fait ce travail de destruction. Nous avons bouché des dizaines de points d'eau, et nous en avions piégés tout autant. On dégoupillait une grenade, on la plaçait sous un récipient au bord du puits, ou sous une grosse pierre qu'il fallait pousser pour puiser de l'eau. Il suffisait que quelqu'un déplace le récipient ou la pierre pour que la grenade explose. Beaucoup sont morts à cause de ce procédé qui limitait les déplacements des rebelles, mais choquait aussi considérablemen
Dans la zone interdite, aucun être vivant n'avait le droit de circuler. Le commandement considérait ainsi que même les animaux n'y avaient pas leur place. Les troupeaux des nomades étaient censés avoir suivi tous ces gens qu'on avait déplacés vers les zones autorisées, autour des villages par exemple, ou dans le sud de l'Adagh. Les animaux restants étaient donc considérés comme appartenant aux rebelles ou à des familles ayant désobéi aux conjonctions de l'armée. Nous avions ordre de les abattre sur place si nous en rencontrions. Ces mois de révolte furent ceux de grands massacres d'animaux, et sur ordre. Nous en avons abattus des centaines, un véritable carnage. Les bœufs, les chameaux, les chèvres, tout le bétail rencontré dans la zone interdite était massacré. Cela faisait mal au cœur, car c'était la richesse propre de ce pays que nous avions l'ordre de supprimer. Beaucoup d'animaux cependant revenaient d'instinct à leurs zones de pâturage habituel, sans que leurs propriétaires aient décidé de désobéir. Mais qu'importe, il fallait les tuer. C'était l'avenir même de toute cette population qui disparaissait..
Ce ne fut donc pas une action propice à nous attirer l'amitié des Touaregs. Pour les nomades, les animaux sont tellement importants qu'ils les aiment souvent autant que des êtres humains. Inévitablement,
Hélas, je fi aux premiers loges de ces services. Parce que je parlais un peu le tamacheq, le lieutenant chargé d'interroger les suspects arrêtés m'avait réquisitionné comme interprète. Je devais rester dehors, près de la porte de la salle où l'on interrogeait les gens, et si un problème de compréhension se posait, j'étais appelé pour remplacer l'interprète touareg en qui les officiers n'avaient pas entièrement confiance. Je ne supportais pas des interrogatoires
Nous avions arrêté un jeune qui était considéré comme suspect. On l'avait sorti de la prison pour l'amener dans la salle d'interrogation
A partir de cette affaire, je n'ai plus été utilisé comme interprète, et pour m'éloigner, on m'a affecté à la garde des prisonniers. Je n'entendais plus ces cris insoutenables, je n'assistais plus aux interrogatoires
On a fusillé des gens tout à fait innocents. L'un d'eux s'appelait Sidammar, et c'était mon ami. C'était un homme assez âgé, qui avait été guide dans l'armée française, et l'était resté dans l'armée malienne. Il conduisait notre détachement, et je m'étais très vite lié avec lui. Il avait vu que je m'intéressais à la langue touaregeue, alors il m’apprenait beaucoup de choses, et l'on discutait longuement tous les deux. Nous étions devenue tellement proches que ce vieil Ifoghas m'avait même promis de me donner une de ses filles en mariages lorsque la rébellion serait terminée. Cet homme m'a beaucoup marqué et m'a fait comprendre tant de choses! C'est grâce à lui que j'ai réalisé que cette révolte aurait pu être évitée, parce que les rebelles étaient peu nombreux au début, mais notre action avait radicalisé de nombreuses personnes. Sidamar passait son temps à essayer de faire comprendre aux militaires qu'on pouvait arriver au but par d'autres moyens, qu'il y avait d'autre méthodes possibles, plus propres et surtout beaucoup plus efficaces. J'étais en accord avec lui, et nous en discutions longuement. Nous en arrivions aux mêmes conclusions : la brutalité et la force peuvent avoir une efficacité à court terme, mais il est certain qu'elles sont inutiles à long terme et ne font qu'aviver la haine. D'autres façons d'agir pouvaient être plus morales et auraient obtenue de meilleurs résultats ! Cet homme était très humain. Mais hélas, il a été dénoncé par quelqu'un, peut-être Elladi, sous la torture. J'avais passé six mois avec lui, nous vivons ensemble, nous mangions ensemble. Au bout de six mois, il a été arrêté, emprisonné et, très vite, il a été fusillé à Tessalit, avec son fils qui était devenu suspect à cause de son père. J'ai pleuré longtemps ce jour-là, parce que j'étais très lié avec cet homme, que je le savais incapable de nous causer du tort et que nous avions commis là une véritable injustice.
Hélas, je n'ai pas non plus réussi à éviter cela. La seul chose qu'il m’était possible de faire était user de mon influence auprès de mes camarades, leur des conseils afin qu'il se comporte différemment. Nous discutions avec franchise entre nous sur tous ces événements, et j'essayais de les convaincre. J'ai été écouté, malgré tout, et je crois avoir pu éviter certains abus, certaines erreurs. Mais j'en ai gardé un grand sentiment de culpabilité, je n'ai pas pu oublier tout ce j'avais vu, tout ce à quoi j'avais assisté. Je me suis juré qu'aucune autorité ne me ferait plus jamais faire ce qui me paraissait aller contre l'humanité. Certes, j'avais été impuissant, mais au moins, je n'avais pas trempé dans des actions que je reprouvais totalement. Cependant, cela ne suffisait pas. Je voulais racheter ce qui s'était passé pendant cette rébellion. Je ne savais pas comment, mais je sentais que ma vie étais maintenant orientée vers cette idée et qu'un jour, peut-être ayant obtenue voix au chapitre grâce à mon avancement, je pourrais agir dans le bon sens avec l’efficacité voulue. Je ne savais pas encore que les circonstances m'amèneraient, beaucoup plus tard, à mettre cette résolution en application. Mais ce sentiment était maintenant profondément ancré en moi. Pour l'instant, c'était la mort dans l’âme et le cœur serré que je quittais l'Adagh, le 2 juin 1964, pour rejoindre Kati où j'étais de nouveau affecté comme instructeur d'artillerie à l'Ecole militaire interarmes (EMIA).........
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