lundi 29 août 2016

Comment se créent les frustrations entre L'État et les Kal-Tamachaq

CommentairesComment se créent les frustrations entre L'État et les Kal-Tamachaq

Comment se créent les frustrations entre L'État et les Kal-Tamachaq.

Je n'ai pas assisté à la rébellion de 1963, je devais avoir un an lors de son éclatement. Par contre j'ai été témoin direct de celle de 1990.

A. Le 28 juin 1990.
1. À Tejarert.
La rébellion de 1990 a réellement éclaté le 28 juin 1990 à Tejarert par la prise d'un véhicule de World Vision Menaka qui faisait le suivi d'un projet agro-sylvo-pastoral initié par cette ONG sur le site. Les agents de World Vision et l'ingénieur d'agriculture qui les accompagnait au compte des services techniques étaient en séance de sensibilisation quand ils ont entendu des gens qui couraient vers eux en tirant des coups de feu en l'air. Les plus agiles prirent leur jambes à leur cou. Le véhicule sera pris par les assaillants. Cette attaque fera un mort sûr, Younoussa Maïga l'ingénieur d'agriculture et un disparu, l'apprenti du véhicule, le fils à Sidalamine, agent d'élevage en retraite à Menaka. Personne ne peut dire ce que ce jeune homme est devenu car son corps n'a jamais été retrouvé. Il est possible que dans sa course, il soit tombé dans un des nombreux puisards de l'oued et qu'il y soit mort faute de secours, comme ce fut le cas de feu Mohamed Alhassane Ag Mohamed M'bareck, le superviseur qui tomba dans un puisard où il est resté dans l'eau de 11h le 28 au 29 à 9h. C'est à cette heure que des bergers venus abreuver leurs animaux l'ont découvert et sorti du puits.
Avant la mort de Younoussa, il y avait eu celle de Assetan, le chef de site, frère de feu l'adjudant-chef de gendarmerie Bazet. Selon certains, il avait écrit une lettre aux autorités pour les informer qu'une rébellion était en préparation à Taïkaren. Les insurgés ayant appris cela l'avaient arrêté et lié aux mains et aux pieds et dans la nuit, une grande pluie était tombée et avait inondée l'oued de Tejarert. Dans le sauve qui peut provoqué par cette inondation, tout le monde l'avait oublié et il fut emporté.

2. À Tidarmene.
Après, Tejarert, les insurgés se rendirent à Tidarmene où un adjudant-chef de l'armée, Diallo était chef d'arrondissement avec deux gardes. L'un je crois s'appelle Traoré et l'autre un Tarmouz. Dans les combats, Diallo et Traoré furent tués et le Tarmouz fait prisonnier. Cela se passe toujours le 28 juin. Les insurgés continuèrent sur Menaka, en cours de route, ils rencontreront un autre véhicule de World Vision transportant les membres du volet santé de World Vision, une Anglaise Rachel, un expert américain venu faire l'évaluation du volet santé de World Vision Mali, un infirmier du centre de santé de Menaka, le chauffeur et son apprenti. Tous les passagers seront débarqués sauf l'infirmier, un keïta je crois, dont on n'aura plus de nouvelles.

B. À Menaka.
Cette année-là, je venais de terminer mes études de second cycle à l'Institut Biblique de Niamey au Niger, le 10 juin 1990. Je suis rentrée à Menaka le 15 juin pour être stagiaire à l'église évangélique de cette ville. Mon ami Issouf Ag Amini et moi avions loué une une chambre-salon dans la cour commune de feu Koundou Touré, forestier en retraite à Menaka. Cette maison est séparée du camp de garde juste par la rue. Nous dormions Issouf et moi devant notre chambre comme tous les habitants de la cour commune( Koundou et sa famille, Amadou Garel et nous-mêmes ). À 4h30, nous avons été réveillé par une rafale du côté de la gendarmerie, suivie de coups de feu sporadiques du côté de la prison et d'autres à l'intérieur du camp de garde. Un tireur s'était placé dans notre rue, juste derrière notre fenêtre Issouf et moi et tirait à intervalle régulier des rafales, je pense dans le but de dissuader les gens de sortir. Nous sommes tous restés scotchés à nos couchettes jusqu'à 6h00, heure à laquelle les tirs avaient cessés. Nous nous sommes levés pour regarder par dessus les murs, et nous avons vu les insurgés abord des véhicules de World Vision Menaka circulant dans la ville et criant en Tamachaq et en Français: Tamattant megh tamudre ( la vie ou la mort ), vive la révolution !
À 7h00, ils étaient sortis de la ville et s'étaient réunis sur la dune au sud-ouest de Menaka. À 9h00, ils avaient pris la direction de Inkadewan.
Juste après leur départ , Issouf, Kili et moi avons fait le tour de la ville pour constater les dégâts.
1. Camp de garde. 1 garde Tamachaq tué( de la famille de feu Falag , lui même garde en retraite ) il gardait cette nuit le magasin d'armement), deux blessés : Moussa Alhousseini Touré, un militaire en permission et qui est venu prendre du thé avec son ami d'enfance garde et a fini par dormir avec lui ( une balle dans la mâchoire et un coup de sabre sur la tête) et Zeinabou ( un coup de sabre sur la tête) la femme de Mohamed Yattara un garde à l'époque en formation à Bamako.
2. Eaux et forêts, un blessé, le chef de cantonnement forestier (trois balles).
3. Élevage : 1 blessé, je crois qu'il est Konate ( plusieurs coups de bâtons sur tout le corps et particulièrement sur la tête.
4. Maison de passage où une mission de la santé composée de quatre docteurs séjournait : deux morts, un blessé et le quatrième amené contre son gré, le docteur Azbey Ag Bendeche.
5. Prison civile : 1 mort, un garde Tamachaq ( Bellah ) de Tombouctou que tout le monde appelait " Commando léger ".
6. Gendarmerie : deux gendarmes blessés et deux militaires en auto-stop pour Gao ( les quatre par balles) et Zeynabou Akli Diallo elle aussi en auto-stop pour Gao ( un coup de sabre qui avait sectionné tout le tendon d'Achille, à 13h, elle décédera parce qu'elle avait perdu trop de sang).
7. Au bureau du cercle : deux gardes tués, l'un frère de celui qui est mort au camp de garde et un autre qui doit être Traoré si mes souvenirs sont bons.
8. World Vision : Tous les véhicules 4/4 de World Vision avaient été enlevés, les bureaux et le garage pillés.
Nous avons amené toutes ces personnes au centre de santé où les agents on vraiment fait tout ce qui était possible.
Déjà ce jour, bien que l'attaque ai fait des victimes aussi bien parmi les Kal-Tamachaq comme les autres ethnies la rupture était palpable. Quand Issouf, Kili et moi sommes rentrés au Centre de santé avec les cadavres et les blessés sur une charrette, un jeune Bella d'Anderamboukan dont je tais le nom m'a dit ce ci : " ce n'est pas la peine de vous fatiguer, quand l'armée sera là, nous leur diront que vous êtes tous complices ".
Je lui ai répondu textuellement : " ce n'est pas grave, en attendant, je fais mon devoir ".
Quelques heures plus tard un autre dont je tairai le nom déclarait : " c'est l'occasion de nous venger de tout ce que les Touareg nous ont fait ".
L'armée venant d'Anderamboukan n'arriva à Menaka que le 30 à 11h. Les dénonciations commencèrent juste par désir de vengeance ou de nuisance. La version que les gens faisaient circuler était que la nuit de l'attaque, les rebelles ne s'attaquaient qu'aux populations noirs et ne faisait rien au populations blanches et cette version à force d'être répétée, finie par devenir officielle malgré la mort de Assetan à Tejarert, l'enlèvement du garde Tarmouz à Tidarmene ( il en est revenu totalement zinzin), la mort des trois gardes Tamachaq et l'enlèvement du docteur Azbey.
Le premier dénoncé fut un vieux Daoussahak qui vivait de mendicité à Menaka et que tout le monde appelait " Sidousidou". Son seul tort était qu'il passait à côté du magasin de l'OPAM que les rebelles venait de cassé y avait pris 6 sacs de riz, ensuite ils avaient appelé le pauvre vieux pour lui demander de se servir. Mais le pauvre vieux ( fait à la fois tragique et comique ) au lieu de se servir ou passer son chemin resta là disant à tous de ne pas s'approcher du magasin car il lui avait été confié par les nouvelles autorités. Il fut dénoncé pour cela et fut tué, ensuite ce fut le tour de Hirihiri, un vieux de la tribu Ichidinharan que j'ai connus à Menaka depuis octobre 1987 et qui assurait son pain quotidien en servant d'intermédiaire entre vendeurs et acheteurs les jours de foire à Menaka. Lui aussi fut tué.
Ensuite vint le tour de Najim Ag Hatey, qui lui sera accusé d'avoir accompagné les insurgés de Menaka à Inkadewan et d'être revenu à pied chose totalement fausse. Il sera arrêté et torturé de 10h à 15h, il n'aura dû son salut qu'au fait qu'il s'est souvenu presque mourant que le 29, après la sortie des rebelles, il était passé me voir pour prêter un livre à lire, livre qu'il ne m'avait toujours pas rendu. Je fut amener manu militari et je dû confirmer ses dires . Après vérification de l'existence du livre, il fut relâché mais presque à l'article de la mort.
Ensuite vint mon tour moi-même. Je fut dénoncé comme suspect parce que j'étais le seul chrétien de la communauté Kal-Tamachaq et que personne ne savait d'où je venais. Heureusement pour moi que le commandant des opérations qui venait d'arriver Minkoro Kané, était un officier professionnel et calme. Il mena l'interrogatoire en présence de ses quatre adjoints tous capitaines. Après vérification et recoupement de tous mes dires par des soldats abord d'une land-rover auxquels il donnait des ordres, il me dit que j'étais libre de partir. C'est ce moment que j'ai choisi pour me présenter à lui car il était marié à une fille de ma cousine. Croyant que je ne comprenais Bambara, il dit dans cette langue à ses adjoints : " Les gens de Menaka sont vraiment mauvais, ils ont failli me faire tuer un parent pour rien ".

Mon but en donnant ce récit n'est pas une volonté de victimisation, ni d'accusation, je veux juste attirer l'attention sur le fait que, si nous prenons le temps de voir les choses sous leurs vrais angles, nous éviterons des déchirements inutiles, car la politique qui veut que quand un Outamachaq entre en rébellion, tous les autres sont complices ou sympathisants ne fait que desservir tous les acquis que nous avons mis des années à consolider.
D'un côté comme de l'autre, comme dans toutes les sociétés, tout le monde ne peut pas être bon et tout le monde ne peut pas être mauvais.

Aucun commentaire: