lundi 8 août 2016

2.1. Bilan sommaire de la décentralisation au Mali | Fondation Gabriel Péri

2.1. Bilan sommaire de la décentralisation au Mali | Fondation Gabriel Péri

Communication de M. Attaher Ag Iknane, doctorant, au colloque du 19 juin 2012 "Quelles constructions politiques au Nord Mali face aux crises dans le Sahel ?"

Depuis 1991, le Mali s’est lancé dans un vaste processus de restructuration du fonctionnement de l’État : la décentralisation. Ainsi, la gestion publique est décentralisée en créant des collectivités territoriales dotées de la personnalité juridique, de l’autonomie financière et s’administrant librement et exerçant des compétences que l’État leur a transférées.

L’option politique d’une décentralisation à l’échelle de tout le territoire national s’est fondée sur trois évènements majeurs :

- La rébellion au Nord du pays (1990) qui a connu une issue heureuse avec le Pacte National signé en avril 1992 ;

- Les évènements du 26 mars 1991, à Bamako.

Après l’effondrement du système centralisateur, l’ambition fondamentale est demeurée la refondation de l’État.

La décentralisation a eu pour objectifs :

  • L’approfondissement du processus démocratique : il s’agit d’adapter l’administration et plus généralement le cadre institutionnel aux objectifs et aux exigences du pluralisme politique en permettant l’émergence d’une démocratie locale.
  • La promotion du développement local et régional : favoriser l’émergence d’initiatives au niveau des différents acteurs et la mise en place d’un nouveau cadre du développement à partir des préoccupations, des ressources et du savoir-faire des populations locales.
La stratégie qui a été adoptée vise les enjeux suivants :

-  Préserver les acquis culturels : Il s’agit de faire des communes les points d’ancrage du processus de démocratisation et de la libre administration ;

-  Dynamiser les économies locales : Les collectivités territoriales seront des espaces d’initiatives favorisant une meilleure prise en compte des besoins locaux dans le processus de développement ;

-  Stabiliser le système politico-administratif : l’État est crédibilisé pour une meilleure prise en compte des aspirations de la population.

La mise en œuvre de ce vaste chantier a fait l’objet d’un long processus qui a connu aussi bien des difficultés que des avancées.

Des acquis :

  • L’enracinement de la démocratie et de la perspective locale dans le paysage politique et institutionnel : les 761 collectivités territoriales (703 communes, 49 cercles, 08 régions et le district de Bamako) ont montré leur capacité à engager une politique d’accroissement de l’offre de services aux populations à travers la réalisation d’infrastructures dans les secteurs sociaux (santé, éducation, eau) et marchands, et à contribuer au développement de leurs territoires à travers les plans de développement économique, social et culturel (PDESC).
  • L’existence de dispositifs de coordination, d’orientation, d’appui et de suivi du développement local :
- Le dispositif d’appui technique (DAT) :
Après la mise en place de la Cellule de Coordination Nationale (CCN) et des « Centres de Conseil Communaux » (CCC), il a été a mis en place en 2007 au niveau de l’ANICT une Dotation d’Appui Technique.

- Le dispositif financier :
Le dispositif d’appui financier est centré (voire piloté) par l’ANICT en 2000. Il est créé en 2007, le Fonds National d’Appui aux Collectivités Territoriales (FNACT), dans le but d’harmoniser la compréhension de tous les acteurs sur la nature, les modalités de constitution et de gestion des différents fonds.

- Le dispositif d’orientation et de coordination :
Pour piloter le dispositif d’appui technique, des comités locaux et régionaux et un comité national d’orientation (CLO, CRO et CNO) avaient été mis en place. Avec la disparition du dispositif d’appui technique en décembre 2007, les CRO et les CLO ont été transformés en Comités d’Orientation, de Coordination et de Suivi des Actions de Développement au niveau de la région, du cercle, et de la commune. Le CNO a été maintenu au niveau national.

  • L’amorce d’une approche de développement économique régional (DER) : Un fonds disponible à partir d’un guichet spécifique de la Dotation d’investissement du « Fonds National d’Appui aux Collectivités Territoriales » a été mis en place. Le financement des actions sera assuré dans le cadre du PARADDER pour dynamiser l’économie régionale.
  • L’amorce du processus de transfert des compétences et des ressources de l’État aux collectivités territoriales : Certaines compétences ont été transférées dès la mise en place des organes élus : l’état-civil, le recensement, les archives et la documentation, la police administrative, l’hygiène et l’assainissement. Concernant les compétences spécifiques, il est prévu un transfert progressif et modulé dans des domaines ciblés tels l’éducation, la santé, l’hydraulique et la gestion des ressources naturelles.
Des difficultés :

  • La persistance des contestations liées à la réorganisation territoriale : Elles se caractérisent par les limites des critères d’accessibilité, de distance et viabilité économique ; le découpage clanique s’est développé au détriment de la dimension économique ; les limites précises des terroirs et des coordonnées géographiques n’ont pas été prises en compte.
  • La question de viabilité économique et financière d’un grand nombre de communes rurales : Plusieurs petites communes ne disposent pas d’un potentiel de ressources naturelles, humaines et financières leur permettant d’amorcer des actions de développement.
  • Le mode d’élection des maires et des présidents des exécutifs locaux et régionaux : Parfois, par le jeu des alliances, la liste majoritaire ayant obtenu le plus grand nombre de conseillers perd le poste de maire ou de président au profit de la liste minoritaire. Il en résulte que la configuration des organes exécutifs est loin de représenter le fait majoritaire.
  • Les lenteurs dans la mise en œuvre du processus de transfert des compétences et des ressources de l’État aux collectivités territoriales : Une Commission interministérielle de pilotage de ces transferts n’a pu empêcher la grande lenteur dans ce domaine. Seuls les ministères en charge de la Santé et de l’Éducation ont engagé des conventions avec l’ANICT pour le financement des infrastructures et des équipements.
  • La faiblesse des ressources affectées aux collectivités d’où leur trop grande dépendance des financements extérieurs :En 2008 et 2009, 93,21% des subventions allouées aux collectivités territoriales proviennent des PTF tandis que la part du financement national ne s’élève qu’à 6,79%. Une des plus grandes menaces pour le processus de décentralisation est la prépondérance de ressources financières extérieures dans le financement des collectivités décentralisées.
  • La faible implication des administrations élues dans l’accompagnement du développement économique local :Depuis leur installation, l’essentiel du travail des administrations décentralisées se limite à la délivrance des actes administratifs, la gestion domaniale et la réalisation d’infrastructures. L’élaboration des PDESC est devenue une formalité pour se conformer à la réglementation et accéder aux appuis de l’ANICT.
  • La mauvaise préparation des documents de programmation et des budgets : En général, les PDESC ne sont que des catalogues d’actions préparés par des prestataires ne disposant pas des qualifications requises. L’origine de cette défaillance réside dans le manque de planificateurs au niveau des collectivités, la faiblesse de l’implication des acteurs et de mise en cohérence des planifications, et l’absence d’un schéma national d’aménagement du territoire qui devait constituer la référence pour toutes les planifications.
En conclusion :

La réforme de la décentralisation installée au Mali a eu des acquis incontestable, mais fait aussi face à des contraintes qui en paralysent l’effectivité.

La libre administration est effective, mais les collectivités locales restent confrontées à des difficultés financières, matérielles, humaines qui les empêchent d’assumer correctement leurs missions.

Le dispositif législatif et règlementaire mis en place, n’épargne pas aux collectivités territoriales la mauvaise gestion et ne favorise pas le contrôle des élus. L’appui-conseil et l’accompagnement de la tutelle s’avère insuffisant pour des collectivités territoriales en construction. La collégialité entre les acteurs qui sont impliqués dans le processus de gestion locale demeure faible.

Pendant longtemps, l’espace local était considéré comme un lieu d’application des décisions des politiques nationales sectorielles. Aujourd’hui, à la faveur de la politique de décentralisation, le contexte a profondément changé par le fait que l’espace local est devenu générateur de sa propre dynamique de développement en puisant dans ses capacités d’initiatives et d’organisation. Le développement local est rentré dans un système de processus décisionnel participatif.

Le déficit dans l’accompagnement adéquat du processus de la décentralisation ne favorise-t-il pas des dérives dans le mode de gouvernance locale ?

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