lundi 8 août 2016

4.1. La médiation politique régionale et la coopération militaire en question : quels acteurs ? Quels objectifs, avec quels moyens ? | Fondation Gabriel Péri

4.1. La médiation politique régionale et la coopération militaire en question : quels acteurs ? Quels objectifs, avec quels moyens ? | Fondation Gabriel Péri

Communication de M. Mamane Sani Adamou, membre de Alternative Espaces Citoyens (Niger), au colloque du 19 juin 2012 "Quelles constructions politiques au Nord Mali face aux crises dans le Sahel ?"

La bande sahélo-saharienne développe actuellement une conflictualité endémique sur laquelle les différents acteurs ont peu de prise. Les facteurs déstabilisateurs et crisogènes sont nombreux et se combinent selon des logiques et des schémas extrêmement complexes [1] : défaillance politique des États locaux accentuant les tensions politiques internes, la militarisation croissante de la zone, la forte pression démographique, les trafics de drogues et d’armes, un climat d’insécurité généralisé, les rivalités des grandes puissances pour le contrôle des ressources naturelles.

Une approche géopolitique, notamment une analyse des redéploiements stratégiques auxquels se livrent tant les acteurs externes (transnationales et puissances internationales) qu’internes en lien avec les enjeux pétroliers, miniers et agro-alimentaires, nous semble mieux rendre compte des dimensions de la crise actuelle ainsi que des alternatives (en termes de médiation politique à court terme mais surtout de constructions politiques démocratiques à moyen et long termes).

Analyse des stratégies des acteurs

Depuis l’effondrement du bloc soviétique, la donne stratégique mondiale semble avoir radicalement changé : à la bipolarisation Est-Ouest dans laquelle la sécurité permanente est assurée par la dissuasion nucléaire, s’est substituée une configuration Nord-Sud des conflits avec l’émergence d’acteurs nouveaux (bandes armées, réseaux de trafics, transnationales, etc.) qui sont souvent hors du contrôle des États [2]. La crise actuelle du capitalisme confère à la pression exercée par les puissances impérialistes un relief singulier. Il se manifeste, en effet, une exigence d’une gestion politique des États compatibles avec la reproduction élargie du capital à l’échelle de la planète qui ne saurait être ignorée.

Deux familles d’acteurs seront considérées dans l’analyse.

Les acteurs extérieurs sont très déterminants

Dans leur quête effrénée de matières premières stratégiques, les États-Unis, la France (et l’Union européenne) et la Chine ont transformé le continent en un vaste champ de manœuvres où se déploient au quotidien leurs conflits d’intérêts.

Le fait est que les ressources pétrolières et gazières en Afrique représentent 13 % de la production mondiale. Ce qui fait du continent noir le deuxième exportateur mondial avec 16 % du total des exportations. Selon les mêmes statistiques [3], l’Afrique offre aujourd’hui un quart des importations européennes et 20 % de celles des États-Unis et de la Chine.

Par ailleurs, l’Afrique occidentale regorge d’énormes potentialités avec plus de 33 milliards de réserves prouvées d’or noir, soit 3 % des réserves dans le monde. Dans l’arc sahélo-sahélien se concentre la plupart des ressources stratégiques : uranium, pétrole et gaz, manganèse, or, eau, etc.

Les stratégies des grandes puissances dans la région sont variées :

  • Pour les États-Unis, candidat à l’hégémonie mondiale après avoir « endigué » la puissance soviétique, les exigences de sécurité et de diversification de l’accès aux sources d’énergie, de concurrence avec la Chine et de lutte contre le terrorisme justifient une stratégie de politique étrangère focalisée sur la militarisation [4]. Ses interventions nombreuses dans le monde, souvent sous le couvert de l’OTAN, en constituent la preuve palpable.
  • La Chine, forte de son poids économique et commercial, de ses importantes réserves de change, entend devenir une puissance planétaire incontournable et un acteur majeur au Sud du Sahara. Sa stratégie vise à assurer l’approvisionnement en ressources naturelles et un débouché pour son économie, se constituer un réservoir de voix à l’ONU et l’isolement de Taïwan [5].
  • La France adopte une posture politico-diplomatique articulée autour de la conservation des « liens privilégiés » avec les États francophones de la sous-région, la lutte en sous-main contre l’influence du Nigeria et le contrôle de mécanismes multilatéraux et sécuritaires mis en place depuis les années 70 [6].
    À cet effet, les accords de coopération militaire et monétaire noués avec ces États ainsi que les réseaux « françafricains » jouent un rôle déterminant.
  • L’UE qui affirme vouloir établir un partenariat stratégique renforcé avec le continent à travers des relations bilatérales de certains membres avec les anciennes colonies, des accords de développement entre l’UE et les États africains et plus récemment des accords de partenariat avec des sous-régions (APER), peine à sortir de la logique néocoloniale classique et à entamer une « révolution stratégique » dans ses relations avec ses anciennes colonies.
    Sa politique étrangère de sécurité et de défense (PESD), qui lui offre une autonomie d’action dans la gestion des crises, lui permet de s’impliquer activement dans les dispositifs de prévention et de gestion des conflits dans le continent africain. Ce qui témoigne de l’incapacité à rompre avec le passé.
Les acteurs locaux pas toujours passifs

En face des acteurs extérieurs et de leurs transnationales, les acteurs locaux semblent à première vue démunis. La réalité est cependant tout autre :

  • Les États ne disposent pas de stratégie planétaire et sont fragilisés par plusieurs décennies d’implémentation de politique d’austérité (PAS). Leurs classes dirigeantes rentières et dépourvues de projet national consistant, à l’exception notoire de l’Algérie et de la Libye sous Kadhafi, réalisent leur accumulation à partir du pillage des ressources naturelles par les transnationales et de l’aide au développement. La gestion de l’État qui en résulte est corrompue, clientéliste et souvent ethniciste. Elle a pour effet d’exacerber les inégalités, de déliter le tissu social, de renforcer la dépendance et de réduire la démocratie à sa caricature électorale.
  • La CEDEAO : cadre d’intégration créé en 1975, dans le sillage de la revendication du nouvel ordre international, pour réaliser l’autosuffisance collective et l’intégration à travers un marché unique articulé autour d’une union économique et monétaire de la région, qui s’est mué progressivement en structure relais des puissances occidentales et instrument des chefs d’États.
  • Les mouvements armés (rébellions touarègues notamment) apparaissent à la fois comme révélateurs de l’échec de la construction nationale dans les États sahéliens et moyen privilégié de captation de la rente étatique par des élites qui se muent en véritables « entrepreneurs politiques ».
    Il est significatif à cet égard que les différentes rébellions font peu cas des clivages internes, des rapports esclavagistes qui prévalent dans leur communauté.
  • Quant aux réseaux de trafics d’armes, de drogues et de personnes, ils sont une expression de l’économie capitaliste financiarisée et de l’effondrement des États locaux. Ils entretiennent des relations conflictuelles avec les États mais sont aussi en collusion avec les acteurs externes (transnationales) qui les instrumentalisent et, souvent, partenaires des États et des rébellions. Celles-ci qui tirent profit de l’affaiblissement de la puissance publique.
Quelle médiation politique régionale ?

Le drame que vit le Mali, et qui pourrait confronter n’importe quel autre État de la sous-région, a révélé la nature et la faiblesse des États comme des structures d’intégration régionale.

La stratégie d’intégration économique en Afrique a rarement été pensée de l’intérieur, par les Africains. Elle a d’abord été imposée par les autorités coloniales pour ensuite être confiée à des experts citoyens des anciennes métropoles. C’est le cas de la CEAO, ancêtre de l’actuel UEMOA, constituée pour contrer la réalisation des objectifs de la CEDEAO, dont le traité avait été rédigé en 1973 par le Français Jacques David [7]. Cette extraversion s’est aggravée avec la mondialisation.

Les prises de position de la CEDEAO, ces dernières années, sont révélatrices de cette soumission aux intérêts extérieurs. La préoccupation centrée sur le retour à l’ordre constitutionnel à Bamako, alors même que l’État malien n’existe que sur le tiers de son territoire, prouve à quel point est grande la crainte de déstabilisation de leurs régimes de la part de la presque totalité des chefs d’États de la CEDEAO. Le raffermissement du cadre démocratique tient plus de la profession de foi que de la réalité.

Arrivés au pouvoir, pour la plupart d’entre eux, par des moyens illégaux : massacres de milliers de personnes, assassinats de compagnons d’armes et/ou d’opposants, fraude électorale avérée ; incapables de satisfaire à une demande sociale très forte, ces dirigeants redoutent le mécontentement populaire et doivent se prémunir contre la menace de mésaventure telle que celle vécue par le président malien ATT.

Sur la question de l’occupation du Nord malien, les solutions préconisées par la CEDEAO puis par l’Union africaine ne visent ni plus ni moins qu’à rendre l’unification du Mali tributaire de l’intervention des grandes puissances. Les exemples d’utilisation, à des fins de recolonisation, des résolutions de l’ONU par les puissances impérialistes tels qu’illustrés en Côte d’Ivoire et en Libye n’ont visiblement pas servi de leçon. En outre, la volonté de mobiliser immédiatement cinquante millions de dollars pour l’achat d’armement et de faire appel à la force d’interposition de la CEDEAO, n’ouvre pas seulement la voie à une guerre asymétrique et sans fin ; elle fait fi de l’existence du peuple malien, qui devrait être l’artisan principal et le concepteur de toute initiative, et constitue une opportunité de repositionnement pour les dirigeants.

La seule coopération militaire envisageable, dans ce cas de figure, est celle que doivent développer les pays riverains de la zone de conflit (Mauritanie, Algérie, Mali, Niger) pour assécher les flux d’armes en direction des rebelles, supprimer les bases éventuelles de repli.

De même, l’option qui consiste à créer ou à armer des groupes ethniques nous paraît lourde de conséquences sur la coexistence future entre les différentes communautés. Il nous appartient d’être perspicaces dans l’analyse des enjeux et des rapports de force afin d’éviter d’être les instruments des intérêts étrangers à la région.

A la lumière de ce qui précède, il apparaît qu’il n’appartient ni aux chefs d’États de la région, ni à la CEDEAO, ni à l’Union Africaine et à la communauté internationale, de sauver l’État malien à la place des Maliens, mais au peuple malien lui même. Le Mali a besoin de solidarité pas de sauveurs !

Quelles constructions politiques ?

Parmi les raisons susceptibles d’être invoquées pour justifier la relative facilité du déferlement des conflits actuels sur le continent africain, au Mali en particulier, le caractère prépondérant de la faiblesse stratégique et l’incapacité politique et technologique des dirigeants à contrôler et à exploiter les ressources naturelles s’imposent à tout analyste.

Ce déficit de vision politique et stratégique, compris comme l’absence ou l’insuffisance d’autonomie dans la définition des objectifs politiques et la gestion des affaires publiques, semble intimement lié à l’extraversion caractéristique de l’État postcolonial.

La seconde raison est la nature rentière des classes dirigeantes. Unleadership assuré par une élite rentière, très peu confiante dans les capacités de développement autonome de son pays, est certainement le partenaire de choix que peuvent espérer les grandes puissances et leurs transnationales. C’est aussi autant d’opportunités offertes pour les groupes et réseaux locaux qui pourront faire coïncider leurs stratégies avec celle de l’État.

En réalité, tout se passe comme si l’extrême vulnérabilité de l’élite politique avait permis aux acteurs externes (sociétés transnationales et États du Nord) de transformer l’espace national au gré de leurs intérêts, devenant ainsi des acteurs locaux de premier rang.

À l’évidence, « c’est une autre manière de gouverner l’Afrique qu’il convient aujourd’hui, en refusant toute forme de compromission de son présent, son avenir, et sa sécurité ». Il faut repenser l’indispensable démocratisation des États de la zone (du Mali en particulier) en termes inédits, de seconde libération par exemple [8].

C’est une nouvelle construction politique qui relève le défi de la démocratisation (qui doit rimer avec progrès social), de la construction étatique et de la dépendance structurelle.

Une convergence des luttes entre les forces progressistes du Nord et les peuples du Sud apparaît comme la seule alternative crédible.

Mamane Sani Adamou
Notes
[1] Mehdi TAJE,2010, « Enjeux Ouest-africains, Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au sahel », Bulletin N°1 CESAO/OCDE, Club du Sahel.

[2] Ibro ABDOU, 2008, « Nouveaux rapports de forces internationaux », Communication au Colloque "Transition vers le socialisme : Aspects politique, économique, social et culturel" tenu à Caracas au Venezuela.

[3] Il s’agit de statistiques du PNUD, de la CEDEAO et du Ministère des Mines du Mali publiées lors du Forum sur la négociation des contrats gaziers et pétroliers en Afrique initié par le PNUD à Bamako en 2010.

[4] Claire Woodside citée par Kwessi W. Obieng, « La lutte pour avoir la mainmise sur le pétrole ghanéen » article de la revue African Agenda du 20 septembre 2010, Accra.

[5] Séverin Tchetchoua Tchokonte, 2008, « Enjeux et jeux pétroliers en Afrique : étude de l’offensive pétrolière chinoise dans le Golfe de Guinée », mémoire de DEA, Cameroun.

[6] Niagalé Bagayogo-Penone, Janvier 2004, Afrique les stratégies française et américaine, éditions L’Harmattan.

[7] Makhtar DIOUF, Août 2002, « Mondialisme et régionalisme. Le nouveau régionalisme en Afrique », CODESRIA-BIT, www.ilo.org/public/englsh/wc....

[8] Aminata D. TRAORE, Août 2002, « Mali : Chronique d’une recolonisation », article, www.grigriinternational.com.

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