dimanche 3 août 2014
Jeudi 24 juillet 2014. Très rapidement, dans la matinée, les chaînes d’information en continu ont annoncé la disparition du vol AH 5017 qui avait quitté Ouagadougou, dans la nuit, à 1 h 17, pour rejoindre Alger. Dans la capitale burkinabè, la nuit avait été difficile. Un terrible orage s’était abattu sur la ville faisant même des dégâts dans les quartiers.
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Aux environs de 3 h du matin, devant son intensité et la durée de l’intempérie, j’avais pris la décision de me lever et de débrancher mes deux ordinateurs craignant qu’ils ne subissent un sale coup. Ce sera le premier courriel envoyé dès mon réveil : nous avons affronté, cette nuit, un rude orage… !
Dès que l’information de la disparition du vol AH 5017 s’est répandue dans l’hôtel, c’est devant la télé du bar que le personnel et les clients qui n’étaient pas encore sortis se sont retrouvés. France 24 et i>TELE diffusaient l’information : le vol AH 5017 d’Air Algérie avait disparu des radars.
Comme toujours sur les chaînes d’info en continu, les experts tentaient d’expliquer l’inexplicable dès lors que nul ne savait si l’avion s’était écrasé ou avait tenté un atterrissage dans le désert. Ils laissaient entendre que le contact avait été perdu alors qu’il devait se trouver du côté de la frontière entre le Mali et l’Algérie. Kidal, zone de guerre, pillage des stocks d’armes antiaériennes de Kadhafi, précédent du vol MH 17 de Malaysia Airlines abattu par un missile au dessus de l’Ouest de l’Ukraine…
On ne savait rien ; on commentait ; on épiloguait sur tout. Comme d’habitude. On évoquait bien sûr l’orage qui s’était développé dans la région pendant la nuit mais, dans les salles de rédaction à Paris on imagine mal que l’Afrique sahélo-saharienne, du côté du Tropique du Cancer, puisse être touchée par des orages, des pluies torrentielles, des inondations : l’Afrique ce ne peut être que la mer, les cocotiers, le soleil…
Après tout, il n’était pas idiot de penser qu’un avion algérien reliant Ouagadougou, où avait été signé l’accord sur le Mali du 18 juin 2013, à Alger, où se tenait une conférence sur le… Mali qui devait s’achever le jeudi 24 juillet 2014, puisse être l’objet d’un attentat alors qu’il survolait le Nord-Mali. D’autant que Mokhtar Belmokhtar avait revendiqué l’attentat contre un convoi de l’armée française, le lundi 14 juillet 2014, qui avait coûté la vie à un sous-officier français, que François Hollande rentrait tout juste d’une virée en Afrique pour annoncer la mise en œuvre de l’opération « Barkhane » (à laquelle participe le Burkina Faso) et que Jean-Yves Le Drian avait été à Bamako pour y signer un accord de coopération militaire.
Alors, le AH 5017 présentait le bon profil pour une opération terroriste de grande ampleur. D’autant plus qu’avec un décollage au milieu de la nuit, l’attention des agents de sécurité serait sans doute émoussée ; et que la vigilance n’est peut être pas la même sur un vol affrété auprès de la compagnie espagnole Swiftair par Air Algérie alors que les vols Air France, Royal Air Maroc, etc. font l’objet d’un contrôle sécuritaire aussi strict que cela puisse l’être par les temps qui courent.
Un accident d’avion est toujours un événement. Plus qu’un accident routier, ou un naufrage maritime. Sans doute parce que c’est le plus récent des moyens de transport de voyageurs et qu’il ne s’est banalisé qu’à partir des années 1970. Et puis il y a cette aura de mystère qui entoure l’avion : combien de passagers sont capables d’expliquer pourquoi un avion tient en l’air alors qu’une voiture qui roule ou un bateau qui flotte cela… coule de source ?
Une voiture, un bus, un bateau, lors d’un accident ou d’un naufrage, demeurent en contact avec leur élément : la piste, la route, l’autoroute, le lac ou l’océan. Un avion tombe ! Et cette chute est toujours un mystère qu’il faut éclaircir ; ce qui fait le succès d’une série comme « Air Crash » que diffuse notamment National Geographic Channel et qui raconte de déroulement des enquêtes menées lors des accidents d’avion ; ce qui doit refroidir bien des passagers tant il est évident que les drames aériens ont généralement une cause humaine qui a, trop souvent, une motivation financière qui est toujours liée à la volonté de réaliser des « économies » (qu’il s’agisse du constructeur, de la compagnie, de la société de maintenance, du service aéroportuaire…). Les accidents d’avion frappent donc les imaginations, fascinent même et on leur recherche des explications irrationnelles. Plus encore quand il y a une série : la chute du Mc Donnell Douglas MD 83, le jeudi 24 juillet 2014, fait suite à celui de l’ATR 72 du TransAsia Airways, la veille, le mercredi 23 juillet 2014, lors de son atterrissage, et à l’affaire du MH 17 de Malaysia Airways le jeudi 17 juillet 2014 au-dessus de l’Ukraine. 464 morts en l’espace d’une semaine ! Dramatique. Mais je rappelle que le naufrage du Joola, au large de la Gambie, alors qu’il faisait la liaison maritime entre Ziguinchor et Dakar, a fait officiellement 1.863 morts et disparus de 13 nationalités (il n’y a eu que 64 survivants)*. C’était le 26 septembre 2002. Vol AH 5017 Ouagadougou-Alger. Jeudi 24 juillet 2014. Sur i>TELE, qui est en édition spéciale toute la journée, on nous expliquera d’abord que l’avion aurait disparu du côté de la frontière entre le Mali et l’Algérie, zone de guerre, et que la théorie d’un accident lié aux conditions climatiques exceptionnelles n’était pas la plus crédible. Et, à Paris, chacun échafaudera un scénario en fonction de sa vision des choses. Les pilotes rappelleront que les conditions climatiques en Afrique sont parfois délicates ; les spécialistes de l’aviation mettront le doigt sur la formation ou l’expérience aléatoire des équipages de la compagnie low cost espagnole Swiftair ; les africanistes feront référence à la situation de guerre prévalant dans le Nord-Mali. Autant de points de vue crédibles. Mais rien d’autre que des points de vue. C’est depuis Ouaga que la situation va évoluer. Pourtant, Paris est mobilisé et l’Elysée est en première ligne avec un président Hollande sur la brèche en matière de communication et d’action. Depuis N’Djamena, l’aviation française va multiplier les sorties à la recherche de l’épave. A Ouaga, c’est le SIG, le Service d’information du gouvernement, qui va être en pointe en matière d’information dès lors que la RTB n’est pas équipée pour couvrir en direct des événements exceptionnels et inattendus. Dès 16 h 36, le SIG informe les professionnels de l’information qu’une cellule de crise a été installée au Centre des opérations d’urgence (CDOU), à l’Aéroport international de Ouagadougou. Il rappelle aussi que le MD83 a décollé avec 110 passagers et 6 membres d’équipage à 1 h 17. A 1 h 38, Ouaga a passé la main à Niamey. A 1 h 47, le contrôle aérien de Niamey a été informé que l’avion se préparait à contourner l’orage avant que toute communication ne soit rompue. C’est encore le SIG qui publie la liste « provisoire » des passagers. A 23 h 01, nouveau communiqué du SIG. C’est la déclaration officielle de Luc Adolphe Tiao, le Premier ministre. Il évoque « la plus grande tragédie de son histoire aéronautique » que le Burkina Faso ait jamais connue. Il annonce également que 2 aéronefs spécialisés et 1 hélicoptère ont recherché l’épave du MD83 et qu’à 18 h 40 GMT elle avait été localisée. Il communiquait aussi les « numéros verts » mis en place et proclamait un deuil national de 48 h à compter du vendredi 25 juillet 2014 dès 6 h du matin. Alors que le vol était affrété par Air Algérie et qu’il est tombé sur le territoire malien, c’est à Ouaga que vont déferler les officiels français et la presse internationale.
* Ce drame maritime, plus important en pertes humaines que celui du Titanic, n’a jamais été élucidé. Le gouvernement sénégalais a fermé le dossier dès 2003 considérant que son responsable était le commandant du Joola, or celui-ci avait péri dans le naufrage. Il y avait à bord 22 Français. Le Parquet d’Evry a engagé une procédure et lancé neuf mandats d’arrêt internationaux. Dakar s’est fâché, diplomatiquement, avec Paris. Et le dossier est parti en cassation ; il y était toujours l’an dernier me semble-t-il. Je ne sais pas où il en est aujourd’hui…
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
Dès que l’information de la disparition du vol AH 5017 s’est répandue dans l’hôtel, c’est devant la télé du bar que le personnel et les clients qui n’étaient pas encore sortis se sont retrouvés. France 24 et i>TELE diffusaient l’information : le vol AH 5017 d’Air Algérie avait disparu des radars.
Comme toujours sur les chaînes d’info en continu, les experts tentaient d’expliquer l’inexplicable dès lors que nul ne savait si l’avion s’était écrasé ou avait tenté un atterrissage dans le désert. Ils laissaient entendre que le contact avait été perdu alors qu’il devait se trouver du côté de la frontière entre le Mali et l’Algérie. Kidal, zone de guerre, pillage des stocks d’armes antiaériennes de Kadhafi, précédent du vol MH 17 de Malaysia Airlines abattu par un missile au dessus de l’Ouest de l’Ukraine…
On ne savait rien ; on commentait ; on épiloguait sur tout. Comme d’habitude. On évoquait bien sûr l’orage qui s’était développé dans la région pendant la nuit mais, dans les salles de rédaction à Paris on imagine mal que l’Afrique sahélo-saharienne, du côté du Tropique du Cancer, puisse être touchée par des orages, des pluies torrentielles, des inondations : l’Afrique ce ne peut être que la mer, les cocotiers, le soleil…
Après tout, il n’était pas idiot de penser qu’un avion algérien reliant Ouagadougou, où avait été signé l’accord sur le Mali du 18 juin 2013, à Alger, où se tenait une conférence sur le… Mali qui devait s’achever le jeudi 24 juillet 2014, puisse être l’objet d’un attentat alors qu’il survolait le Nord-Mali. D’autant que Mokhtar Belmokhtar avait revendiqué l’attentat contre un convoi de l’armée française, le lundi 14 juillet 2014, qui avait coûté la vie à un sous-officier français, que François Hollande rentrait tout juste d’une virée en Afrique pour annoncer la mise en œuvre de l’opération « Barkhane » (à laquelle participe le Burkina Faso) et que Jean-Yves Le Drian avait été à Bamako pour y signer un accord de coopération militaire.
Alors, le AH 5017 présentait le bon profil pour une opération terroriste de grande ampleur. D’autant plus qu’avec un décollage au milieu de la nuit, l’attention des agents de sécurité serait sans doute émoussée ; et que la vigilance n’est peut être pas la même sur un vol affrété auprès de la compagnie espagnole Swiftair par Air Algérie alors que les vols Air France, Royal Air Maroc, etc. font l’objet d’un contrôle sécuritaire aussi strict que cela puisse l’être par les temps qui courent.
Un accident d’avion est toujours un événement. Plus qu’un accident routier, ou un naufrage maritime. Sans doute parce que c’est le plus récent des moyens de transport de voyageurs et qu’il ne s’est banalisé qu’à partir des années 1970. Et puis il y a cette aura de mystère qui entoure l’avion : combien de passagers sont capables d’expliquer pourquoi un avion tient en l’air alors qu’une voiture qui roule ou un bateau qui flotte cela… coule de source ?
Une voiture, un bus, un bateau, lors d’un accident ou d’un naufrage, demeurent en contact avec leur élément : la piste, la route, l’autoroute, le lac ou l’océan. Un avion tombe ! Et cette chute est toujours un mystère qu’il faut éclaircir ; ce qui fait le succès d’une série comme « Air Crash » que diffuse notamment National Geographic Channel et qui raconte de déroulement des enquêtes menées lors des accidents d’avion ; ce qui doit refroidir bien des passagers tant il est évident que les drames aériens ont généralement une cause humaine qui a, trop souvent, une motivation financière qui est toujours liée à la volonté de réaliser des « économies » (qu’il s’agisse du constructeur, de la compagnie, de la société de maintenance, du service aéroportuaire…). Les accidents d’avion frappent donc les imaginations, fascinent même et on leur recherche des explications irrationnelles. Plus encore quand il y a une série : la chute du Mc Donnell Douglas MD 83, le jeudi 24 juillet 2014, fait suite à celui de l’ATR 72 du TransAsia Airways, la veille, le mercredi 23 juillet 2014, lors de son atterrissage, et à l’affaire du MH 17 de Malaysia Airways le jeudi 17 juillet 2014 au-dessus de l’Ukraine. 464 morts en l’espace d’une semaine ! Dramatique. Mais je rappelle que le naufrage du Joola, au large de la Gambie, alors qu’il faisait la liaison maritime entre Ziguinchor et Dakar, a fait officiellement 1.863 morts et disparus de 13 nationalités (il n’y a eu que 64 survivants)*. C’était le 26 septembre 2002. Vol AH 5017 Ouagadougou-Alger. Jeudi 24 juillet 2014. Sur i>TELE, qui est en édition spéciale toute la journée, on nous expliquera d’abord que l’avion aurait disparu du côté de la frontière entre le Mali et l’Algérie, zone de guerre, et que la théorie d’un accident lié aux conditions climatiques exceptionnelles n’était pas la plus crédible. Et, à Paris, chacun échafaudera un scénario en fonction de sa vision des choses. Les pilotes rappelleront que les conditions climatiques en Afrique sont parfois délicates ; les spécialistes de l’aviation mettront le doigt sur la formation ou l’expérience aléatoire des équipages de la compagnie low cost espagnole Swiftair ; les africanistes feront référence à la situation de guerre prévalant dans le Nord-Mali. Autant de points de vue crédibles. Mais rien d’autre que des points de vue. C’est depuis Ouaga que la situation va évoluer. Pourtant, Paris est mobilisé et l’Elysée est en première ligne avec un président Hollande sur la brèche en matière de communication et d’action. Depuis N’Djamena, l’aviation française va multiplier les sorties à la recherche de l’épave. A Ouaga, c’est le SIG, le Service d’information du gouvernement, qui va être en pointe en matière d’information dès lors que la RTB n’est pas équipée pour couvrir en direct des événements exceptionnels et inattendus. Dès 16 h 36, le SIG informe les professionnels de l’information qu’une cellule de crise a été installée au Centre des opérations d’urgence (CDOU), à l’Aéroport international de Ouagadougou. Il rappelle aussi que le MD83 a décollé avec 110 passagers et 6 membres d’équipage à 1 h 17. A 1 h 38, Ouaga a passé la main à Niamey. A 1 h 47, le contrôle aérien de Niamey a été informé que l’avion se préparait à contourner l’orage avant que toute communication ne soit rompue. C’est encore le SIG qui publie la liste « provisoire » des passagers. A 23 h 01, nouveau communiqué du SIG. C’est la déclaration officielle de Luc Adolphe Tiao, le Premier ministre. Il évoque « la plus grande tragédie de son histoire aéronautique » que le Burkina Faso ait jamais connue. Il annonce également que 2 aéronefs spécialisés et 1 hélicoptère ont recherché l’épave du MD83 et qu’à 18 h 40 GMT elle avait été localisée. Il communiquait aussi les « numéros verts » mis en place et proclamait un deuil national de 48 h à compter du vendredi 25 juillet 2014 dès 6 h du matin. Alors que le vol était affrété par Air Algérie et qu’il est tombé sur le territoire malien, c’est à Ouaga que vont déferler les officiels français et la presse internationale.
* Ce drame maritime, plus important en pertes humaines que celui du Titanic, n’a jamais été élucidé. Le gouvernement sénégalais a fermé le dossier dès 2003 considérant que son responsable était le commandant du Joola, or celui-ci avait péri dans le naufrage. Il y avait à bord 22 Français. Le Parquet d’Evry a engagé une procédure et lancé neuf mandats d’arrêt internationaux. Dakar s’est fâché, diplomatiquement, avec Paris. Et le dossier est parti en cassation ; il y était toujours l’an dernier me semble-t-il. Je ne sais pas où il en est aujourd’hui…
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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