Nord du Mali : Que pense vraiment Ambery Ag Rhissa, dirigeant du MNLA? - maliweb.net
Car voici ce qu’il a écrit en 1964
A propos des Touaregs de l’Adrar des Iforhas :
« Qu’on le sache »
Le camarade Ambery Ag Rhissa, instituteur en service à M’Bouna, a envoyé à «l’Essor », cet article sur les Touareg de l’Adrar des Iforhas. L’auteur fait l’historique de « la vie des populations de l’Adrar à la veille de l’occupation coloniale pendant la domination française et donne son opinion sur le prétendu « problème de Kidal ».
« Il n’est pas dans mes habitudes d’insérer des articles dans les journaux, cela pour la raison qu’il me serait difficile de trouver à dire quelque chose qui n’ait été déjà dit avant moi ou qui ne soit connu de tout le monde. Aujourd’hui, cependant, je me décide à tenter l’expérience, non pas parce que j’ai quelque chose à révéler, mais parce que les circonstances m’y incitent.
J’ai lu dans un numéro récent de «l’Essor» un article relatif aux Touaregs de l’Adrar des Iforhas, qui a suscité chez moi un intérêt réel, grandissant à mesure que je parcourais certains de ses passages. D’abord, j’avoue que j’ignorais que «l’Affaire de l’Adrar» était de nature à provoquer des commentaires, ni d’une telle ampleur, ni d’une telle durée ! A mon tour, permettez-moi de dire mon opinion sur cette question. Je crois être en mesure de situer le problème dans ses proportions réelles.
Ma position éloignée ne me permettant pas de lire autre journal que l’Essor, ni même régulièrement l’organe du Parti. Aussi j’ignorais dans leur détail les allégations publiées par la presse étrangère au sujet des Touaregs de l’Adrar. Mais à travers la mise au point faite dans l’Essor, il m’a été possible de découvrir que la vérité avait été travestie, par la presse réactionnaire, tant en ce qui concerne l’Adrar des Iforhas, qu’en ce qui concerne le prétendu «problème de Kidal». On ne peut pas ne pas être sensible à certaines calomnies, surtout lorsqu’elles sont le fruit d’une imagination capricieuse, agissant par le simple motif de la malveillance.
Je ne perdrai pas du temps à relater le mode de vie des Touaregs de l’Adrar, car le camarade Alhassane Ag Baye l’a déjà fait. J’apporterai seulement quelques aspects complémentaires, fruit d’une analyse objective sur le terrain et dans l‘actualité, le tout destiné à aider ceux qui cherchent réellement la lumière et à préciser aux Français mal informés, que le Mali connaît toute la vérité sur le sujet.
Les Touaregs de Kidal, considérés dans leur ensemble, constituaient une petite société féodale qui n’avait jamais entretenu avec les Populations sédentaires que des relations sommaires, distantes et superficielles, relations qui leur étaient imposées par les nécessités de la subsistance. L’administration française a exploité l’excellente position géographique de la subdivision de Kidal (actuelle Région de Kidal) pour que les échos de la lutte inlassablement menée par notre Parti (l’Union Soudanaise RDA) depuis 1946 ne dépassent jamais Bourem. Elle a également et surtout exploité l’énorme différence qui existe entre les mœurs Tamachèques et les mœurs sédentaires, pour développer l’esprit raciste et esclavagiste chez les Touaregs. Pour achever de faire de l’Adrar un terrain entièrement propice à la traditionnelle «action française», le féodalisme a été encouragé et renforcé. La France a appris aux Touaregs de l’Adrar à payer l’impôt (sous forme de tribut), à mépriser le sédentaire, et à respecter l’ordre d’inégalité sociale artificiellement établi pour les besoins de la circonstance et on se servait de l’innocente religion comme justification. Pas plus. Toutes les conditions depuis la structure géographique jusqu’à la conscience du milieu étaient favorables pour maintenir les Touaregs dans l’obscurantisme le plus inhumain qui soit. C’est ainsi que l’Adrar de novembre 1959 (date du départ du dernier chef de subdivision français, Allard Jean) n’était que celui de 1904, date de sa soumission à la France.
Parlons un peu de cette soumission : elle a été effectuée sans heurt, sans difficultés, je dirais même à l’amiable, puisque ce sont les Iforhas eux-mêmes qui sont partis l’apporter aux Français, à ln Salah (Algérie). Ils avaient toujours des ennuis avec les Regueybats qui venaient fréquemment razzier les troupeaux de chamelles. Il leur fallait donc une aide. La France, même si elle se tait là-dessus, sait que cette soumission est née d’une nécessité des circonstances d’alors et non de l’adresse de la politique française ! Que la défunte administration française ne croie donc avoir réussi «pacifiquement», là où elle croit déceler aujourd’hui un échec de notre part ! Sa «politique pacifiste» n’a pas trouvé les portes ouvertes chez les Touaregs Kel Ahaggar, le 16 février 1881, au puits de Anou N’Hoaeun, lorsque la mission Flatters fut massacrée par les hommes du Ahitaghel. La fin inoubliable de la mission Flatters, dont les derniers survivants ont échappé grâce à des conditions que nous ne dévoilerons pas, ne permet pas aux saboteurs français de nous faire croire que leur pénétration chez les Touaregs s’est effectuée «pacifiquement». La bataille de Tit, à 50 kilomètres de Tamanrasset, livrée le 7 mai 1902 par le lieutenant Français Cottenest aux Kel Ahaggar, commandés par Baba Ag Tamaklast et Sidi Mohamed Ag Othman, prouve encore une fois de plus que les Touaregs, comme tous les peuples d’Afrique ont subi la domination coloniale parce qu’ils ne pouvaient faire autrement. La France n’a pu pénétrer effectivement au Hoggar (qui n’avait pas, comme l’Adrar, sollicité sa présence) qu’à la nomination de Mossa Ag Amastane à la tête des Kel Ahaggar, en remplacement de Attici Ag Amellal. Et Mossa Ag Amastane a lié «amitié» avec la France, parce que l’expérience lui avait prouvé que l’inégalité des moyens matériels ne permettait pas de continuer la résistance opposée par ses prédécesseurs.
Une vérité qu’il me faut également rappeler à la presse française et étrangère, c’est que les Français n’ont jamais eu confiance en leur position en zone targuie, et cela par suite de plusieurs mouvements, tous à caractère antifrançais, allant du massacre de la Mission Flatters à la révolte de la Sénoussa et à la bataille d’Aderamboukane en 1916. La France a toujours vu dans les Touaregs «des populations à surveiller de très près». Elle a toujours eu des appréhensions qui se justifiaient peut-être, parce que nées des légendes mystérieuses qui couraient sur ces «populations», entourant aussi ces massifs montagneux qui se profilent de l’Atakor N’Ahaggar (Algérie) aux Tirar-Rar (Mali). Cette zone centrale «Hoggar-Adrar» était le trait d’union entre l’ex-Afrique du Nord et l’ex-A.O.F., et c’est la raison pour laquelle la France l’a toujours veillée jalousement, avec la coopération de la Compagnie Saharienne du Tidikelt, du Soudan et du Niger. Cela explique la fameuse «chasse aux rebelles», méthodiquement poursuivie en ces temps-là par les autorités française, et c’est cela seulement qui l’explique. Car l’impôt n’était pas la raison réelle qui a motivé cette prétendue lutte contre les Fellaghas.
L’impôt était un prétexte pour dissimuler le caractère odieux et flagrant de plusieurs exécutions arbitraires. Qui peut soutenir qu’Alla, qu’Affad, qu’In Allaân, que Bou Aâmamane ne payaient pas l’impôt ? Personne. Car il n’en est justement rien. Il est vrai que ces hommes ne venaient pas eux-mêmes s’acquitter de leurs contributions, mais chacun d’eux était recensé dans une famille à laquelle le chef communiquait le montant global de l’imposition, augmenté d’un supplément «pour le chef». La vérité, n’en déplaise aux nostalgiques français, est que ces hommes détenaient des armes à feu, ce qui dans l’esprit des administrateurs coloniaux, équivalait à la naissance d’un mouvement de rébellion, donc à une menace pour la sécurité du Sahara. Il fallait donc tuer le germe dans l’œuf. C’est là, et c’est là seulement la raison de la tragique mort d’Alla, de l’assassinat d’In Aâllaân en 1957, dans l’oued Tissakakiwen, assassinat dont la procédure et le lieu ont été convenus entre Clauzel et le sergent Darcel, à Tessalit.
Revenons à l’actualité dont «Jeune Afrique» et «Paris Jour» semblent faire un cheval de bataille qui ne tient malheureusement pas debout. Tout d’abord, je voudrais dire au camarade Alhassane Ag Baye, que l’impôt est loin d’être la raison réelle et fondamentale de ce qu’on a complaisamment appelé «la rébellion de Kidal». Il est certain que, faute d’éducation civique suffisante les Touaregs de Kidal n’ont pas tout à fait compris le sens de l’impôt, mais il faut situer correctement les faits. L’impôt n’est pas la raison de ce misérable remue-ménage, car cela impliquerait nécessairement une généralisation du mouvement, puisque tous les Maliens du cercle sont imposés. Or, tel n’est pas le cas, car les dissidents apatrides sont à peine une poignée. Le problème se situe plutôt dans la politique impérialiste française, qui laisse toujours une bombe à retardement partout où elle lève l’ancre. Pourquoi tenter vainement de cacher et de nier les réalités historiques, car elles ne sont plus un secret pour personne, même en Afrique, où les impérialistes d’Occident ont tenté de maintenir les peuples dans un complexe d’infériorité injustifiable ? Nous savons tous que certain gouvernement français avait de la peine à se consoler de l’échec de l’O.C.R.S. Nous savons tous que ses ténors ont été déconcertés par le ralliement de feu Attaher Ag Ally ( que la terre lui soit légère) à l’Union Soudanaise R.D.A., lors de la visite du camarade Modibo Keita à Kidal en octobre 1950, en dépit des contacts réitérés et préalablement effectués par le lieutenant Crespin (P.M.T). Nous savons tous, et les « milieux français» autant que nous, que ceux-ci ont largement contribué à l’agitation des Iforhas, en profitant d’un stade bien déterminé dans l’évolution d’une société donnée.
Nous savons tous, et les mêmes milieux français également, qu’il y avait une étincelle constituée par la minorité féodaliste Iforhas dont le mode d’existence devait tomber nécessairement et obligatoirement en désuétude en régime socialiste. Pourquoi donc incriminer les Touaregs qui, à part ceux devant qui l’administration française a fait miroiter le mirage de la «Liberté» de jadis, et qui ont déjà fait leur reddition, parce qu’ils ont compris où ce chemin les menait, pourquoi donc, dis-je, incriminer les Touaregs qui sont restés des citoyens Maliens à la hauteur de notre évolution sociale ? Pourquoi donc le Mali qui a eu le courage d’entreprendre ce que la France n’a jamais osé toucher du doigt : la lutte contre le féodalisme ? Ces accusations erronées ne trouvent aucune justification dans la participation du fils d’Alla au mouvement. L’activité de L’Ladi Ag Alla s’inscrit dans la rébellion non pas en tant qu’opposition à une domination quelconque, mais en tant qu’opposition du régime féodal au régime socialiste. L’Ladi est resté plus d’un an à Tamanrasset entre 1961 et 1962, et il a été «ensorcelé» par les bases françaises, de la même manière que ses complices. Ce n’est donc pas la lutte menée par son père qu’il a voulu «continuer», car autrement, il l’aurait dirigée contre les Français, contre le sergent-chef Huguet, qui a tué Alla d’une rafale de mitrailleuse.
Ainsi, il apparaît clair que le problème de l’Adrar est une étape qui devait être nécessairement franchie dans notre révolution socialiste. Il apparait clair que le problème ne s’est pas posé, parce que «c’est le Mali» mais parce que, avec les mêmes données, il se serait posé dans tout autre pays. Autrement dit, il se serait posé à la France elle-même, si elle avait osé décider et entreprendre la lutte contre le régime féodal.
Nous disons donc à «Jeune Afrique» qu’il a mal débuté sa jeunesse, à «Paris-Jour» qu’il mal vu le jour, à tous les deux que l’histoire ne s’invente pas. Bien loin de donner naissance à des idées nouvelles et rétrogrades, leurs allégations erronées leur révèleront, une fois de plus, la force de notre patriotisme, ce patriotisme dont ils croient avoir décelé une défaillance chez les Touaregs. Les milieux réactionnaires français ont soufflé sur l’étincelle, croyant déclencher un incendie. Mais ce n’était pas dans une paillote. Elle était dans une solide maison au milieu du sable où il n’y a rien d’inflammable !
Quant à la «République de Lithamie», c’est une idée tellement fantaisiste, que j’oserai à peine en parler. Cette idée n’a pas jamais germé dans l’esprit d’aucun Targui de l’Adrar. Les Iforhas cherchent à préserver leurs privilèges féodaux et non à obtenir une autonomie. Et ils se seraient bien accommodés de n’importe quel régime, à la condition que ces privilèges soient épargnés. Connaissant parfaitement l’Adrar, mieux que «Jeune Afrique», mieux que «Paris-Jour», je déclare, sans craindre de me tromper, que la «République de la Lithamie» est une invention de ceux qui ont le complexe de l’improductivité de leur esprit et de l’inaptitude de celui-ci à analyser les problèmes en partant de leurs données réelles ; une invention de ceux qui croient compenser leur incapacité à évoluer avec l’humanité par des allégations gigantesques dans leur forme, mais vides de toute vérité.
Les Touaregs sont ignorants, d’accord ! Mais ils reconnaissent ce qui leur nuit de ce qui leur est profitable. Ils se souviennent nettement de l’atmosphère asphyxiante qu’ils respiraient sous la domination coloniale fusionnée avec le régime féodal. Ils réalisent parfaitement cette brise bienfaisante qui souffle actuellement sur eux depuis notre indépendance. Ils savent faire des comparaisons judicieuses. Qu’on aille donc leur demander ! »
M’Bouna, le 26 Mai 1964
Ambéry Ag RISSA
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