La mort des deux journalistes français relance les interrogations sur l'issue du conflit, alors que 3200 militaires français sont toujours présents
Des militaires de l'opération Serval au Mali Sipa
Les faits - Au lendemain de l'assassinat, non revendiqué, de Ghislaine Dupont, 57 ans, et Claude Verlon, 55 ans, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a estimé dimanche qu'il s'agissait d'un «crime odieux, abject et révoltant. Un crime contre des journalistes est un double crime: un crime contre des personnes, mais aussi un crime contre la liberté d’informer et d’être informé».
On se souvient du président George W. Bush paradant, le 1er mai 2003, sur le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln, sous une banderole annonçant : «Mission Accomplished». La suite des événements montra vite que la guerre d'Irak était loin d'être terminée et, moins encore, gagnée. Le même mésaventure politique n'est-elle pas en train d'arriver à François Hollande ? Le 19 septembre, le chef de l'Etat était à Bamako, capitale du Mali, pour l'investiture du président nouvellement élu, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). «Nous avons gagné cette guerre. Nous avons chassé les terroristes. Nous avons sécurisé le nord», triomphait alors le président français. Quelque 44 jours plus tard, l'Elysée publiait, samedi 2 novembre, un communiqué affirmant la «volonté» des deux pays «de poursuivre sans relâche la lutte contre les groupes terroristes qui restent présent au nord du Mali». Alors, gagnée ou pas, cette guerre ?
L'assassinat des deux reporters de Radio France Internationale (RFI), samedi, vient rappeler, si besoin était, que la situation est loin d'être stabilisée dans le nord du Mali. Le 1er octobre, déjà, le président IBK avait dû interrompre sa visite officielle en France à la suite d'incidents armés dans cette région, causant la mort de plusieurs Maliens. Le 23 octobre, deux casques bleus tchadiens avaient encore été tués dans une attaque suicide.
Après celle de sept militaires français - le dernier fin juillet - qui, eux aussi, faisaient leur métier, la mort des deux journalistes sonne comme un avertissement. « Kidal est la seule région pour le moment où la souveraineté de l’Etat n’est pas effective », a reconnu Soumeilou Boubeye Maiga, le ministre malien de la Défense, sur France 24. La situation y est suffisamment dangereuse pour que l'armée française refuse d'y emmener les journalistes, comme RFI en avait fait la demande. Les deux reporters s'y sont rendus avec l'aide des Nations unies.
« La situation est telle que toutes les infiltrations sont possibles », s'est contenté d'indiquer le ministre malien de la Défense. Enlevés samedi en milieu de journée à Kidal par des hommes parlant le tamachek, une langue touareg, alors qu'ils sortaient d'un rendez-vous avec un responsable du mouvement touareg MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été retrouvés morts peu avant 16 heures, à une douzaine de kilomètres à l'est de Kidal, par une patrouille militaire française partie à leur recherche. Tués par balles, selon le Quai d'Orsay, ils gisaient à proximité d'un véhicule abandonné.
Qui est responsable ? Vingt-quatre heures après les faits, toutes les hypothèses restent permises. Ce que l'on sait, c'est que la scène politique locale est en pleine ébullition avec une redéfinition des alliances en cours. Globalement, la région est le foyer de trois forces : des séparatistes modérés, des djihadistes étrangers (Aqmi) qui ont reçu au début d'année de rudes coups de la part de Français et des Tchadiens, et des séparatistes islamistes, hier alliés d'Aqmi, comme le groupe Ansar Dine d'Iyad Ag Ghali. On prête à ce dernier un rôle important dans la libération, la semaine dernière, des quatre otages français kidnappés trois ans plus tôt à Arlit au Niger. Rapt classique qui tourne mal ? Coup fourré entre groupes armés rivaux ? Le MNLA, en tout cas, risque d'en sortir affaibli, puisque preuve est faite qu'il ne contrôle plus son fief historique. Kidal, une bourgade du désert, et sa région, abritent trois contingents officiels d'environ 200 hommes chacun : celui de l'armée malienne, qui ne peut guère sortir de sa garnison, des casques bleus sénégalais et, sur l'aéroport, les Français.
Une chose est sûre : François Hollande ne pourra pas tenir pas sa promesse d'un retrait rapide des troupes françaises du pays. Il s'était engagé à ce que la force Serval ne compte plus que 1000 hommes fin 2013, mais, au fil des semaines, cette date n'a cessé d'être reportée. Actuellement, 3200 militaires français sont au Mali et, selon un rapport sénatorial, cette opération devrait coûter 647 millions d'euros cette année. Le maintien de troupes françaises est justifié par la tenue des élections législatives, le 24 novembre et 15 décembre, comme par la nécessité d'apporter un appui et un soutien à l'armée malienne et aux casques bleus, majoritairement africains, de la Minusma.
La récente opération Hydre, déclenchée le 20 octobre et en voie d'achèvement, avait d'ailleurs comme première raison d'être de montrer la capacité des forces françaises, malienne et onusiennes à manœuvrer ensemble sur le terrain. Au total, 1800 hommes ont été engagés dans la région de Gao, à plus de 200 kilomètres de Kidal. Le résultat s'avère négligeable en termes tactiques : pas de contacts avec les groupes djihadistes armés et peu d'armements récupérés, selon nos informations.
Cependant, la dégradation de la situation dans le nord ne doit pas masquer un fait essentiel : le Mali est globalement pacifié et l'intervention militaire française de janvier a permis, non seulement d'empêcher l'effondrement du pays sous les assauts des djihadistes, mais également de relancer le processus politique qui a abouti à des élections générales dont personne ne conteste le résultat démocratique.
Le Nord n'est pas tout le Mali, loin s'en faut. Il faut imaginer ce que serait la France si 90% des ses habitants vivaient au sud d'une ligne allant de Bordeaux à Gap et que les 10% restants se répartissaient sur les trois quarts restants du pays, quasiment déserts. Le Nord du Mali, c'est 1,5 millions d'habitants pour une superficie de 900.000 km2. La seule région de Kidal s'étend sur 260.000 km2 (la moitié de la France !) mais ne compte qu'à peine 70.000 habitants, moins que la Lozère.
A ce poids de la géographie - Kidal est à 1200 kilomètres de la capitale - s'ajoute celui de l'histoire. Le nord du pays est le territoire de populations touarègues, maures, arabes, songhaïs et peuls qui, depuis l'indépendance en 1960, n'ont jamais accepté la domination du sud. Domination démographique - et donc démocratique - qui prend la forme d'une revanche des sudistes contre les anciens esclavagistes du nord qui les terrorisèrent durant tout le XIXème siècle. «Vouloir faire vivre, dans le même Etat, les agriculteurs noirs sédentaires du Sud et les nomades berbères ou arabes du Nord, est une nuée dévastatrice des équilibres locaux et régionaux», estime l'africaniste Bernard Lugan, qui plaide pour une «solution confédérale». Celle-ci est rejetée par les responsables politiques du Sud, attachés au modèle jacobin d'un Etat unitaire et aux éventuelles ressources en pétrole et uranium du Nord. «L'erreur française fut de ne pas avoir conditionné l'intervention française au préalable confédéral. Rien n'est donc réglé,» ajoute Bernard Lugan. D'autant que, dans cette région aux frontières perméables, les foyers d'instabilité nourris notamment de l'effondrement de l'Etat libyen, qu'ils soient mafieux ou djihadistes, se répandent d'un pays à l'autre.
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