entre compromis et compromissions...
Par Mokthar DIOP - 13/10/2014
Chercheur émérite du CNRS, André Bourgeot s’est entretenu avec notre reporter sur les négociations d’Alger et la militarisation de la bande saharo-saharienne.
Journaldumali.com : Les coups d’éclat des djihadistes se multiplient. Alors, sur qui peut compter le Mali pour pacifier le nord voire reprendre la main dans son septentrion ?
André Bourgeot: Je me demande aujourd’hui quelle est la marge de manœuvre possible des autorités politiques maliennes dans un contexte international où il y a des pressions très fortes car il existe des connivences entre la communauté internationale et certains mouvements touaregs bien que tous les mouvements ne soient pas touareg. Quelle est donc la marge de manœuvre des autorités politiques maliennes par rapport aux puissances occidentales notamment la France et par rapport à la dominante religieuse malienne puisque cette dimension religieuse existe car on l’a vu lors de la marche réussie de la société civile avec en première ligne les leaders religieux qui ont pris la parole et ont tenu des propos très intéressants. Monsieur Haidara et monsieur Dicko ont un élan populaire énorme or nous sommes dans un Etat laïc. Les religieux restent des religieux et leur aura montre qu’il y a un vide politique dans les partis politiques maliens.
Un vide dans les partis politiques maliens, qu’est-ce-à dire ?
La classe politique malienne est un peu dans une situation de déficience. On ne la sent pas porter le combat aux côtés du pouvoir en place. Il appartiendrait cette fois-ci à la société civile laïque de prendre des initiatives autres que celles des religieux. Je ne condamne pas les religieux mais j’observe que le politique dans le contexte actuel est entre les mains des religieux qui ont un écho populaire favorable qui permet de mobiliser contre ce qui se passe au nord.
Irez-vous jusqu’à dire que le président IBK paye sa proximité avec la Chine et la Russie face à la France qui s’interroge sur la contrepartie ?
Les accords signés avec la Chine et les nouvelles relations de coopération avec la Russie sont postérieurs à Barkane donc on peut se poser la question de savoir si le Président n’établit pas de nouveaux équilibres par rapport aux puissances occidentales pour avoir une marge de manœuvre plus grande face à ces interlocuteurs traditionnels.
A supposer que le président ait livré le sous-sol malien à la Chine et à la Russie, cela plairait-il à la France ?
J’écarte cette hypothèse et si d’aventure elle était pertinente ce serait inacceptable. Je prends l’exemple du Niger entre la prospection et l’exploitation du pétrole dans la région d’Aggadem. Niamey a promis un contrat d’exploitation à la société américaine EXXON contre le développement de la région ce que EXXON a refusé. Les chinois du CNPC arrivent dans ce contexte et le même langage leur ait tenu alors ils répondent par « vous voulez une raffinerie et un bon réseau routier, pas de problème nous les réaliserons ». Effectivement, la raffinerie est faite entre Maradi et Zinder et le réseau routier a vu le jour. Tout ceci répond aux intérêts nationaux du Niger et aux possibilités de transformation de matières premières dans un processus d’industrialisation. La Chine est perçue comme un pays compétiteur dangereux par les puissances occidentales car elle grignote des parts de marché et intéresse de plus en plus les gouvernements Africains. C’est une donnée conflictuelle qui pose le problème du contrôle des richesses extractives, c’est clair.
Revenons aux accords d’Alger. Un accord définitif et durable est-il envisageable ?
Non, dans les circonstances actuelles, un accord de paix définitif et durable est impossible. Les rapports de force politique actuellement sont plutôt favorables aux belligérants opposés qui sont ultra minoritaires d’où le problème. Le Mnla ne représente que lui-même. La majorité des sociétés touareg ne souscrit pas aux objectifs, aux méthodes et aux pratiques du Mnla. On le voit bien. Si vous prenez le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad, il n’y a que la famille de la chefferie et ceci ne représente pas l’ensemble des sociétés Touareg et à fortiori tout le septentrion malien. Donc si à l’issue de ces négociations, il y a des compromis voire des compromissions, les populations du nord ne se laisseront pas faire et continueront à se mobiliser.
A coups sûr, les populations du nord ne se laisseront pas faire ?
Absolument, l’élément nouveau est qu’il y a un suivi populaire dans les conditions de déroulement des négociations d’Alger qui sont loin d’être transparentes car les autorités maliennes ne sont pas claires, on ignore leur position. Il ne faut pas oublier que durant l’occupation par les djihadistes, il y a eu une résistance populaire à Gao avec Nous pas Bouger, les Patriotes, les Patrouilleurs qui ont entretenu des relations ambigües avec le Mujao mais qui ont permis une expression populaire pour éviter une dérive trop grande. Ce qui a fédéré ces populations du nord c’est le fait que le Mnla lors de son intervention à Tombouctou et à Gao a commis des actes contestables et critiquables. Le Mnla a fédéré l’ensemble de ces populations contre lui et cette alliance va perdurer. Si l’on ne prend pas en compte l’opinion de ces populations et de toutes les populations maliennes, je crains fort que ça aille dans le sens de l’affrontement.
Est-ce un faux fuyant que de dire que le problème du nord n’est pas un problème Malien mais plutôt international ?
On ne peut pas contester le fait qu’il y ait des ramifications sur l’ensemble des espaces mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il y ait des liens organiques entre les différentes organisations auto proclamées d’autant qu’on note des spécificités dans l’espace saharo-sahélien. Par exemple, nous avons été en France un certain nombre de personnes à dénoncer l’intervention militaire franco-britannique en Libye parce qu’en plus d’avoir des conséquences larges, elle a libéré les forces djihadistes et les forces tribales. La Libye n’a plus d’existence étatique. Elle est dirigée par des groupes salafistes et tribaux qui étaient bâillonnés à l’époque de Kadhafi. A l’issue de cette intervention, que voit-on ? Le Mali est déstabilisé à partir du nord et devient un espace géostratégique dont les conséquences sont régionales : on a vu ce qui s’est passé en Algérie, au Niger et en Mauritanie et tout ceci engendre une militarisation de l’espace saharo-sahélien par les militaires français. François Hollande l’a dit sans ambages « la transformation de Serval en Barkane va durer », en langage diplomatique cela signifie que Barkane va durer entrer entre six mois et dix ans. Il n’y a aucune opacité donc les forces internationales créent les conditions de subordination des armées nationales aux forces internationales. Le problème c’est qu’elle est la volonté de l’Etat malien à restaurer à la fois l’autorité de l’Etat et de l’armée ? Là, je rebondis sur la coopération avec la Russie. Est-ce que la Russie va permettre à l’armée malienne de se relever puisque cette armée est malade depuis le coup d’état de Sanogo. Comment restructurez cette armée…
Vous mettez sous le coude tout ce que la France a fait en termes de formation des Fama ?
Moi, je ne veux pas qu’on nous prenne pour des pingouins. Vous avez eu en 2003 un programme de formation initié par les américains pour la formation des militaires nationaux avec un budget moyen. Ce programme a été révisé et transformé en TSTCIE 2006-2007 avec un budget triplé avec les mêmes objectifs de former les militaires maliens, nigériens et mauritaniens à la lutte contre le terrorisme. Vous avez vu ce que cette formation a donné ! Aqmi s’installe partout or les objectifs de Barkane sont les mêmes à la différence que Barkane est circonscrit aux anciennes colonies françaises de l’Afrique de l’ouest, Mauritanie, Niger, Tchad et Mali. Finalement il y a un problème avec les militaires maliens. On recommence toujours les mêmes choses avec les militaires maliens. Il ne faut pas perdre la mémoire historique des choses et on ne peut pas appréhender ces problèmes en dehors de la volonté de domination de ces pays sur l’Afrique qui est devenue un pays à forts enjeux au plan économique. Les spécialistes disent que le taux de croissance en Afrique est de deux chiffres. On parle de croissance et non de développement. La croissance bénéficie à qui ? On retombe sur le problème des capacités d’autonomie politique et économique des pays concernés. Est-ce qu’ils en ont les moyens ou sont –ils dans une marge de manœuvre réduite ?
Dernière question plutôt personnelle. Vous n’avez pas peur de vous promener dans la sous-région ?
Je précise la chose suivante : depuis 2009, le ministère des affaires étrangères a classé cette zone rouge et je respecte les consignes autrement dit depuis 2009 je ne quitte pas Bamako et je ne me rends plus dans ce septentrion malien que j’affectionne car le nord représente toute ma jeunesse. Affectivement, je suis blessé. On ne pourra plus retrouver les mêmes ambiances dans ces zones, c’est fini. C’est dramatique. Comment va-t-on sortir de cette situation ? Il faudra un travail politique de fond mais cette volonté politique existe-t-elle ? J’ai mal de voir le Mali dans cette situation. Idem pour le Niger et sa base américaine à Agadez ainsi que les drones américains. Toute cette militarisation de la zone saharo-saharienne me désole
André Bourgeot: Je me demande aujourd’hui quelle est la marge de manœuvre possible des autorités politiques maliennes dans un contexte international où il y a des pressions très fortes car il existe des connivences entre la communauté internationale et certains mouvements touaregs bien que tous les mouvements ne soient pas touareg. Quelle est donc la marge de manœuvre des autorités politiques maliennes par rapport aux puissances occidentales notamment la France et par rapport à la dominante religieuse malienne puisque cette dimension religieuse existe car on l’a vu lors de la marche réussie de la société civile avec en première ligne les leaders religieux qui ont pris la parole et ont tenu des propos très intéressants. Monsieur Haidara et monsieur Dicko ont un élan populaire énorme or nous sommes dans un Etat laïc. Les religieux restent des religieux et leur aura montre qu’il y a un vide politique dans les partis politiques maliens.
Un vide dans les partis politiques maliens, qu’est-ce-à dire ?
La classe politique malienne est un peu dans une situation de déficience. On ne la sent pas porter le combat aux côtés du pouvoir en place. Il appartiendrait cette fois-ci à la société civile laïque de prendre des initiatives autres que celles des religieux. Je ne condamne pas les religieux mais j’observe que le politique dans le contexte actuel est entre les mains des religieux qui ont un écho populaire favorable qui permet de mobiliser contre ce qui se passe au nord.
Irez-vous jusqu’à dire que le président IBK paye sa proximité avec la Chine et la Russie face à la France qui s’interroge sur la contrepartie ?
Les accords signés avec la Chine et les nouvelles relations de coopération avec la Russie sont postérieurs à Barkane donc on peut se poser la question de savoir si le Président n’établit pas de nouveaux équilibres par rapport aux puissances occidentales pour avoir une marge de manœuvre plus grande face à ces interlocuteurs traditionnels.
A supposer que le président ait livré le sous-sol malien à la Chine et à la Russie, cela plairait-il à la France ?
J’écarte cette hypothèse et si d’aventure elle était pertinente ce serait inacceptable. Je prends l’exemple du Niger entre la prospection et l’exploitation du pétrole dans la région d’Aggadem. Niamey a promis un contrat d’exploitation à la société américaine EXXON contre le développement de la région ce que EXXON a refusé. Les chinois du CNPC arrivent dans ce contexte et le même langage leur ait tenu alors ils répondent par « vous voulez une raffinerie et un bon réseau routier, pas de problème nous les réaliserons ». Effectivement, la raffinerie est faite entre Maradi et Zinder et le réseau routier a vu le jour. Tout ceci répond aux intérêts nationaux du Niger et aux possibilités de transformation de matières premières dans un processus d’industrialisation. La Chine est perçue comme un pays compétiteur dangereux par les puissances occidentales car elle grignote des parts de marché et intéresse de plus en plus les gouvernements Africains. C’est une donnée conflictuelle qui pose le problème du contrôle des richesses extractives, c’est clair.
Revenons aux accords d’Alger. Un accord définitif et durable est-il envisageable ?
Non, dans les circonstances actuelles, un accord de paix définitif et durable est impossible. Les rapports de force politique actuellement sont plutôt favorables aux belligérants opposés qui sont ultra minoritaires d’où le problème. Le Mnla ne représente que lui-même. La majorité des sociétés touareg ne souscrit pas aux objectifs, aux méthodes et aux pratiques du Mnla. On le voit bien. Si vous prenez le Haut conseil pour l’unité de l’Azawad, il n’y a que la famille de la chefferie et ceci ne représente pas l’ensemble des sociétés Touareg et à fortiori tout le septentrion malien. Donc si à l’issue de ces négociations, il y a des compromis voire des compromissions, les populations du nord ne se laisseront pas faire et continueront à se mobiliser.
A coups sûr, les populations du nord ne se laisseront pas faire ?
Absolument, l’élément nouveau est qu’il y a un suivi populaire dans les conditions de déroulement des négociations d’Alger qui sont loin d’être transparentes car les autorités maliennes ne sont pas claires, on ignore leur position. Il ne faut pas oublier que durant l’occupation par les djihadistes, il y a eu une résistance populaire à Gao avec Nous pas Bouger, les Patriotes, les Patrouilleurs qui ont entretenu des relations ambigües avec le Mujao mais qui ont permis une expression populaire pour éviter une dérive trop grande. Ce qui a fédéré ces populations du nord c’est le fait que le Mnla lors de son intervention à Tombouctou et à Gao a commis des actes contestables et critiquables. Le Mnla a fédéré l’ensemble de ces populations contre lui et cette alliance va perdurer. Si l’on ne prend pas en compte l’opinion de ces populations et de toutes les populations maliennes, je crains fort que ça aille dans le sens de l’affrontement.
Est-ce un faux fuyant que de dire que le problème du nord n’est pas un problème Malien mais plutôt international ?
On ne peut pas contester le fait qu’il y ait des ramifications sur l’ensemble des espaces mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il y ait des liens organiques entre les différentes organisations auto proclamées d’autant qu’on note des spécificités dans l’espace saharo-sahélien. Par exemple, nous avons été en France un certain nombre de personnes à dénoncer l’intervention militaire franco-britannique en Libye parce qu’en plus d’avoir des conséquences larges, elle a libéré les forces djihadistes et les forces tribales. La Libye n’a plus d’existence étatique. Elle est dirigée par des groupes salafistes et tribaux qui étaient bâillonnés à l’époque de Kadhafi. A l’issue de cette intervention, que voit-on ? Le Mali est déstabilisé à partir du nord et devient un espace géostratégique dont les conséquences sont régionales : on a vu ce qui s’est passé en Algérie, au Niger et en Mauritanie et tout ceci engendre une militarisation de l’espace saharo-sahélien par les militaires français. François Hollande l’a dit sans ambages « la transformation de Serval en Barkane va durer », en langage diplomatique cela signifie que Barkane va durer entrer entre six mois et dix ans. Il n’y a aucune opacité donc les forces internationales créent les conditions de subordination des armées nationales aux forces internationales. Le problème c’est qu’elle est la volonté de l’Etat malien à restaurer à la fois l’autorité de l’Etat et de l’armée ? Là, je rebondis sur la coopération avec la Russie. Est-ce que la Russie va permettre à l’armée malienne de se relever puisque cette armée est malade depuis le coup d’état de Sanogo. Comment restructurez cette armée…
Vous mettez sous le coude tout ce que la France a fait en termes de formation des Fama ?
Moi, je ne veux pas qu’on nous prenne pour des pingouins. Vous avez eu en 2003 un programme de formation initié par les américains pour la formation des militaires nationaux avec un budget moyen. Ce programme a été révisé et transformé en TSTCIE 2006-2007 avec un budget triplé avec les mêmes objectifs de former les militaires maliens, nigériens et mauritaniens à la lutte contre le terrorisme. Vous avez vu ce que cette formation a donné ! Aqmi s’installe partout or les objectifs de Barkane sont les mêmes à la différence que Barkane est circonscrit aux anciennes colonies françaises de l’Afrique de l’ouest, Mauritanie, Niger, Tchad et Mali. Finalement il y a un problème avec les militaires maliens. On recommence toujours les mêmes choses avec les militaires maliens. Il ne faut pas perdre la mémoire historique des choses et on ne peut pas appréhender ces problèmes en dehors de la volonté de domination de ces pays sur l’Afrique qui est devenue un pays à forts enjeux au plan économique. Les spécialistes disent que le taux de croissance en Afrique est de deux chiffres. On parle de croissance et non de développement. La croissance bénéficie à qui ? On retombe sur le problème des capacités d’autonomie politique et économique des pays concernés. Est-ce qu’ils en ont les moyens ou sont –ils dans une marge de manœuvre réduite ?
Dernière question plutôt personnelle. Vous n’avez pas peur de vous promener dans la sous-région ?
Je précise la chose suivante : depuis 2009, le ministère des affaires étrangères a classé cette zone rouge et je respecte les consignes autrement dit depuis 2009 je ne quitte pas Bamako et je ne me rends plus dans ce septentrion malien que j’affectionne car le nord représente toute ma jeunesse. Affectivement, je suis blessé. On ne pourra plus retrouver les mêmes ambiances dans ces zones, c’est fini. C’est dramatique. Comment va-t-on sortir de cette situation ? Il faudra un travail politique de fond mais cette volonté politique existe-t-elle ? J’ai mal de voir le Mali dans cette situation. Idem pour le Niger et sa base américaine à Agadez ainsi que les drones américains. Toute cette militarisation de la zone saharo-saharienne me désole
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