L’avenir politique au Mali : LES PREMIÈRES VÉRITÉS D’ALGER
La Médiation a fermement rappelé les lignes rouges encadrant les négociations de paix et va s’employer à recenser les possibilités de rapprochement des positions
Le temps de l’impatience pointe. Les indices ne manquent pas pour attester de la montée d’une humeur populaire qui n’est certes pas porteuse de contestation ouverte. Mais qui laisse entendre de plus en plus fort des attentes répétées de manière pressante, des frustrations exprimées avec une dose d’exaspération et surtout une angoisse de l’avenir qui ne se cache plus guère. Cette humeur se traduit autant par la multiplication de frictions localisées que par le réveil d’un front social plus large qu’endosse aujourd’hui l’UNTM et par les impressionnantes marches organisées par la société civile en faveur d’un Mali uni. Cette ébullition n’est pas à proprement parler inattendue. En effet, la montée de la tension – amenée par des causes diverses – s’est imposée comme une constante dans les premières années des premières mandatures sous la IIIème République. Les insatisfactions qui déferlent avec une radicalité variable font subir chaque fois aux différents Exécutifs leur premier véritable baptême du feu et les gouvernements sont le plus souvent réduits à trouver des solutions en avançant et en écoutant.
La complication située au cœur de 2014 s’avère cependant d’une nature différente de celle des autres années de tension sociale. Tout d’abord, parce que la sortie de l’exceptionnelle situation d’effondrement créée par la double crise politico-sécuritaire de 2012 se révèle beaucoup plus lente qu’espéré sur le plan socioéconomique. Ensuite, et principalement, parce que la situation qui prévaut au Nord du Mali est de plus en plus intensément ressentie par une écrasante majorité de nos compatriotes comme une atteinte intolérable à notre orgueil national. La question du Septentrion, par sa persistance, conglomère toutes les incertitudes sur le rétablissement de la normale dans notre pays. Incertitudes qui se sont accentuées depuis le 21 mai dernier et auxquelles aucune réponse exhaustive et définitive ne peut encore pour le moment être apportée.
Une très forte espérance de solution avait été placée dans la phase II du processus d’Alger et on peut comprendre la déception de nos compatriotes qui retirent de la suspension des travaux une impression d’échec. Cependant, lorsqu’on les examine à froid, les choses sont tout à la fois plus limpides et plus complexes. Limpides, parce qu’en raison des profondes divergences entre les positions des parties – essentiellement sur les questions politiques et institutionnelles – il revient désormais à la Médiation d’explorer les pistes alternatives et de proposer des solutions médianes dans le cadre strict des principes édictés par la communauté internationale et sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin. Complexes, parce que l’ensemble constitué par les groupes armés de la Coordination (HCUA, MNLA, MAA tendance radicale, aile de la CPA restée fidèle à Mohamed Assaleh et dissidence de la CMFPR) s’avère extrêmement hétérogène aussi bien par la diversité des intérêts de ses membres que par la prédisposition de ceux-ci au compromis. Il faut donc accepter dès maintenant la nécessité d’un patient travail de persuasion à mener conjointement par la Médiation, le gouvernement du Mali et même des membres de la Plateforme (MAA tendance modérée, CMFPR originelle et CPA dissidente) pour amener les intransigeants à composer.
UNE PROPOSITION INACCEPTABLE. Mais auparavant, il nous semble indispensable de dissiper une inquiétude qui vient de manière récurrente troubler l’opinion malienne et qui a mobilisé des dizaine de milliers de nos compatriotes dans les récentes marches. Les lignes rouges rappelées par le président de la République sont autant protégées par les autorités maliennes que garanties par la communauté internationale. La CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne et le Conseil de sécurité de l’ONU ont tous, et de manière extrêmement explicite, exprimé depuis 2012 leur attachement au respect de la souveraineté du Mali, de l’intégrité territoriale de celui-ci, du caractère unitaire de notre Etat et de la forme laïque de la République. Ces points qui ne sauraient être remis en cause ont tous été consacrés dans la Feuille de route consensuelle élaborée à Alger le 24 juillet dernier et qui encadre les négociations de paix.
La Coordination avait, le 19 septembre, choisi de sauter délibérément toutes ces barrières pour présenter sa proposition en faveur de l’instauration du fédéralisme, proposition détaillée dans le document (improprement) intitulé « Projet de traité de paix entre le Gouvernement de la République du Mali et la Coordination des Mouvements de l’Azawad ». La réaction de la délégation gouvernementale et de la Médiation à cette démarche fut sans équivoque. La première refusa de discuter d’un document dont le contenu remettait en cause le caractère unitaire de l’Etat malien, tel qu’il a été consacré dans la Constitution de notre pays. Quant aux médiateurs, ils firent savoir aux « fédéralistes » que leur proposition était inacceptable puisque sortant du cadre fixé par la communauté internationale.
Aussi bien le chef de file algérien que les représentants de l’Union africaine et de l’Union européenne demandèrent expressément à la Coordination de reprendre son offre. Mais jusqu’à la dernière séance de négociations qui s’est tenue le 24 septembre dernier, cette exhortation est demeurée sans effet. La Coordination s’est évertuée à répéter que depuis 50 ans, c’est-à-dire depuis la première révolte touarègue de 1963, le fossé de l’incompréhension et des divergences n’avait cessé de s’agrandir entre le gouvernement malien et la dénommée entité de l’Azawad. La création d’un Etat fédéral du Mali avec Mopti comme capitale représentait donc à ses yeux la seule solution possible afin d’assurer la préservation de la souveraineté de notre pays et de l’intégrité territoriale. Quant aux mécanismes qu’il faudrait activer pour mettre en œuvre ce schéma, les tenants du fédéralisme ont tout simplement botté la balle dans le camp du gouvernement malien à qui ils confient la « mission » d’initier l’incontournable révision constitutionnelle et d’obtenir l’assentiment populaire à travers un référendum.
L’attachement de la Coordination à la formule du fédéralisme se comprend aisément. La création d’un hypothétique Etat fédéré de l’Azawad résoudrait, en effet, toute une série de questions essentielles pour les auteurs du « traité ». Des questions politiques tout d’abord. Le MNLA a bâti tout son projet d’implantation sur la proclamation de l’indépendance de l’Azawad et il a réussi à persuader des communautés non seulement de l’inéluctabilité de cette évolution, mais aussi de l’appui que celle-ci recevrait de la part d’un certain nombre de partenaires internationaux. Contraint de rabattre ses prétentions devant la réprobation internationale, le Mouvement était tactiquement obligé de se caler sur un scénario fédéral dans lequel l’entité Azawad se voyait conférer toutes les prérogatives d’un Etat indépendant.
Le scénario présentait aussi l’avantage non négligeable de ventiler dans les institutions de l’Etat fédéré et de l’Etat fédéral l’essentiel du staff politique de la Coordination. La fédération apportait en outre une solution clé en main à l’épineuse question militaire. Dans le « traité de paix », les combattants des mouvements se voyaient intégrés dans « les forces armées et de sécurité de l’Etat de l’Azawad » et placés sous l’autorité du chef d’Etat-major de cet Etat. Une autre possibilité de recrutement était offerte par « les corps spécialisés de sécurité intérieure de l’Azawad ». Sur le plan économique, le traité blindait enfin la possibilité d’un développement accéléré de la nouvelle entité puisqu’il prévoyait l’affectation à l’Etat de l’Azawad de 33% du Budget de l’Etat fédéral pendant 15 ans. Ce taux connaitrait ensuite une dégression de 5% tous les dix ans. En outre, le texte indiquait que l’entité conserverait 75% des ressources générées dans le cadre de l’extraction minière et pétrolière, 25% étant concédés à l’Etat fédéral.
Que peut-il se passer désormais ? Tout d’abord – et comme nous l’avions précisé plus haut -, la Médiation procédera à la synthèse de toutes les positions qu’elle a recueillies et qui proviennent aussi bien du gouvernement du Mali, des groupes armés que des représentants de la société civile qui a été auditionnée une semaine durant avant le début des négociations. Puis, elle recensera les points de convergence et les possibilités de rapprochement pour faire des propositions qui seront soumises aux ministres lors d’une réunion qui se tiendra à la mi-octobre et qui précédera la reprise des négociations au niveau des experts.
L’ENVIRONNEMENT EST MOUVANT. La délégation gouvernementale s’est donc employée à affiner la présentation de son offre en prenant en compte les interrogations formulées par les autres protagonistes et par la Médiation. Cette offre repose sur le principe de la libre administration des collectivités qui confère de très larges compétences aux élus régionaux et locaux dans la gestion du développement et dans la prise en charge des spécificités locales. Ce principe consacré par la régionalisation (dont le projet de loi doit être examiné par l’Assemblée nationale) est, bien sûr, applicable à toutes les collectivités du Mali. Des interlocuteurs ouverts à la négociation admettraient sans peine que la libre administration représente une avancée substantielle par rapport à l’existant et garantit aux populations la possibilité de s’assurer progressivement une réelle maîtrise de leur devenir.
Une chose est certaine : il est peu probable que la Coordination évolue d’elle-même vers des positions plus conciliatrices que celles récemment exprimées. Les plus modérés de ses membres reconnaissent d’ailleurs hors micro la difficulté de se défaire de l’emprise de l’aile radicale. Celle-ci a déjà donné des preuves de son influence en faisant brusquement durcir le discours de « sa » société civile. Celle-ci n’a ainsi pas hésité à récuser la Feuille de route et l’accord préliminaire de Ouagadougou pour demander une partition d’avec le Mali. Les radicaux s’étaient aussi prononcés pendant 48 heures contre le retour à la table de négociations après une interruption survenue le 16 septembre pour finalement accepter le rétablissement du principe des écoutes séparées qui avait prévalu lors de la confection de la Feuille de route. Les radicaux se résoudront-ils à admettre que le scénario de la fédération ne recevra jamais l’assentiment de ni du Mali, ni de la communauté internationale ? Jusqu’où évolueront-ils dans l’inévitable concession ? Il faudra attendre octobre pour avoir un début de réponse à ces questions et pour définir sous quels auspices se dessinera la reprise des négociations.
La plus grande prudence doit donc être observée entretemps, d’autant plus que l’environnement des négociations est lui-même mouvant. Les deux grands ensembles de groupes armés se livrent une lutte continuelle d’influence. En juillet dernier, ils s’étaient accordés à Ouagadougou pour se retrouver tous ensemble autour de la table de négociation pour la phase II du processus d’Alger. Mais l’annonce par le MNLA d’une entente des six groupes armés en faveur de l’option du fédéralisme a immédiatement mis fin à ce début d’entente. Le MAA tendance modérée a aussitôt repris ses distances, suivi d’une fraction de la Coalition pour l’Azawad (CPA) qui a proclamé simultanément la destitution de son fondateur Mohamed Assaleh. Les deux groupes ont reconstitué la Plateforme avec la Coalition des mouvements et fronts patriotiques de résistance (CMFPR). Dans le même temps, une dissidence de la même CMFPR rejoignait la Coordination sans exprimer ouvertement de réserves sur l’option fédérale que certains de ses membres affirment pourtant rejeter lors d’entretiens informels.
Il est compréhensible que cette succession d’alliances et de contre-alliances, cet étalage de surenchères, cette profusion d’intox relayée sans trop de précaution par les médias internationaux aient profondément inquiété, exaspéré ou meurtri l’opinion nationale. Celle-ci a, en effet, l’impression d’assister à un théâtre d’ombres sur lequel se joue un drame dont l’intrigue lui échappe complètement. Elle nourrit également le soupçon que des arrangements aussi secrets qu’inavouables sont ourdis à ses dépens. Les manifestations de Gao, Tombouctou, de Bamako, de Kayes et de Diré expriment donc la volonté des simples citoyens de mener une action s’inscrivant en contrepoint d’un processus dont l’avancée ne leur est pas clairement déchiffrable. Ce bouillonnement populaire constitue la rançon logique de la formule finalement retenue au terme de discussions avec la médiation internationale et qui est celle d’une négociation tenue en dehors du territoire national, qui se déroule hors de la couverture directe des médias et dont l’échéance de dénouement est difficile à fixer.
Les autorités n’ont en fait d’autre solution que d’avancer en acceptant de supporter le poids du scepticisme de la majorité silencieuse. Celle-ci continuera, en effet, à accueillir avec réserve toutes les explications et tous les éclaircissements (même les plus plausibles et les plus détaillés) qui lui seront donnés. Le travail de persuasion ne doit cependant pas faiblir pour autant. Car il n’y aurait rien de plus dangereux que de laisser passivement les préjugés défavorables et les préventions s’ancrer.
G. DRABO
Le temps de l’impatience pointe. Les indices ne manquent pas pour attester de la montée d’une humeur populaire qui n’est certes pas porteuse de contestation ouverte. Mais qui laisse entendre de plus en plus fort des attentes répétées de manière pressante, des frustrations exprimées avec une dose d’exaspération et surtout une angoisse de l’avenir qui ne se cache plus guère. Cette humeur se traduit autant par la multiplication de frictions localisées que par le réveil d’un front social plus large qu’endosse aujourd’hui l’UNTM et par les impressionnantes marches organisées par la société civile en faveur d’un Mali uni. Cette ébullition n’est pas à proprement parler inattendue. En effet, la montée de la tension – amenée par des causes diverses – s’est imposée comme une constante dans les premières années des premières mandatures sous la IIIème République. Les insatisfactions qui déferlent avec une radicalité variable font subir chaque fois aux différents Exécutifs leur premier véritable baptême du feu et les gouvernements sont le plus souvent réduits à trouver des solutions en avançant et en écoutant.
La complication située au cœur de 2014 s’avère cependant d’une nature différente de celle des autres années de tension sociale. Tout d’abord, parce que la sortie de l’exceptionnelle situation d’effondrement créée par la double crise politico-sécuritaire de 2012 se révèle beaucoup plus lente qu’espéré sur le plan socioéconomique. Ensuite, et principalement, parce que la situation qui prévaut au Nord du Mali est de plus en plus intensément ressentie par une écrasante majorité de nos compatriotes comme une atteinte intolérable à notre orgueil national. La question du Septentrion, par sa persistance, conglomère toutes les incertitudes sur le rétablissement de la normale dans notre pays. Incertitudes qui se sont accentuées depuis le 21 mai dernier et auxquelles aucune réponse exhaustive et définitive ne peut encore pour le moment être apportée.
Une très forte espérance de solution avait été placée dans la phase II du processus d’Alger et on peut comprendre la déception de nos compatriotes qui retirent de la suspension des travaux une impression d’échec. Cependant, lorsqu’on les examine à froid, les choses sont tout à la fois plus limpides et plus complexes. Limpides, parce qu’en raison des profondes divergences entre les positions des parties – essentiellement sur les questions politiques et institutionnelles – il revient désormais à la Médiation d’explorer les pistes alternatives et de proposer des solutions médianes dans le cadre strict des principes édictés par la communauté internationale et sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin. Complexes, parce que l’ensemble constitué par les groupes armés de la Coordination (HCUA, MNLA, MAA tendance radicale, aile de la CPA restée fidèle à Mohamed Assaleh et dissidence de la CMFPR) s’avère extrêmement hétérogène aussi bien par la diversité des intérêts de ses membres que par la prédisposition de ceux-ci au compromis. Il faut donc accepter dès maintenant la nécessité d’un patient travail de persuasion à mener conjointement par la Médiation, le gouvernement du Mali et même des membres de la Plateforme (MAA tendance modérée, CMFPR originelle et CPA dissidente) pour amener les intransigeants à composer.
UNE PROPOSITION INACCEPTABLE. Mais auparavant, il nous semble indispensable de dissiper une inquiétude qui vient de manière récurrente troubler l’opinion malienne et qui a mobilisé des dizaine de milliers de nos compatriotes dans les récentes marches. Les lignes rouges rappelées par le président de la République sont autant protégées par les autorités maliennes que garanties par la communauté internationale. La CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne et le Conseil de sécurité de l’ONU ont tous, et de manière extrêmement explicite, exprimé depuis 2012 leur attachement au respect de la souveraineté du Mali, de l’intégrité territoriale de celui-ci, du caractère unitaire de notre Etat et de la forme laïque de la République. Ces points qui ne sauraient être remis en cause ont tous été consacrés dans la Feuille de route consensuelle élaborée à Alger le 24 juillet dernier et qui encadre les négociations de paix.
La Coordination avait, le 19 septembre, choisi de sauter délibérément toutes ces barrières pour présenter sa proposition en faveur de l’instauration du fédéralisme, proposition détaillée dans le document (improprement) intitulé « Projet de traité de paix entre le Gouvernement de la République du Mali et la Coordination des Mouvements de l’Azawad ». La réaction de la délégation gouvernementale et de la Médiation à cette démarche fut sans équivoque. La première refusa de discuter d’un document dont le contenu remettait en cause le caractère unitaire de l’Etat malien, tel qu’il a été consacré dans la Constitution de notre pays. Quant aux médiateurs, ils firent savoir aux « fédéralistes » que leur proposition était inacceptable puisque sortant du cadre fixé par la communauté internationale.
Aussi bien le chef de file algérien que les représentants de l’Union africaine et de l’Union européenne demandèrent expressément à la Coordination de reprendre son offre. Mais jusqu’à la dernière séance de négociations qui s’est tenue le 24 septembre dernier, cette exhortation est demeurée sans effet. La Coordination s’est évertuée à répéter que depuis 50 ans, c’est-à-dire depuis la première révolte touarègue de 1963, le fossé de l’incompréhension et des divergences n’avait cessé de s’agrandir entre le gouvernement malien et la dénommée entité de l’Azawad. La création d’un Etat fédéral du Mali avec Mopti comme capitale représentait donc à ses yeux la seule solution possible afin d’assurer la préservation de la souveraineté de notre pays et de l’intégrité territoriale. Quant aux mécanismes qu’il faudrait activer pour mettre en œuvre ce schéma, les tenants du fédéralisme ont tout simplement botté la balle dans le camp du gouvernement malien à qui ils confient la « mission » d’initier l’incontournable révision constitutionnelle et d’obtenir l’assentiment populaire à travers un référendum.
L’attachement de la Coordination à la formule du fédéralisme se comprend aisément. La création d’un hypothétique Etat fédéré de l’Azawad résoudrait, en effet, toute une série de questions essentielles pour les auteurs du « traité ». Des questions politiques tout d’abord. Le MNLA a bâti tout son projet d’implantation sur la proclamation de l’indépendance de l’Azawad et il a réussi à persuader des communautés non seulement de l’inéluctabilité de cette évolution, mais aussi de l’appui que celle-ci recevrait de la part d’un certain nombre de partenaires internationaux. Contraint de rabattre ses prétentions devant la réprobation internationale, le Mouvement était tactiquement obligé de se caler sur un scénario fédéral dans lequel l’entité Azawad se voyait conférer toutes les prérogatives d’un Etat indépendant.
Le scénario présentait aussi l’avantage non négligeable de ventiler dans les institutions de l’Etat fédéré et de l’Etat fédéral l’essentiel du staff politique de la Coordination. La fédération apportait en outre une solution clé en main à l’épineuse question militaire. Dans le « traité de paix », les combattants des mouvements se voyaient intégrés dans « les forces armées et de sécurité de l’Etat de l’Azawad » et placés sous l’autorité du chef d’Etat-major de cet Etat. Une autre possibilité de recrutement était offerte par « les corps spécialisés de sécurité intérieure de l’Azawad ». Sur le plan économique, le traité blindait enfin la possibilité d’un développement accéléré de la nouvelle entité puisqu’il prévoyait l’affectation à l’Etat de l’Azawad de 33% du Budget de l’Etat fédéral pendant 15 ans. Ce taux connaitrait ensuite une dégression de 5% tous les dix ans. En outre, le texte indiquait que l’entité conserverait 75% des ressources générées dans le cadre de l’extraction minière et pétrolière, 25% étant concédés à l’Etat fédéral.
Que peut-il se passer désormais ? Tout d’abord – et comme nous l’avions précisé plus haut -, la Médiation procédera à la synthèse de toutes les positions qu’elle a recueillies et qui proviennent aussi bien du gouvernement du Mali, des groupes armés que des représentants de la société civile qui a été auditionnée une semaine durant avant le début des négociations. Puis, elle recensera les points de convergence et les possibilités de rapprochement pour faire des propositions qui seront soumises aux ministres lors d’une réunion qui se tiendra à la mi-octobre et qui précédera la reprise des négociations au niveau des experts.
L’ENVIRONNEMENT EST MOUVANT. La délégation gouvernementale s’est donc employée à affiner la présentation de son offre en prenant en compte les interrogations formulées par les autres protagonistes et par la Médiation. Cette offre repose sur le principe de la libre administration des collectivités qui confère de très larges compétences aux élus régionaux et locaux dans la gestion du développement et dans la prise en charge des spécificités locales. Ce principe consacré par la régionalisation (dont le projet de loi doit être examiné par l’Assemblée nationale) est, bien sûr, applicable à toutes les collectivités du Mali. Des interlocuteurs ouverts à la négociation admettraient sans peine que la libre administration représente une avancée substantielle par rapport à l’existant et garantit aux populations la possibilité de s’assurer progressivement une réelle maîtrise de leur devenir.
Une chose est certaine : il est peu probable que la Coordination évolue d’elle-même vers des positions plus conciliatrices que celles récemment exprimées. Les plus modérés de ses membres reconnaissent d’ailleurs hors micro la difficulté de se défaire de l’emprise de l’aile radicale. Celle-ci a déjà donné des preuves de son influence en faisant brusquement durcir le discours de « sa » société civile. Celle-ci n’a ainsi pas hésité à récuser la Feuille de route et l’accord préliminaire de Ouagadougou pour demander une partition d’avec le Mali. Les radicaux s’étaient aussi prononcés pendant 48 heures contre le retour à la table de négociations après une interruption survenue le 16 septembre pour finalement accepter le rétablissement du principe des écoutes séparées qui avait prévalu lors de la confection de la Feuille de route. Les radicaux se résoudront-ils à admettre que le scénario de la fédération ne recevra jamais l’assentiment de ni du Mali, ni de la communauté internationale ? Jusqu’où évolueront-ils dans l’inévitable concession ? Il faudra attendre octobre pour avoir un début de réponse à ces questions et pour définir sous quels auspices se dessinera la reprise des négociations.
La plus grande prudence doit donc être observée entretemps, d’autant plus que l’environnement des négociations est lui-même mouvant. Les deux grands ensembles de groupes armés se livrent une lutte continuelle d’influence. En juillet dernier, ils s’étaient accordés à Ouagadougou pour se retrouver tous ensemble autour de la table de négociation pour la phase II du processus d’Alger. Mais l’annonce par le MNLA d’une entente des six groupes armés en faveur de l’option du fédéralisme a immédiatement mis fin à ce début d’entente. Le MAA tendance modérée a aussitôt repris ses distances, suivi d’une fraction de la Coalition pour l’Azawad (CPA) qui a proclamé simultanément la destitution de son fondateur Mohamed Assaleh. Les deux groupes ont reconstitué la Plateforme avec la Coalition des mouvements et fronts patriotiques de résistance (CMFPR). Dans le même temps, une dissidence de la même CMFPR rejoignait la Coordination sans exprimer ouvertement de réserves sur l’option fédérale que certains de ses membres affirment pourtant rejeter lors d’entretiens informels.
Il est compréhensible que cette succession d’alliances et de contre-alliances, cet étalage de surenchères, cette profusion d’intox relayée sans trop de précaution par les médias internationaux aient profondément inquiété, exaspéré ou meurtri l’opinion nationale. Celle-ci a, en effet, l’impression d’assister à un théâtre d’ombres sur lequel se joue un drame dont l’intrigue lui échappe complètement. Elle nourrit également le soupçon que des arrangements aussi secrets qu’inavouables sont ourdis à ses dépens. Les manifestations de Gao, Tombouctou, de Bamako, de Kayes et de Diré expriment donc la volonté des simples citoyens de mener une action s’inscrivant en contrepoint d’un processus dont l’avancée ne leur est pas clairement déchiffrable. Ce bouillonnement populaire constitue la rançon logique de la formule finalement retenue au terme de discussions avec la médiation internationale et qui est celle d’une négociation tenue en dehors du territoire national, qui se déroule hors de la couverture directe des médias et dont l’échéance de dénouement est difficile à fixer.
Les autorités n’ont en fait d’autre solution que d’avancer en acceptant de supporter le poids du scepticisme de la majorité silencieuse. Celle-ci continuera, en effet, à accueillir avec réserve toutes les explications et tous les éclaircissements (même les plus plausibles et les plus détaillés) qui lui seront donnés. Le travail de persuasion ne doit cependant pas faiblir pour autant. Car il n’y aurait rien de plus dangereux que de laisser passivement les préjugés défavorables et les préventions s’ancrer.
G. DRABO
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