11 novembre 2013
Cet article a été publié dans le journal en ligne huffingtonpost.fr.
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Je viens de voir ces images terrifiantes. Les caisses débarquées d’un avion de l’armée française. Les larmes coulent, enfin, et ça fait du bien.
Vous êtes allés trouver la mort dans ce Sahara que j’aime tant et depuis si longtemps, dans ce Sahara que je ne reconnais plus.
A Kidal en juillet dernier il y avait tous ces types un peu louches, les miliciens, les faiseurs, les menteurs et les salauds.
On en rigolait, d’ailleurs, avec l’ami touareg qui nous avait emmenés jusque là. Quand il réussissait à nous désembourber. Quand il faisait repartir la voiture après une crevaison. Il ne criait plus « yaouha » mais « Allah akhbar », parce que c’est ça que les gamins ils disent maintenant… ça nous faisait marrer, parce qu’il oubliait et qu’il se trompait à chaque fois.
A Kidal il y avait des ex-islamistes qui ne faisaient pas le ramadan. Il y avait les enfants les plus mal élevés du monde, qui criaient « azawad, Mali non » en te faisant les poches. Il y avait des cadres ventripotents qui venaient dormir sous la clim en pleurnichant sur les malheurs du peuple touareg. Il y avait ces femmes, réfugiées avec leurs bébés dans le camp de l’armée malienne, parce que leurs pères et leurs maris combattaient dans l’armée du Mali et qu’elles ne pouvaient plus mettre le nez dehors sans se faire caillasser. Il y avait aussi des tas de gens qui y croyaient. A un avenir meilleur. A la justice. Hors du Mali, ou dans le Mali.
Des vieux qui ont passé des heures à genoux, le matin du vote, à essayer de recoller des morceaux de listes électorales. Le vent avait soufflé très fort, deux jours plus tôt. Les listes scotchées au murs étaient en volées. On en avait rattrapé des petits bouts, qu’on avait posé par terre sous des briques, et les vieux regardaient les noms un par un, patiemment, parce qu’ils voulaient absolument trouver leur bureau de vote et faire entendre leur voix.
Oui, c’est n’importe quoi, Kidal.
Le lendemain des élections, on avait rendez-vous à cinq heures du matin avec les militaires maliens, pour se joindre au convoi qui partait vers Gao. On est arrivés à cinq à l’heure, avec la trouille au ventre de se faire tirer dessus, en plus la veille on s’était un peu embrouillés avec le colonel… mais quand on est arrivés, alors que l’aube pointait à peine et qu’on n’en menait pas large, on ne pouvait pas entrer dans le camp.
Il avait plu pendant la nuit, une énorme première pluie de la saison.
Et la route devant le camp, eh bien, plus de route. L’oued s’était rempli. Un torrent.
On s’est garés de l’autre côté, on les a regardés s’embourber les uns a la suite des autres pour sortir de la caserne. .
Pendant ce temps là, le boulanger était arrivé, avec ses baguettes toutes fraîches sur sa moto. Il ne voulait pas traverser, il y avait trop d’eau. Mais la sentinelle ne voulait pas se mouiller. Finalement, c’est le boulanger qui a garé sa moto, mis le sac de pain sur sa tête et qui est parti, presque à la nage, apporter le petit déjeuner des soldats.
La ville de Kidal était bien gardée.
Oui c’est n’importe quoi, Kidal.
On ne savait pas qui était qui. On voyait les gens trois fois et ils nous tenaient trois discours différents. Tout le monde mentait, tout le monde le savait, et tout le monde faisait semblant de ne rien remarquer.
Au retour, j’ai partagé le lait et le thé avec quelques uns des hommes du général Gamou, le détachement d’ex-rebelles touaregs, intégrés dans l’armée malienne, qui sont passés au Niger après le coup d’état et qui ont ensuite servi d’avant-garde dans la lutte contre les djihadistes.
L’un d’entre eux regardait ce camp d’Anefis, au sud de Kidaĺ, ou plutôt ce qu’il en restait. Et il se demandait à voix haute pourquoi des gens qui prétendaient administrer la région avaient commencé par en détruire les infrastructures.
Oui c’est n’importe quoi Kidal. Oui.
Mais moi je ne peux pas vivre sans la transparence de l’air du Sahara.
Je ne peux pas vivre sans ces rues bordées de sable, sans ces villes qui ne ressemblent à rien, sans l’émotion de la fleur qui pousse en plein désert.
Je ne peux pas vivre sans les amitiés nomades -pas de chichis, on est loin, on peut ne pas se parler pendant des années mais on est là. On s’aime et on se fait confiance.
Je ne peux pas, je ne veux pas croire que cette région soit désormais interdite.
Ghislaine, Claude, c’est con mais je pense juste à une chose.
J’espère juste que la nuit d’avant vous l’avez passée dehors, à l’hôtel « mille étoiles ».
J’ai tellement de chagrin
Mais s’il vous plaît ne mélangez pas tout. Ils ne sont pas tous pourris. Ils ne sont pas tous méchants.
Vous avez sûrement retrouvé Mano, là haut.
Mano Dayak, mon ami, mon grand frère. Je suis sûre qu’il est horrifié par tout ce qui se passe.
S’il vous plaît, dites-lui juste qu’on est toujours là.
Dites-lui juste qu’on en a marre de pleurer.
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Je viens de voir ces images terrifiantes. Les caisses débarquées d’un avion de l’armée française. Les larmes coulent, enfin, et ça fait du bien.
Vous êtes allés trouver la mort dans ce Sahara que j’aime tant et depuis si longtemps, dans ce Sahara que je ne reconnais plus.
A Kidal en juillet dernier il y avait tous ces types un peu louches, les miliciens, les faiseurs, les menteurs et les salauds.
On en rigolait, d’ailleurs, avec l’ami touareg qui nous avait emmenés jusque là. Quand il réussissait à nous désembourber. Quand il faisait repartir la voiture après une crevaison. Il ne criait plus « yaouha » mais « Allah akhbar », parce que c’est ça que les gamins ils disent maintenant… ça nous faisait marrer, parce qu’il oubliait et qu’il se trompait à chaque fois.
A Kidal il y avait des ex-islamistes qui ne faisaient pas le ramadan. Il y avait les enfants les plus mal élevés du monde, qui criaient « azawad, Mali non » en te faisant les poches. Il y avait des cadres ventripotents qui venaient dormir sous la clim en pleurnichant sur les malheurs du peuple touareg. Il y avait ces femmes, réfugiées avec leurs bébés dans le camp de l’armée malienne, parce que leurs pères et leurs maris combattaient dans l’armée du Mali et qu’elles ne pouvaient plus mettre le nez dehors sans se faire caillasser. Il y avait aussi des tas de gens qui y croyaient. A un avenir meilleur. A la justice. Hors du Mali, ou dans le Mali.
Des vieux qui ont passé des heures à genoux, le matin du vote, à essayer de recoller des morceaux de listes électorales. Le vent avait soufflé très fort, deux jours plus tôt. Les listes scotchées au murs étaient en volées. On en avait rattrapé des petits bouts, qu’on avait posé par terre sous des briques, et les vieux regardaient les noms un par un, patiemment, parce qu’ils voulaient absolument trouver leur bureau de vote et faire entendre leur voix.
Oui, c’est n’importe quoi, Kidal.
Le lendemain des élections, on avait rendez-vous à cinq heures du matin avec les militaires maliens, pour se joindre au convoi qui partait vers Gao. On est arrivés à cinq à l’heure, avec la trouille au ventre de se faire tirer dessus, en plus la veille on s’était un peu embrouillés avec le colonel… mais quand on est arrivés, alors que l’aube pointait à peine et qu’on n’en menait pas large, on ne pouvait pas entrer dans le camp.
Il avait plu pendant la nuit, une énorme première pluie de la saison.
Et la route devant le camp, eh bien, plus de route. L’oued s’était rempli. Un torrent.
On s’est garés de l’autre côté, on les a regardés s’embourber les uns a la suite des autres pour sortir de la caserne. .
Pendant ce temps là, le boulanger était arrivé, avec ses baguettes toutes fraîches sur sa moto. Il ne voulait pas traverser, il y avait trop d’eau. Mais la sentinelle ne voulait pas se mouiller. Finalement, c’est le boulanger qui a garé sa moto, mis le sac de pain sur sa tête et qui est parti, presque à la nage, apporter le petit déjeuner des soldats.
La ville de Kidal était bien gardée.
Oui c’est n’importe quoi, Kidal.
On ne savait pas qui était qui. On voyait les gens trois fois et ils nous tenaient trois discours différents. Tout le monde mentait, tout le monde le savait, et tout le monde faisait semblant de ne rien remarquer.
Au retour, j’ai partagé le lait et le thé avec quelques uns des hommes du général Gamou, le détachement d’ex-rebelles touaregs, intégrés dans l’armée malienne, qui sont passés au Niger après le coup d’état et qui ont ensuite servi d’avant-garde dans la lutte contre les djihadistes.
L’un d’entre eux regardait ce camp d’Anefis, au sud de Kidaĺ, ou plutôt ce qu’il en restait. Et il se demandait à voix haute pourquoi des gens qui prétendaient administrer la région avaient commencé par en détruire les infrastructures.
Oui c’est n’importe quoi Kidal. Oui.
Mais moi je ne peux pas vivre sans la transparence de l’air du Sahara.
Je ne peux pas vivre sans ces rues bordées de sable, sans ces villes qui ne ressemblent à rien, sans l’émotion de la fleur qui pousse en plein désert.
Je ne peux pas vivre sans les amitiés nomades -pas de chichis, on est loin, on peut ne pas se parler pendant des années mais on est là. On s’aime et on se fait confiance.
Je ne peux pas, je ne veux pas croire que cette région soit désormais interdite.
Ghislaine, Claude, c’est con mais je pense juste à une chose.
J’espère juste que la nuit d’avant vous l’avez passée dehors, à l’hôtel « mille étoiles ».
J’ai tellement de chagrin
Mais s’il vous plaît ne mélangez pas tout. Ils ne sont pas tous pourris. Ils ne sont pas tous méchants.
Vous avez sûrement retrouvé Mano, là haut.
Mano Dayak, mon ami, mon grand frère. Je suis sûre qu’il est horrifié par tout ce qui se passe.
S’il vous plaît, dites-lui juste qu’on est toujours là.
Dites-lui juste qu’on en a marre de pleurer.
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