maliweb.net - Entretien réalisé par Aly Enéba Guindo Kidal : Ce que valait réellement Intallah Ag Attaher
Intallah Ag Attaher, le patriarche de la tribu des Ifoghas, une des centaines de tribus de la minorité touarègue du Mali, est mort le 18 décembre dernier à 21 heures à Kidal. Si pour des raisons religieuses et d’Etat, des Maliens, dont les autorités politiques, se sont émus et attristés de sa disparition, nombreux sont ceux qui retiennent de l’homme l’image d’un loup déguisé en
agneau. D’un chef de guerre mué en architecte de paix, innocent comme un nouveau-né. Le Führer dans la tunique de Mahatma Gandhi ! Mais que valait-il vraiment ?
Il n’est pas facile de parler du personnage tant il était versatile ; arborant tantôt le manteau de la colombe, tantôt celui de parrain des rébellions touarègues cycliques que le Mali connaît depuis justement son intronisation comme amenokal (chef coutumier de la tribu des Ifoghas de la région de Kidal) au début des années 1960.
L’homme n’avait jamais vraiment aimé être dans une république réductrice de ses prérogatives et de surcroît dominée par des nègres, « si noirs de la tête jusqu’aux pieds » pour parler comme Montesquieu et qui, ailleurs, auraient pu être ses très dociles sujets. Ses vassaux. Mais dès les premières heures de l’Indépendance la république du Mali (dont il n’est nul besoin de rappeler ici que les bases ont été pensées depuis l’Empire Songhoy de Gao, notamment sous le règne de la dynastie des Askia), Intallah Ag Attaher et ses obligés avaient tenté de se départir du nouvel Etat. La répression a été telle que l’homme qui était des maquisards revient négocier la paix avec le pouvoir socialiste d’alors dirigé par Modibo Kéita.
L’homme est « inscrit » député à l’Assemblée Nationale, parce qu’il n’y avait jamais vraiment d’élection dans cette zone jusqu’à une date très récente et à plusieurs reprises. Le pouvoir autocratique de Moussa Traoré ne donnera pas d’occasion à une insurrection rebelle. Mais il remettra ça au début des années 1990, avec la deuxième grande rébellion touarègue. Là également, il jouera le même rôle. Oncle, père ou cousin des principaux chefs rebelles, il réussira à ramener certains maquisards à déposer les armes, sans pour autant réussir à les contenir véritablement. Parce qu’en réalité, selon les rapports de forces, l’homme a su assumer le double rôle qu’il a toujours joué.
Il en sera de même en 2006, quand l’Alliance du 23 mai pour le changement s’attaque aux positions de l’armée régulière malienne.
2012 ou la confirmation…
Son vrai visage, il le montre au crépuscule de son existence. La dualité. Son caractère protéiforme. Depuis 2012, les rebelles touaregs du Mnla et d’Ançar Eddine, dirigés respectivement par ses neveux Iyad Ag Ghali et Bilal Ag Achérif et Mohamed Ag Najeem, rentrés de Libye et son fils Alghabass Ag Intallah ont le vent en poupe. Le vieux « sage » donne des conseils éclairés à ses petits-neveux et les rassure de son soutien, en vue de la création d’un Etat islamique touareg. Un vieux rêve qui est en passe de se matérialiser pour lui. « La seule façon pour garantir la paix entre les populations du Mali, c’est une séparation entre les Blancs et les Nègres », avait-il en substance dit dans son dernier entretien à la presse. Et qui résume toute sa personnalité. Alors que quelques semaines plus tôt, il tenait un discours plutôt neutre, lucide et conciliateur à Mohamed Ag Elmehdi de la tribu des Kel Ansar, envoyé spécial du président de la République à Kidal. A Elmehdi, il disait vouloir tenir une rencontre réunissant « toutes les populations de l’Azawad….» et que celles-ci devraient décider par elles-mêmes de leur avenir avec l’Etat central, à Kidal. Comme s’il était le chef naturel des habitants du nord du Mali. A moins, bien sûr, que son Azawad se limite aux frontières actuelles de la région de Kidal, où il n’y a pas que des Ifoghas et pour tout le monde il n’est pas forcément l’amenokal.
Cela n’empêche pas tout de même certains « spécialistes » virtuels et grands lecteurs de mythes sahariens de le considérer et le faire passer pour le plus « écouté », le plus « influent » et le plus « sage » homme du « Nord du Mali » et dont le choix du successeur « déterminera l’avenir du Mali », comme le laisse entendre un média international.
Qui a fabriqué le mythe Intallah ?
La France coloniale. Tout le monde sait que dans l’histoire du Mali, la tribu des Ioullimiden de Ménaka était la plus célèbre et la plus résistante de toute la communauté touarègue à l’envahisseur français. Pour briser la suprématie des Ioullimiden de Ménaka, la France coloniale a pratiqué la politique de l’inversion de la pyramide sociale en faisant des Ifoghas ses alliés privilégiés au sein de la communauté amazigh du Mali, au détriment bien attendu des Ioullimiden et des Kel Ansar, des Imghad largement majoritaires, mais plus hostiles à sa politique coloniale.
Depuis, la tribu des Ifoghas a été imposée et imprimée dans le subconscient des Maliens et des « admirateurs » de mythe comme celle de l’élite, qui doit commander aux autres touaregs et par extension à tous les Maliens du nord. Et donc, représentative de toute la grande communauté touarègue, qui elle-même est, rappelons-le une fois encore, minoritaire dans un nord du Mali majoritairement et démolinguistiquement dominé par des Noirs dont les Songhays, les Bellah (touaregs noirs) et les Peulhs et Sorkos (pêcheurs assimilés à des Bozos).
L’erreur des autorités maliennes a toujours été de continuer à jouer le même jeu en accordant plus d’importance à cette famille qu’à toutes les autres populations du nord du Mali, quand bien même il est connu de tous que c’est d’elle que le feu est toujours parti. Cette situation crée la frustration au sein même de la communauté qui n’est pas des plus homogènes qui soit ! Est-il besoin ici de rappeler que la communauté touarègue est la seule du Mali à avoir conservé son organisation sociale intacte dans une république unitaire qui l’a abrogée partout ailleurs sur son territoire ? Un traitement de faveur que d’aucuns ne cessent de dénoncer.
D’ailleurs, souvent, lorsque le chef coutumier des Ifoghas s’est retrouvé du côté de l’Etat, il y a trouvé protection contre d’autres Touaregs. Un risque sur ses intérêts au sein de la communauté touarègue. Son enlèvement par les Imghads lors de la crise des années 1990 en était une parfaite illustration. L’on sait que les Ifoghas et de nombreuses tribus touarègues se regardent en chiens de faïence, justement à cause de cette pseudo-hégémonie de la famille Intallah. Une famille qui, pour préserver ses intérêts, est capable de sacrifier celui de toute une communauté qu’elle prétend représenter.
Comment comprendre qu’Alghabass Ag Intallah soit un « bon islamiste » pour la France et éligible à la table des négociations et non son chef de guerre à Ançar Eddine et cousin Iyad Ag Ghaly « un dangereux terroriste », dont la tête est mise à prix, mort ou vivant par la CIA ? Comment comprendre la volte-face et la création circonstancielle du MIA de recyclage des terroristes (Mouvement islamique de l’Azawad) mué en HCUA (Haut conseil pour l’Unité de l’Azawad) justement en pleine intervention militaire française au Mali et dont l’objectif était précisément à traquer les éléments terroristes dont ceux d’Ançar Eddine ? Rien qu’une volonté de préserver une position élitiste que tout le monde a forgée.
L’Etat hypocrite…ou naïf ?
Dès l’annonce du décès de l’homme, le Chef de l’Etat, le chef du gouvernement et plusieurs personnalités politiques et civiles ont rendu un hommage mérité à ce « patriote infatigable » et « artisan de la paix auquel la nation meurtrie du Mali reste indéfiniment reconnaissante ».
Mais la réalité était toute autre et ni le président IBK ni son Premier ministre, Mara (surtout lui), encore moins le peuple du Mali dans son écrasante majorité ne sont dupes. Chacun devait, au nom de l’Etat ou de l’islam regretter et s’émouvoir de la mort d’un citoyen, d’un semblable, mais chacune de ces personnes savait en son for intérieur qu’Intallah Ag Attaher n’était pas ce bâtisseur de la paix qu’on croyait.
Tel père, tel fils ?
Rendre hommage à cet homme était un acte républicain de haute posture et il ne pouvait en être autrement. Les psychologues et plus logiques diraient que les derniers actes du patriarche n’étaient pas réfléchis car pouvant relever du délire. Car, l’homme était en réalité assez fatigué physiquement et mentalement traumatisé. Il n’avait plus d’avenir, mais que de souvenirs.
Aussi pensons-nous qu’il mérite de reposer en paix et le peuple du Mali doit retrouver enfin la paix qu’il a tant recherchée. Mais nous ne jugerons pas le fils par les actes du père. Ce serait irrationnel. Plein succès donc à Mohamed Ag Intallah, le nouvel amenokal de Kidal, même si l’on sait que son avènement n’influerait pas radicalement sur la position de la famille. Le vieux a eu suffisamment de temps pour inculquer à ses enfants ses idéaux rebelles.
Amadou Salif Guindo
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