La rébellion touarègue au Nord du Mali est presqu’aussi vieille que les indépendances du pays. Le Mali actuel est le quatrième pays d’Afrique par sa superficie. Les Touaregs sont des Berbères nomades qui se répartissent entre plusieurs pays du Sahel dont le Mali, Niger, l’Algérie, la Libye, la et le Burkina Faso. Ils représentent moins du dixième de la population au Mali et sont estimés à environ 550 000 habitants. Depuis le début du XXe siècle, ils sont à l’origine de plusieurs insurrections généralement baptisées ‘’rébellion touarègue’’, contre l’Etat malien. De 1960 à nos jours, le Mali a connu cinq vagues de rebellions plus ou moins structurées, qui ont fait l’objet de plusieurs négociations de paix, aboutissant à des accords sans cesse violées par les différents protagonistes. Les véritables causes de ces différentes crises sont multiples et pourraient s’analyser sous divers angles.
Les nomades du désert ont toujours eu le sang chaud, prompts à se rebeller contre l’autorité. À partir de 1958, le Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), revendique la constitution d’un État touareg. Entre 1962 et 1964, la première rébellion touarègue oppose les Touaregs au Nord (minoritaire), à l’élite noire au pouvoir au Sud (majoritaire) et constituant 90% de la population. Cette insurrection de la tribu des Ifoghas, une tribu de pasteurs noble et maraboutique, limitée à la région de Kidal, est sévèrement réprimée par l’armée malienne qui poursuit ses détracteur jusqu’à l’intérieur des terres algériennes. Sans intervention extérieure, le Mali sous Modibo Keita arrive à bout de sa première rébellion postindépendance.
La sécheresse de 1974
Les sécheresses de 1968, 1974 et 1985 ont eu des conséquences désastreuses sur la vie des populations au Nord du Mali. Ces sécheresses, elles même conséquence du réchauffement climatique ont affamé des milliers de Touaregs, tuant au passage hommes femmes enfants, bétail et poussant ces peuples nomades dans les villes du Sud. Youssouf Traoré, ancien cadre de l’administration et médaillé d’or de l’indépendance a sillonné le Nord en 1974. Il raconte : « J’ai parcouru les camps de Tombouctou, Bourème, Raousse, Gao, Dansogo, Menneka, Kidal. C’était atroce. Les Touaregs ont souffert pendant cette grande sécheresse de 1974. Ils ont tout perdu, les hommes, les animaux. » La longue sécheresse de 72-74 a occasionné un déplacement massif des Touaregs vers les pays frontaliers du Mali dont l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, etc. Ces milliers de jeunes Touaregs désœuvrés constitueront une aubaine pour Mouammar Kadhafi. Car ce dernier les enrôle dans son armée et fait d’eux des combattants aguerris. Ils retourneront plus tard, à la chute du guide, leurs armes contre leur pays.
L’arrivée des djihadistes
De nouveaux acteurs contribuent à fragiliser encore davantage une région déjà explosive. Aux indépendantistes touaregs « laïcs », s’ajoutent des groupes « salafistes » et « djihadistes ». Le plus connu se fait appeler Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Essentiellement composé d’Algériens et de Mauritaniens, AQMI est né sur ce qui reste du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Un mouvement initialement algérien, né pendant la guerre civile, encore plus radical que le Groupe islamique armé (GIA), et dont les liens avec les services secrets de ce pays ont toujours été troubles. AQMI et ses satellites se déplacent avec de l’essence qui ne peut venir que d’Algérie. Les mêmes routes voient transiter armes et matériel. Dont des missiles issus des arsenaux libyens après la chute du régime de Kadhafi en 2011.
Le Sahel : arrière-cour de Kadhafi et des généraux algériens
Le régime des généraux algériens considère le Sahel comme l’un de ses prés carrés stratégiques. Il n’a jamais stoppé son influence, directe ou indirecte, sur les 1 400 kilomètres de frontière que l’Algérie partage avec le Mali. Certains analystes comparent le double jeu des services secrets algériens dans le Sahel à l’attitude des services secrets pakistanais, vis-à-vis des talibans afghans. L’Algérie n’est pas seule au Sahel. Elle s’est confrontée à l’influence de la Libye de Kadhafi. Pendant des années, le défunt colonel a poussé ses pions dans la région. Recevant par vagues successives une partie des combattants touaregs qu’il a soit intégrés à des unités spéciales libyennes, soit structurés autour de groupes touaregs spécifiques. En 1981, Kadhafi est à l’origine du mouvement fantoche « Front populaire pour la libération du Sahara ». « Pour manipuler les Touaregs, dont le MNLA, il suffisait à Kadhafi d’héberger dans ses hôtels quelques leaders touaregs pendant quelques jours, de boire un thé et du lait et puis de leur remettre des enveloppes pleines de dollars », raconte un ancien du mouvement.
Les conséquences de la chute de Kadhafi
En plus de ses investissements lourds, Kadhafi multiplie les financements à petite échelle : écoles, dispensaires ou routes dans l’ensemble du Mali. Lorsque Kadhafi et son régime disparaissent, ce sont d’un côté de très nombreuses armes et des centaines d’hommes aguerris qui s’exilent dans le Sahel ; et de l’autre, des flux de plusieurs centaines de milliers d’euros qui se tarissent. Pour un pays dont plus de la moitié de la population vit avec moins d’un dollar par jour, c’est une importante manne qui s’envole. Après avoir appuyé militairement le renversement du régime libyen, les puissances de l’Otan auraient dû prévoir ce vide causé par la chute du colonel et le combler. Cela n’a pas été fait.
Les pétrodollars saoudiens et qataris
Une dernière source de financement des acteurs de la région – et un autre facteur de déstabilisation – est l’argent qui vient du Golfe persique. Des intérêts saoudiens et Qataris soutiennent financièrement des djihadistes salafistes du Sahel. Comparée au Kidnapping, à l’arsenal libyen et au trafic de drogue, cette ressource n’est pas la plus importante.
L’échec du modèle français et américain de sécurité
Pourtant, la France et les États-Unis ont sensiblement investi dans l’armée malienne. Elle bénéficie de programmes spécifiques pour se moderniser. Depuis 1998, la France, suivi par l’Union européenne, a mis en œuvre l’initiative Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) en Afrique en général et au Mali en particulier. Recamp était censé «soutenir des actions de formation de cadres et d’unités en vue d’opérations de maintien de la paix, organiser des exercices au profit de ces unités africaines formées et entraînées, et enfin fournir équipements et matériels aux forces africaines qui seraient réellement engagées pour une opération de maintien de la paix sur le continent africain», explique le général de division Michel Klein, de la Fondation pour la recherche stratégique. En dépit des millions d’euros, et alors que Recamp a longtemps été vanté comme un modèle de stabilisation, les capacités de l’armée malienne ne se sont pas renforcées. Loin de là.
Les États-Unis ne sont pas en reste. Le 11 septembre 2001 et l’émergence de la Chine accélèrent l’implication états-unienne en Afrique de l’Ouest. L’administration Bush lance l’initiative pan-sahélienne (Pan Sahel Initiative), qui devient en 2005 la «Trans-Sahel Counterterrorism Initiative». Elle intègre les Etats sahéliens plus le Nigeria et le Ghana, pour une dépense globale de plus de 500 millions de dollars. La majeure partie de cette aide est constituée d’ouverture de crédits en vue d’acheter du matériel militaire américain. Les opérations états-uniennes en Afrique, des drones décollant de Djibouti aux avions cargos atterrissant en Mauritanie, sont coordonnées depuis l’African Command, créé en 2007 et situé en Allemagne. A l’instar de l’exemple français, le modèle américain de sécurité pour le Mali est un échec. Pire, il est peut-être à l’origine de l’accélération du conflit. Car, dans la poursuite de la « War On Terror » (Guerre au terrorisme) de Bush, Washington concentre son attention sur les aspects militaires, ignorant la réalité politique et même sociale des pays concernés, dont les questions de la corruption et de la pauvreté.
Adaptation : O. Roland
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