Texte intégral
1Scolariser les nomades par les méthodes françaises d’enseignement posa problème aux autorités coloniales compte-tenu des mouvements de transhumance qui ne permettent pas aux enfants de se rendre quotidiennement dans un établissement fixe pour y suivre les cours d’un maître.
“Il a donc fallu, puisque l’enfant ne peut aller à l’école, que l’école allât à l’enfant ou plutôt qu’elle se fît nomade” (Anonyme : 75-76).
2C’est en 1917, dans le cercle de Goundam, au Haut-Sénégal-Niger (qui deviendra Soudan Français puis Mali) que sont créées les deux premières “écoles nomades”, écoles installées dans les campements des chefs de tribu (dont elles suivent les déplacements) et dispensant un enseignement du niveau du Cours Préparatoire métropolitain.
- 1 Ainsi cet article d'A. Bourgeot, qui affirme que “dans l'ensemble du pays touareg, les premières é (...)
- 2 II s'agit des rapports politiques annuels rédigés par le lieutenant-gouverneur du Soudan Français (...)
3Le débat sur la scolarisation des nomades, souvent ouvert sur la période postérieure à 1945 (où l’enseignement nomade connut, il est vrai, un essor remarquable) occulte alors fréquemment ce premier essai1 Nous nous proposons donc de présenter ici ce que nous apprennent les archives coloniales françaises sur ces premières écoles. A travers les rapports périodiques des administrateurs au lieutenant-gouverneur ou au gouverneur général2, nous pourrons tenter de comprendre les raisons qui ont mené à leur ouverture et celles qui ont contraint l’administration coloniale à les fermer soudain en 1927. A cette époque, une figure se distingua parmi les Kel Intessar pour son action en faveur de l’enseignement des nomades : il s’agit de Mohamed Ali, chef de cette tribu, qui fit tout son possible pour obtenir la réouverture des écoles (ce qu’il obtint finalement en 1940). C’est pourquoi nous nous référerons aussi à son témoignage, recueilli et traduit par M. Hawad et H. Claudot-Hawad en 1989 (et publié dans la Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée n° 57) et nous le confronterons aux dires des administrateurs.
La première expérience de 1917
4Les administrateurs coloniaux ont apporté quelques descriptions de l’enseignement donné aux enfants dans les tribus nomades. Ils semblent surtout en avoir retenu l’enseignement dispensé par les “marabouts” (terme colonial désignant les religieux dans la société touarègue) dans des écoles dites coraniques. Celles-ci étaient cependant souvent critiquées par les administrateurs qui les considéraient comme de “simples écoles de catéchisme” (Rapport Politique Annuel Soudan 1945). Cette critique des écoles nomades coraniques fut une des raisons qui amenèrent les autorités coloniales à envisager l’introduction de l’enseignement français parmi les nomades. C’est, cependant, “l’importance politique d’une telle création” (Lavole : 2) qui constitua l’argument le plus décisif dans ce domaine.
5L’instruction des nomades était conçue comme un moyen de conquête pacifique des esprits, et plus particulièrement des classes dirigeantes (après la conquête militaire devenue définitive avec la répression de la révolte en 1916). M. Lavole présentait ainsi les intentions des administrateurs :
“L’instruction française donnée pendant un certain temps aux enfants touaregs, fils de chefs ou de notables, marquerait ces derniers de notre empreinte et ils seraient ainsi auprès des leurs nos meilleurs agents et notre meilleur soutien, tout en nous permettant de pénétrer chaque jour plus profondément un milieu hostile à tout rapprochement. Par la suite, il serait possible d’avoir des cadres nomades formés à nos idées, favorables à l’implantation d’un progrès social que leur esprit plus cultivé ne refuserait pas” (Lavole : 2)
6Qu’espérait-on inculquer aux petits Touaregs ? Principalement la langue française assortie de quelques rudiments scolaires du niveau du Cours Préparatoire métropolitain. L’apprentissage du français devait ainsi permettre de former de jeunes “cadres”, en particulier, des interprètes attachés aux chefs.
7Ces espoirs devinrent réalité en octobre 1917 : à la demande du gouverneur du Haut-Sénégal-Niger Clozel,
“il est créé, dans le cercle de Goundam, deux écoles de village nomades : l’une suivra le tribu des Tengueriguifs (chef Chebboun), l’autre suivra la tribu des Kel Antassars (chef Attaher)” (Décision du lieutenant-gouverneur p.i. créant dans le cercle de Goundam deux écoles de village nomades, in Journal Officiel du Haut-Sénégal-Niger, 1917)
8Les deux chefs nomades acceptèrent la décision à la seule condition que l’enseignement ne soit pas donné par un instituteur européen, mais par deux maîtres de l’Ecole Régionale de Goundam qu’ils désignèrent eux-mêmes.
9La première année, ils furent chargés de désigner les élèves qui fréquenteraient les écoles : douze élèves Kel Intessar et huit Tinguereguif suivirent les premiers cours. La vie quotidienne de ces classes était marquée par leur caractère itinérant. Elles étaient, en effet, installées dans les campements des chefs de tribus dont elles suivaient les déplacements de transhumance. Le matériel pédagogique était alors transporté par deux boeufs, mais il faut dire que celui-ci (décrit par M. Lavole : 5) semble avoir été bien rudimentaire : une seule tente qui devait servir à la fois d’habitation au maître et de salle de classe, un tableau et une cantine pour les quelques fournitures (ardoises, papier, crayons, encre). Les élèves étaient dotés d’une bourse mensuelle perçue par les chefs de tribu, mais celle-ci ne permettait d’offrir aux enfants qu’un seul repas par jour et ne suffisait pas à les habiller.
10Du côté français, l’enthousiasme fut grand, comme l’atteste un article paru deux ans plus tard dans L’Afrique Française et dont voici quelques extraits :
“On suivra avec intérêt les tentatives de pénétration pacifique entreprises (...) dans la société encore si fermée des Touareg nigériens. Elles se traduisent à l’heure actuelle par la création de deux écoles nomades, l’une chez les Tingueregief, l’autre chez les Kel Antessar (...). Il est imprudent de tirer des conclusions trop hâtives de cet essai d’entreprise pacifique et de conquête morale sur l’élément, peut-être le plus arriéré du Soudan, en tout cas, le plus défiant, le plus fuyant, le plus insaisissable. L’œuvre n’en est encore qu’à sa deuxième année, mais elle sera poursuivie et étendue (...). Il y faudra de la méthode et de la ténacité ; le succès est incontestablement au bout.” (1919 : 75-76)
- 3 Voir à ce sujet le témoignage d'Eghleze ag Foni (1990) dont les événements relatés sont postérieur (...)
11Pourtant, dès la première année, les élèves vinrent très difficilement dans ces écoles : les parents cachaient leurs enfants désignés (“recrutés” d’après les termes employés dans les textes de l’époque), c’est pourquoi les gardes de cercle furent ensuite chargés de rechercher ces élèves3. Ces difficultés sont attribuées au refus de l’école française, qui restait majoritaire parmi les nomades. Les rapports insistent particulièrement sur l’hostilité des “marabouts”, qui auraient répugné à voir les jeunes Touaregs déserter leurs écoles coraniques pour l’école française, ainsi que des femmes touarègues, qui auraient craint qu’on leur enlève leurs enfants.
12Cependant, une distinction était faite entre l’attitude des deux tribus : si on reconnaissait les véritables efforts de persuasion d’Attaher auprès des notables de sa tribu, on ne louait pas l’attitude de Chebboun qui n’encourageait en rien le développement des écoles. De plus, la qualité sociale des élèves n’était pas celle que les autorités coloniales avait espérée : les huit premiers élèves Tinguereguif étaient tous enfants de serviteurs ou de forgerons et, sur les douze Kel Intessar, cinq seulement étaient “de race blanche” (Lavole : 6).
13Rappelons que les Français ont longtemps considéré que les serviteurs étaient noirs, parce que razziés parmi les sédentaires ou descendants de populations razziées, et que ceux qu’ils appelaient “purs” Touaregs (les nobles principalement, mais aussi les vassaux) étaient “de race blanche”. C’est pourquoi M. Lavole précise que ces cinq enfants “de race blanche” n’étaient que fils de vassaux et non de nobles.
14En outre, les jugements portés sur ces élèves ne sont guère flatteurs. Voici un extrait du rapport statistique du 20 juin 1921 rédigé par l’instituteur chargé de l’école Tinguereguif (cité par Lavole : 7) :
“(Les élèves) sont désolés d’être retenus devant un tableau noir. Ils feignent de rien comprendre, répétant très mal les phrases, intervertissant l’ordre des mots. Ils sont récalcitrants, hostiles et réfractaires à tout enseignement français”.
15Il est d’ailleurs intéressant de comparer ce jugement avec ce qu’affirmait à ce sujet l’article de L’Afrique Française en 1919 :
“Assis sur le sable fin, comme leurs camarades de l’école coranique, les enfants suivent avec intérêt les explications de leur maître et progressent rapidement. Ils sont disciplinés, attentifs et studieux, très assidus et, en général, très intelligents”.
16Cherchait-on à rassurer l’opinion publique métropolitaine et à la conforter dans sa conviction selon laquelle elle remplissait avec succès sa mission civilisatrice et éducatrice ?
17Avec le recul, on peut difficilement adhérer à cet optimisme forcé quand on sait qu’en 1920 un des maîtres abandonna la tâche pour laquelle il s’était porté volontaire trois ans plus tôt. En effet, il ne faut pas négliger les difficultés d’adaptation que représentait ce type d’enseignement pour les maîtres qui n’étaient pas nomades et qui ne parlaient pas la langue touarègue. De plus, les déplacements d’hivernage perturbaient fréquemment le bon déroulement des rentrées scolaires (qui avaient lieu généralement en octobre). C’est pourquoi les maîtres s’étaient astreints à visiter toutes les familles avant la rentrée, afin de les prévenir du jour et du lieu fixé et pour tenter d’augmenter les effectifs des écoles. Mais, la majorité des nomades semble être restée fermée à leurs efforts de persuasion, et, malgré leurs espoirs initiaux, les maîtres commençaient à se décourager.
18C’est pourquoi la fermeture des deux classes fut envisagée cette même année (1920) ; les élèves auraient alors été envoyés à l’Ecole Régionale de Goundam ou à la Médersa de Tombouctou, dans le but “de soustraire les élèves à un milieu qui ne leur prodigue que de mauvais conseils” (Lavole : 8). Cependant, le projet dut être abandonné devant le refus catégorique de Chebboun, suivi par d’autres chefs nomades. L’ancien système fut donc maintenu mais, en 1924, un nouveau programme d’enseignement nomade fut mis en place pour tenter de réduire l’hostilité touarègue.
19Ce nouveau programme faisait une place égale à l’enseignement de l’arabe et du français : les élèves suivaient l’enseignement du maître en français le matin et les cours étaient repris en arabe l’après-midi par un Touareg désigné par le commandant de cercle. D’après M. Lavole, l’“apprivoisement” des nomades par l’école sembla alors faire quelques progrès : l’hostilité des “marabouts” aurait diminué et des enfants nobles auraient été confiés plus facilement aux écoles nomades.
20Et pourtant, en 1927, on annonça la fermeture des deux écoles nomades de Goundam, au moment où la classe Kel Intessar atteignait son effectif le plus important depuis sa création (25 élèves) et alors que neuf élèves avaient pu obtenir leur Certificat d’Etudes (après quelques années passées à l’Ecole Régionale de Goundam).
L’intervention de Mohamed Ali
21A l’annonce de cette décision, Mohamed Ali, nouveau chef des Kel Intessar depuis la mort de son père Attaher, en 1926, fut surpris et déçu. Depuis la création des écoles, les deux hommes avaient oeuvré pour leur réussite :
Mohamed Ali “ce chef jeune et intelligent, profondément attaché à la cause française et désireux d’instruire les gens de sa tribu, avait usé de toute son autorité auprès des notables de sa tribu. Il avait réussi, à force de persuasion, à décider plusieurs d’entre eux à envoyer leurs enfants à l’école française” (Lavole : 9).
22Mohamed Ali (1990 : 91) affirme, en effet, que son père et lui-même avaient été conscients de la nécessité politique pour les Touaregs d’être scolarisés :
“C’est en 1920 que j’ai pris la décision politique de scolariser les enfants touaregs.”
23Pourtant, la cause principale donnée dans les textes coloniaux à la fermeture des écoles est le refus maintenu de la plupart des nomades à l’enseignement français :
“Les nomades désiraient garder leurs distances et toute tentative d’apprivoisement et de pénétration risquait d’être mal accueillie. L’idée d’envoyer leurs enfants à l’école française reçut donc un accueil très hostile, car ils jugèrent que c’était là un moyen de conquête” (Lavole : 2).
24D’autre part, Mohamed Ali aurait souhaité que l’administration française ne limite pas l’enseignement des nomades à l’obtention du Certificat d’Etudes. Mais, là encore, les archives coloniales mettent en avant l’hostilité touarègue comme seul frein au développement de cet enseignement. M. Lavole affirme que, pour obtenir quelques élèves dans les premières classes
“il avait fallu faire la promesse formelle de ne pas enlever à leur tribu les enfants libres afin de les mettre plus tard dans un école supérieure” (Lavole : 6).
25Ainsi, à la lecture des textes émanant de l’administration coloniale, on a l’impression que Mohamed Ali est considéré comme une exception parmi une majorité largement hostile à l’enseignement français. Or, on sait qu’à cette époque, l’administration se méfiait encore des nomades, dont la révolte de 1916 avait fait craindre le pire. Ne souhaitant pas prendre le risque de faire resurgir une vague de mécontentement, les administrateurs renoncèrent à leur imposer contre leur volonté l’enseignement français. Puisque la majorité manifestait clairement son hostilité, on préféra fermer ces écoles.
26Mohamed Ali était doublement déçu : non seulement on fermait les écoles qu’il avait promues auprès des notables de sa tribu, mais on annonçait aussi que leurs anciens élèves seraient envoyés à Goundam dans une classe nomade annexée à l’école sédentaire. Mohamed Ali fut alors l’objet de critiques de la part des notables de sa tribu qui, d’après Lavole (9), “lui reprochent d’envoyer leurs enfants sur les même bancs que leurs condisciples noirs”. C’est pourquoi il tenta aussitôt une démarche auprès du commandant de cercle pour obtenir le rétablissement des écoles nomades. Malgré ses arguments et son insistance (d’après M. Lavole, Mohamed Ali aurait proposé de payer lui-même la solde de l’instituteur), la réponse de l’administration resta négative.
27Devant l’impossibilité d’agir en faveur de sa tribu, Mohamed Ali s’employa à scolariser ses deux frères, dont il obtint l’entrée à l’Ecole Régionale de Goundam, puis à l’Ecole Supérieure de Bamako (en 1937). Mais, hormis ses deux frères, aucun nomade ne fut “recruté” de 1927 à 1936.
- 4 Cet établissement était conçu sur le modèle de l'Ecole des Fils de Chefs de Timbedra. Sous forme d (...)
28C’est en 1935 que l’administration fit une nouvelle proposition concernant l’instruction des nomades : la création à Bamba d’une Médersa4 réservée aux Touaregs. Le refus de Chebboun n’étonna personne mais Mohamed Ali fit aussi savoir sa déception vis-à-vis de cette institution lointaine où les nomades refuseraient d’envoyer leurs enfants. Ce projet fut alors remplacé par l’ouverture, en octobre 1936, d’une classe spéciale réservée aux enfants nomades et annexée à l’Ecole Régionale de Goundam. Dès la première année, cette classe fut “régulièrement fréquentée par dix-sept Kel Antessar” (Rapport Statistique Année Scolaire Soudan 1936-1937).
29En 1939, Mohamed Ali fit remarquer que cette classe était uniquement alimentée par des Kel Intessar et en demanda le transfert à Bankor (Nord Faguibine) sur les terrains de parcours de sa tribu.
L’essor des écoles nomades
- 5 Les Kel Haoussa ou Kel Aouza sont présentés par P. Marty (1920) comme une des trois tribus Iguella (...)
30C’est ainsi que fut ouverte une nouvelle école nomade chez les Kel Intessar en mars 1940. L’enseignement était calqué sur celui de la classe de l’Ecole Régionale de Goundam : les cours en français furent d’ailleurs confiés à l’ancien maître de cette classe et l’enseignement coranique fut assuré par un “marabout” de la tribu. Si 1940 fut baptisée “année des écoles nomades” par les nomades eux-mêmes (Lavole : 12), 1941 fut “l’année des réalisations” (Rapport Politique Annuel Soudan 1941). En effet, cette année vit s’ouvrir les écoles nomades de Djin-Djin pour les Tinguereguif et les Kel Haoussa5, de Raz el Mâ pour les Tormoz, et de Chett Korbora pour les Ideyloubas. Le rapport politique de 1941 affirme que le prestige acquis par Mohamed Ali qui possédait “son” école avait créé un malaise parmi les autres tribus et que “la création d’écoles nomades, outre son but éducatif primordial répondait donc à la nécessité politique de maintenir l’équilibre entre les tribus”.
31Bien que les rapports signalent toujours l’hostilité des “marabouts” et des femmes touarègues, on peut penser que l’action persuasive de Mohamed Ali, associée à la prise de conscience d’un possible départ des Français (nous sommes alors en pleine guerre mondiale au moment de la défaite française) avait peut-être ouvert les yeux de la plupart des nomades sur la nécessité politique de faire accéder au moins une minorité touarègue à l’éducation européenne que recevaient depuis plusieurs années les autres populations colonisées.
32Quoiqu’il en soit, en ne considérant que les effectifs, les administrateurs parlèrent tout de suite de succès. En effet, dès la fin de la première année, les écoles nomades regroupaient un total de 65 élèves qui, de plus, étaient “de race blanche, tous fils de chefs de tribus, de fractions ou de notables” (Rapport Politique Annuel Soudan 1941).
33Cependant, il faut préciser que ces nouvelles écoles se différenciaient de celles de 1917 par le fait qu’elles suivirent de moins en moins les mouvements de transhumance des tribus. Bien que les rapports politiques décrivent les déplacements des écoles jusqu’en 1943, celui de 1944 affirme que ces déplacements ont été réduits et qu’ils le seraient encore dans la mesure du possible. De plus, on sait que les cours avaient désormais lieu dans des locaux construits pour la circonstance (Rapport du Service de l’Enseignement, année scolaire 1940-1941), signe évident d’une certaine sédentarisation des écoles. Ce fait permet, en outre, de dresser une carte de localisation des écoles nomades du cercle, que l’on trouvera ci-jointe. Le rapport du Service de l’Enseignement, année scolaire 1942-1943, les définit d’ailleurs comme “des établissements spéciaux (qui) ont été créés pour (les nomades) dans les centres proches soit de leurs lieux habituels de résidence, soit de leurs lieux de transhumance”. On peut penser que la leçon avait été tirée de l’expérience de 1917 où les mouvements de transhumance avaient contribué à la fermeture des écoles.
34Au début de l’année scolaire 1941-1942, on tenta d’élargir l’expérience aux cercles de Tombouctou et Gao : l’école d’Isseî fut créée dans la subdivision de Gourma-Rharous parmi les Chioukhanes et celle des Kel es Souk dans la subdivision d’Ansongo.
35Mais ces deux écoles ne donnèrent pas la même satisfaction aux administrateurs : les élèves et les parents faisaient preuve de la même hostilité que ceux de Goundam avant 1940, les effectifs restèrent faibles et peu de fils de notables suivirent les cours. Finalement, l’école d’Isseî dut être fermée en 1943 et celle des Kel Essouk (noté Kel es Souk dans le document) avec un effectif de quinze élèves “dont deux seulement de race blanche” (Rapport Politique Annuel Soudan 1943) fut considérée comme un échec.
36A Goundam, la rentrée de 1942 fut retardée à cause d’un hivernage médiocre qui obligea les nomades à s’éloigner de leur zone de transhumance habituelle. Ce fut l’occasion de prendre de nouvelles mesures destinées à faciliter à l’avenir le départ rapide des classes au moment de la rentrée. Les maîtres entreprirent, comme leurs prédécesseurs, de visiter les campements pendant les vacances, afin d’indiquer aux familles les lieux de rassemblement des classes. De vastes pâturages furent mis en réserve autour de chaque classe pour les parents qui voulaient rester près de leurs enfants et des tentes installées pour les serviteurs chargés de l’entretien des élèves en l’absence des parents. D’autre part, pour accentuer la motivation des élèves, les premiers de chaque classe allèrent à Goundam à la fin de l’année scolaire 1942-1943 pour passer un petit examen devant le commandant de cercle. A cette occasion, des prix et un voyage d’études leur furent offerts : visite de l’Association Agricole Indigène de Diré, de la Bergerie Vincey et des travaux de l’Office du Niger, ce que le Rapport Politique Annuel de 1943 présente comme “les chantiers, les travaux et les réalisations dus à notre civilisation”. Afin de convaincre les chefs de tribu d’envoyer leur entourage à l’école française, une solde supérieure fut désormais accordée aux chefs ayant passé leur Certificat d’Etudes.
37L’année suivante, des moniteurs d’arabe furent adjoints aux maîtres afin d’enseigner les rudiments de cette langue aux élèves. Cette mesure donna satisfaction aux parents et les réconcilia un peu avec l’école française.
38Le succès de ces classes ne faisait dès lors plus de doute dans l’esprit des administrateurs. L’augmentation des effectifs donnés dans les rapports était en effet bien réelle.
Effectifs des écoles nomades du Cercle de Goundam
Sources : pour avril 1941, rapport Service Enseignement 1940-41
pour décembre 1941, rapports politiques 1941 et 1942
pour décembre 1942, rapport Service Enseignement 1942-43
pour décembre 1943, rapport Service Enseignement 1943-44
Sources : pour avril 1941, rapport Service Enseignement 1940-41
pour décembre 1941, rapports politiques 1941 et 1942
pour décembre 1942, rapport Service Enseignement 1942-43
pour décembre 1943, rapport Service Enseignement 1943-44
39Mais l’optimisme des administrateurs était également fondé sur l’attitude des élèves apparemment beaucoup plus réceptive et sur les progrès réalisés : ces élèves “étonnants d’intelligence et de vivacité d’esprit” faisaient de “réels progrès” (Rapport Politique Annuel Soudan 1942). Quant aux maîtres, ils donnaient apparemment satisfaction aux autorités coloniales et semblaient acceptés par les chefs nomades à qui ils servaient de secrétaires (Rapport Politique Annuel Soudan 1942).
40En 1947, et après bien des difficultés, les administrateurs de la région de Goundam sont alors soudain unanimes pour parler de succès en ce qui concerne l’introduction de l’enseignement français parmi les nomades : quatre écoles nomades (où l’on enseignait le français) fonctionnaient alors régulièrement dans ce cercle. De plus, grâce à l’enseignement de base acquis dans ces écoles, grâce à la réouverture de la classe nomade de Goundam en 1942 (remplacée en 1945 par une Ecole Régionale Nomade à Golbel, qui acheminait les nomades vers le Certificat d’Etudes) et grâce aussi à la création d’un Cours Supérieur Nomade à Goundam en 1947 (qui assurait une formation technique et administrative), l’administration française offrait enfin aux Touaregs la possibilité de se former des cadres et une élite à l’occidentale, c’est-à-dire sur le même modèle que les sédentaires.
41Sans entrer dans le débat sur les bienfaits et les méfaits de cet enseignement allogène parmi les Touaregs, il faut tout de même reconnaître que ces institutions acquises à la suite des écoles nomades donnaient une chance aux Touaregs de rattraper le “retard” accusé sur les sédentaires dans ce domaine. Mais il est vrai que l’on était déjà en 1947 et que les écoles nomades venaient juste d’être instituées dans le cercle de Gao et au Niger.
Bibliographie
Bibliographie
AG ATTAHAR INSAR Mohamed Ali
1990 La scolarisation moderne comme stratégie de résistance, REMMM n° 57, 91-97.
AG FONI Eghleze
1990 Récit d’un internement scolaire, REMMM n° 57, 113-121.
Anonyme
1919 Les écoles nomades du Haut-Sénégal-Niger, L’Afrique Française, janvier-février, p. 75-76.
BOURGEOT André
1992 D’écoles nomades en internats, Le Saharien, 1er trimestre, 9-10.
CLAUZEL Jean
1992 L’administration coloniale française et les sociétés nomades dans l’ancienne A.O.F., Politique Africaine, n° 46, 99-116.
COMBELLES Henri, GAST Marceau
1990 L’école nomade au Hoggar : une drôle d’histoire, REMMM n° 57, 99-111.
LAVOLE M.
1947-1948 L’enseignement des nomades du Soudan, Mémoire E.N.F.O.M., 34 p.
MARTY Paul
1920 Etudes sur l’Islam et les tribus du Soudan, t. 1 : Les Kountas de l’Est, les Bérabich, les Iguellad, Paris, E. Leroux, 358 p.
TAMGAK
1952 Les Touareg du Niger à l’école, France d’Outre-Mer, février, 37-39.
Notes
1 Ainsi cet article d'A. Bourgeot, qui affirme que “dans l'ensemble du pays touareg, les premières écoles nomades sous tentes, apparaissent en 1946” (1992 : 10).
2 II s'agit des rapports politiques annuels rédigés par le lieutenant-gouverneur du Soudan Français et destinés au gouverneur général de l'A.O.F. (ceux des aimées 1922, 1923, 1933, 1934, et 1936 à 1940 apportent des informations sur le sujet) et des rapports d'enseignement rédigés par le chef du Service de l'Enseignement pour le lieutenant-gouverneur (on peut consulter avec profit ceux des années 1939 à 1945 pour le Soudan Français).
3 Voir à ce sujet le témoignage d'Eghleze ag Foni (1990) dont les événements relatés sont postérieurs à cette époque mais qui fournit un exemple de ce que pouvait être un “internement” scolaire.
4 Cet établissement était conçu sur le modèle de l'Ecole des Fils de Chefs de Timbedra. Sous forme d'un internat dont les frais auraient été supportés par la colonie, cette école, réservée aux Touaregs, aurait dû dispenser un enseignement français obligatoire alors que l'étude de l'arabe et du Coran aurait été facultative (selon le désir des parents). (Lavole : 10).
5 Les Kel Haoussa ou Kel Aouza sont présentés par P. Marty (1920) comme une des trois tribus Iguellad du Nord-Ouest de la Boucle du Niger (les deux autres étant les “Kel Antessar” et les “Cheurfig”). D'après cet auteur, ils seraient fractionnés en plusieurs fractions : Kel Gamart, Kel Taharoudian, Kel Taborak, Guillaï, Kel Tintouhoun, Kel Tadak, Kel Indiabi, Kel Tabakat, Cheurfig de Gallaga.
Table des illustrations
Légende | Mohamed Ali ag Attaher Insar, 1993 (photo H. Claudot-Hawad) |
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Légende | Effectifs des écoles nomades du Cercle de GoundamSources : pour avril 1941, rapport Service Enseignement 1940-41pour décembre 1941, rapports politiques 1941 et 1942pour décembre 1942, rapport Service Enseignement 1942-43pour décembre 1943, rapport Service Enseignement 1943-44 |
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