El Watan -Dida Badi,anthropologue
- Le gaz de schiste prend des allures de parfait alibi. Serait-ce donc le prétexte qu’ont trouvé les populations du Sud, naguère ostracisées, effacées de la représentation nationale pour affirmer leur existence sur l’échiquier national ? Autrement dit, qu’est-ce que ne dit pas — ou n’arrive pas à dire — cette mobilisation ?
Le mouvement social qui agite le Sud, sa nature citoyenne et pacifique ont suscité commentaires et interrogations quant à ses raisons profondes. Ces commentaires sont souvent teintés de craintes et d’appréhensions étant donné le caractère stratégique de la région qui recèle l’essentiel des richesses minières et hydriques du pays.
Totalisant près de 80% de la superficie du territoire national et fief depuis toujours du parti au pouvoir, le FLN, les régions du Sud où l’on enregistre le taux de participation le plus élevé aux échéances électorales n’ont pas été gagnées par la vague de l’islamisme politique qu’ont connue les autres régions du pays.
Cette situation a contribué à conférer à cette région et à ses habitants l’image d’une contrée paisible et apparemment «hors du temps». Cependant, beaucoup pensent que derrière le mouvement social se cachent des raisons profondes qui ne disent pas leur nom. Pour notre part, l’une des directions dans lesquelles nous pensons qu’il est possible d’orienter le débat est celle en rapport au modèle de développement préconisé jusque-là pour ces régions.
Celui-ci devrait tenir compte du rapport qu’entretiennent ces communautés ancrées dans le local à leur espace traditionnel et la symbolique de l’eau, chez elles, en tant que ressource essentielle ayant permis l’installation de l’Homme dans le désert. La considération de cet élément est capitale. Il faut rappeler que les habitants des régions du Sud algérien sont les représentants actuels de différentes populations humaines qui ont habité ces contrées, et ce, depuis la nuit des temps.
Leur mode de vie traditionnel est un exemple frappant d’une adaptation ingénieuse et ininterrompue aux dures conditions du climat désertique et d’une exploitation savante des ressources naturelles que leur offre leur milieu. Leur droit coutumier en matière de gestion des ressources est basé sur le respect de l’équilibre fragile des écosystèmes sahariens. Leur savoir-faire traditionnel actuel est l’aboutissement des expériences culturelles accumulées à travers les âges et qui leur confèrent une profondeur historique inégalée.
Ces contrées sont loin d’être isolées, puisqu’elles furent un passage obligé des populations ou simplement des caravanes, des marchandises et des idées remontant du Sahel africain pour se diriger vers le nord et l’est du Sahara et vice-versa, et ce, depuis la plus haute antiquité. En cela, elles constituent une plaque tournante dans les échanges entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
Ces caractéristiques géographiques et climatiques donnent à cette région l’aspect d’un creuset où s’est développée une culture ancrée dans le local, comme en témoignent les nombreux vestiges archéologiques ainsi que l’art rupestre de l’Atlas saharien et des massifs centraux au contact de l’ancienne Egypte et du monde méditerranéen d’une part, et du Bilad es Soudan, d’autre part. La civilisation, la culture matérielle et symbolique de ces régions sont basées sur la gestion de l’eau. D’ailleurs, un adage targui dit : «Aman, Iman !» (L’eau, c’est la vie !) Ou encore, «Tizawt in aman in», un autre dicton des Oasiens du Tassili qui résume bien l’importance de l’eau dans l’agriculture saharienne.
On pourrait le traduire par : «Mon champ est mon eau». Autrement dit, l’importance de mon champ est fonction de la quantité d’eau dont je dispose. Ou, à quoi pourrait bien servir un lopin de terre sèche si l’on ne dispose pas de l’eau pour l’irriguer ? C’est, en effet, l’argument que semblent opposer les habitants d’In Salah. Un exemple tiré du fonds culturel commun aux hommes du désert. C’est en tenant compte de cette réalité simple mais profonde que les habitants des oasis sahariennes ont mis au point tout un savoir empirique complexe pour la gestion de l’eau, à l’exemple des foggaras, ces ouvrages ingénieux dédiés à l’irrigation et à la mise en valeur de la terre.
Au sahara, l’irrigation par l’eau des sources ou les foggaras fait que l’importance d’une parcelle se mesure par le nombre des parts d’eau qui reviennent à chaque jardin. Aussi, au-delà du fait que les sources, comme celle de Hannou à Tamantit, ou Talmezhayes à Djanet, sont un moyen qui permet d’irriguer et de mettre en valeur une terre sèche ; elles jouent également un rôle important dans l’histoire de fondation des groupes.
La propriété de l’eau, qui se transmet par le biais des femmes sous forme d’un bien indivis (habous), est collective chez les Touareg de l’Ajjer. A ce propos, l’histoire des sources et des foggaras se confond avec celle des groupes qui les possèdent à travers les rôles déterminants qu’ont dû jouer leurs ancêtres fondatrices dans leur découverte et leur aménagement. En effet, le droit de propriété sur l’eau est un argument que font avancer les lignages qui la détiennent pour justifier leur autochtonie.
Ainsi, le rapport est évident entre la terre qui enfante la source des entrailles de laquelle l’eau jaillit, et la mère qui engendre et fonde le groupe de parenté qui s’en réclame. En plus d’être une ressource dont dépend leur vie, l’eau revêt des dimensions culturelles et symboliques. Elle renvoie à une vision du monde et à un modèle de développement ancré dans le local et respectueux des ressources naturelles.
Ce modèle de développement est aux antipodes d’un autre basé sur l’extraction illimitée des ressources naturelles et leur transformation. Ce dernier modèle, qui semble être transposé sur une réalité millénaire, vient perturber une harmonie qui a mis des millénaires à s’accomplir. C’est cette perturbation et les horizons obscurs qu’ils entrouvrent qui semblent faire réagir les gens du désert.
- L’eau est au cœur aussi bien des imaginaires, du modèle de développement, des culture et civilisation propres aux populations du Sud. Mais n’y a-t-il que cela ? Cette région et ses habitants ont, de naguère, cultivé cette image d’une contrée paisible «hors du temps». Désormais, ce n’est plus le cas. Qu’en est-il de ces «autres raisons profondes» qui «ne disent pas leur nom» et qui sont à l’origine de ce fulgurant mouvement social ?
Il y a deux niveaux d’analyse : le premier niveau est micro et concerne l’épicentre qui est la localité d’In Salah en relation avec les régions avoisinantes dans leur rapport à l’Etat central. Le deuxième niveau est macro et se situe à l’échelle du sahara dans son ensemble en relation avec ses connexions au Sud (le Sahel africain) et le Nord (le Maghreb et la Méditerranée). Au niveau micro, il faut se rappeler que la population de cette localité a pâti des clivages sociaux marqués par l’opposition entre les anciens khemmas à leurs anciens contremaîtres (Haratines vs Arabes ou Mrabatin).
Cette situation, qui a été instrumentalisée par certains partis politiques à des fins électoralistes, a porté atteinte à la cohésion sociale au niveau de la région du Tidikelt en général et d’In Salah en particulier. Le mouvement social actuel où sont impliquées toutes les catégories sociales est une occasion pour la communauté locale de retrouver son unité et sa cohésion autour d’un problème fédérateur qui concerne tout le monde.
Ceci explique d’ailleurs la non-politisation du mouvement tirant ainsi sa force des référents identitaires puisés de la conception traditionnelle de l’islam malikite et de la culture locale. L’autre élément qui a aidé au niveau local à la cristallisation du mouvement social dans le Sud au niveau de la ville d’In Salah est le niveau d’instruction très élevé de ses habitants.
Ceux-ci, en effet, à l’instar des autres régions du Sud du pays n’ayant pas bénéficié des bienfaits de l’école coloniale, ont investi massivement dans la scolarisation de leurs enfants, et ce, dès les premières années de l’indépendance à tel point que c’est dans cette ville que l’on enregistre le taux le plus faible d’analphabètes au niveau de tout le sahara, si ce n’est au niveau national.
Ayant suffisamment de cadres pour porter la revendication sociale et la démarquer des partis politiques, les habitants d’In Salah ont investi dans les réseaux des solidarités traditionnelles au niveau des autres régions du sahara pour étendre leur mouvement et lui donner plus d’audience en insistant sur les problèmes partagés entre ces régions que sont l’isolement par rapport aux centres de décision et le refus du modèle de développement suivi jusque-là dans ces régions.
A l’échelle macro, là le sahara est le maillon entre le Maghreb au nord et le Sahel africain au sud. Il est non seulement un espace de passage et de transit, mais également d’installation où se mettent en interaction les cultures des peuples berbères et arabes du Nord avec celles de l’Afrique noire. De ce fait, le sahara était un espace central et de jonction.
Cependant, depuis la mise en place des frontières étatiques modernes, cet espace, jadis central, se retrouve soudain relégué à la périphérie du fait de sa position éloignée par rapport aux centres de décision dont il relève : le Nord du Mali, bien que constituant 2/3 du territoire national, le sud algérien avec 80% de la superficie du pays, le Nord du Niger avec plus de la moitié du pays, et enfin le Sud de la Libye avec un plus de 70% de la superficie globale du pays. Dans tous ces exemples énumérés, la capitale se trouve dans l’autre extrémité du pays. Le mouvement social dans le sud du pays semble revendiquer cette centralité du Sahara.
Le mouvement social qui agite le Sud, sa nature citoyenne et pacifique ont suscité commentaires et interrogations quant à ses raisons profondes. Ces commentaires sont souvent teintés de craintes et d’appréhensions étant donné le caractère stratégique de la région qui recèle l’essentiel des richesses minières et hydriques du pays.
Totalisant près de 80% de la superficie du territoire national et fief depuis toujours du parti au pouvoir, le FLN, les régions du Sud où l’on enregistre le taux de participation le plus élevé aux échéances électorales n’ont pas été gagnées par la vague de l’islamisme politique qu’ont connue les autres régions du pays.
Cette situation a contribué à conférer à cette région et à ses habitants l’image d’une contrée paisible et apparemment «hors du temps». Cependant, beaucoup pensent que derrière le mouvement social se cachent des raisons profondes qui ne disent pas leur nom. Pour notre part, l’une des directions dans lesquelles nous pensons qu’il est possible d’orienter le débat est celle en rapport au modèle de développement préconisé jusque-là pour ces régions.
Celui-ci devrait tenir compte du rapport qu’entretiennent ces communautés ancrées dans le local à leur espace traditionnel et la symbolique de l’eau, chez elles, en tant que ressource essentielle ayant permis l’installation de l’Homme dans le désert. La considération de cet élément est capitale. Il faut rappeler que les habitants des régions du Sud algérien sont les représentants actuels de différentes populations humaines qui ont habité ces contrées, et ce, depuis la nuit des temps.
Leur mode de vie traditionnel est un exemple frappant d’une adaptation ingénieuse et ininterrompue aux dures conditions du climat désertique et d’une exploitation savante des ressources naturelles que leur offre leur milieu. Leur droit coutumier en matière de gestion des ressources est basé sur le respect de l’équilibre fragile des écosystèmes sahariens. Leur savoir-faire traditionnel actuel est l’aboutissement des expériences culturelles accumulées à travers les âges et qui leur confèrent une profondeur historique inégalée.
Ces contrées sont loin d’être isolées, puisqu’elles furent un passage obligé des populations ou simplement des caravanes, des marchandises et des idées remontant du Sahel africain pour se diriger vers le nord et l’est du Sahara et vice-versa, et ce, depuis la plus haute antiquité. En cela, elles constituent une plaque tournante dans les échanges entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
Ces caractéristiques géographiques et climatiques donnent à cette région l’aspect d’un creuset où s’est développée une culture ancrée dans le local, comme en témoignent les nombreux vestiges archéologiques ainsi que l’art rupestre de l’Atlas saharien et des massifs centraux au contact de l’ancienne Egypte et du monde méditerranéen d’une part, et du Bilad es Soudan, d’autre part. La civilisation, la culture matérielle et symbolique de ces régions sont basées sur la gestion de l’eau. D’ailleurs, un adage targui dit : «Aman, Iman !» (L’eau, c’est la vie !) Ou encore, «Tizawt in aman in», un autre dicton des Oasiens du Tassili qui résume bien l’importance de l’eau dans l’agriculture saharienne.
On pourrait le traduire par : «Mon champ est mon eau». Autrement dit, l’importance de mon champ est fonction de la quantité d’eau dont je dispose. Ou, à quoi pourrait bien servir un lopin de terre sèche si l’on ne dispose pas de l’eau pour l’irriguer ? C’est, en effet, l’argument que semblent opposer les habitants d’In Salah. Un exemple tiré du fonds culturel commun aux hommes du désert. C’est en tenant compte de cette réalité simple mais profonde que les habitants des oasis sahariennes ont mis au point tout un savoir empirique complexe pour la gestion de l’eau, à l’exemple des foggaras, ces ouvrages ingénieux dédiés à l’irrigation et à la mise en valeur de la terre.
Au sahara, l’irrigation par l’eau des sources ou les foggaras fait que l’importance d’une parcelle se mesure par le nombre des parts d’eau qui reviennent à chaque jardin. Aussi, au-delà du fait que les sources, comme celle de Hannou à Tamantit, ou Talmezhayes à Djanet, sont un moyen qui permet d’irriguer et de mettre en valeur une terre sèche ; elles jouent également un rôle important dans l’histoire de fondation des groupes.
La propriété de l’eau, qui se transmet par le biais des femmes sous forme d’un bien indivis (habous), est collective chez les Touareg de l’Ajjer. A ce propos, l’histoire des sources et des foggaras se confond avec celle des groupes qui les possèdent à travers les rôles déterminants qu’ont dû jouer leurs ancêtres fondatrices dans leur découverte et leur aménagement. En effet, le droit de propriété sur l’eau est un argument que font avancer les lignages qui la détiennent pour justifier leur autochtonie.
Ainsi, le rapport est évident entre la terre qui enfante la source des entrailles de laquelle l’eau jaillit, et la mère qui engendre et fonde le groupe de parenté qui s’en réclame. En plus d’être une ressource dont dépend leur vie, l’eau revêt des dimensions culturelles et symboliques. Elle renvoie à une vision du monde et à un modèle de développement ancré dans le local et respectueux des ressources naturelles.
Ce modèle de développement est aux antipodes d’un autre basé sur l’extraction illimitée des ressources naturelles et leur transformation. Ce dernier modèle, qui semble être transposé sur une réalité millénaire, vient perturber une harmonie qui a mis des millénaires à s’accomplir. C’est cette perturbation et les horizons obscurs qu’ils entrouvrent qui semblent faire réagir les gens du désert.
- L’eau est au cœur aussi bien des imaginaires, du modèle de développement, des culture et civilisation propres aux populations du Sud. Mais n’y a-t-il que cela ? Cette région et ses habitants ont, de naguère, cultivé cette image d’une contrée paisible «hors du temps». Désormais, ce n’est plus le cas. Qu’en est-il de ces «autres raisons profondes» qui «ne disent pas leur nom» et qui sont à l’origine de ce fulgurant mouvement social ?
Il y a deux niveaux d’analyse : le premier niveau est micro et concerne l’épicentre qui est la localité d’In Salah en relation avec les régions avoisinantes dans leur rapport à l’Etat central. Le deuxième niveau est macro et se situe à l’échelle du sahara dans son ensemble en relation avec ses connexions au Sud (le Sahel africain) et le Nord (le Maghreb et la Méditerranée). Au niveau micro, il faut se rappeler que la population de cette localité a pâti des clivages sociaux marqués par l’opposition entre les anciens khemmas à leurs anciens contremaîtres (Haratines vs Arabes ou Mrabatin).
Cette situation, qui a été instrumentalisée par certains partis politiques à des fins électoralistes, a porté atteinte à la cohésion sociale au niveau de la région du Tidikelt en général et d’In Salah en particulier. Le mouvement social actuel où sont impliquées toutes les catégories sociales est une occasion pour la communauté locale de retrouver son unité et sa cohésion autour d’un problème fédérateur qui concerne tout le monde.
Ceci explique d’ailleurs la non-politisation du mouvement tirant ainsi sa force des référents identitaires puisés de la conception traditionnelle de l’islam malikite et de la culture locale. L’autre élément qui a aidé au niveau local à la cristallisation du mouvement social dans le Sud au niveau de la ville d’In Salah est le niveau d’instruction très élevé de ses habitants.
Ceux-ci, en effet, à l’instar des autres régions du Sud du pays n’ayant pas bénéficié des bienfaits de l’école coloniale, ont investi massivement dans la scolarisation de leurs enfants, et ce, dès les premières années de l’indépendance à tel point que c’est dans cette ville que l’on enregistre le taux le plus faible d’analphabètes au niveau de tout le sahara, si ce n’est au niveau national.
Ayant suffisamment de cadres pour porter la revendication sociale et la démarquer des partis politiques, les habitants d’In Salah ont investi dans les réseaux des solidarités traditionnelles au niveau des autres régions du sahara pour étendre leur mouvement et lui donner plus d’audience en insistant sur les problèmes partagés entre ces régions que sont l’isolement par rapport aux centres de décision et le refus du modèle de développement suivi jusque-là dans ces régions.
A l’échelle macro, là le sahara est le maillon entre le Maghreb au nord et le Sahel africain au sud. Il est non seulement un espace de passage et de transit, mais également d’installation où se mettent en interaction les cultures des peuples berbères et arabes du Nord avec celles de l’Afrique noire. De ce fait, le sahara était un espace central et de jonction.
Cependant, depuis la mise en place des frontières étatiques modernes, cet espace, jadis central, se retrouve soudain relégué à la périphérie du fait de sa position éloignée par rapport aux centres de décision dont il relève : le Nord du Mali, bien que constituant 2/3 du territoire national, le sud algérien avec 80% de la superficie du pays, le Nord du Niger avec plus de la moitié du pays, et enfin le Sud de la Libye avec un plus de 70% de la superficie globale du pays. Dans tous ces exemples énumérés, la capitale se trouve dans l’autre extrémité du pays. Le mouvement social dans le sud du pays semble revendiquer cette centralité du Sahara.
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