projet d’accord algérien
Dans notre livraison du 29 septembre 2014, nous publiions le projet de fédération présenté à Alger par les groupes armés et nous soulignions les chapitres attentoires à l’unité nationale et à l’intégrité du territoire malien.
Dans notre livraison du 13 octobre, nous révélions que les rebelles, sous la pression de l’Algérie, avaient abandonné leur projet fédéral. Et nous faisions les commentaires suivants: « …Le projet fédéral a suscité des interrogations dans la communauté internationale. La marche géante organisée par la société civile malienne dans la foulée a achevé de convaincre tout le monde que ni la fédération, ni l’indépendance ne seront acceptées par le peuple malien. De plus, la fédération suppose une modification de la Constitution malienne par voie de référendum: ce scrutin serait perdu d’avance même si IBK lui-même appelait à voter oui, ce qui relève de la fiction, le chef de l’Etat malien étant économiquement et politiquement trop fragile pour prendre un tel risque. C’est pourquoi le médiateur algérien a demandé une levée de séance dès que les groupes armés ont exposé leur projet fédéral. Profitant de cette pause, le médiateur a tenu un huis clos avec les représentants des groupes armés pour leur dire, en substance, ceci: « La résolution 2100 du Conseil de Sécutrité de l’ONU et l’Accord de Ouaga imposent le respect de l’intégrité territoriale du Mali. Or une fédération implique la division du Mali en deux entités: le Mali et l’Azawad.Ce schéma n’est acceptable ni par les Maliens ni par la communauté internationale, garante de tout accord. Nous vous mettons donc en demeure de retirer ce projet et d’envisager d’autres solutions qui préservent à la fois l’intégrité territoriale du Mali et vos intérêts propres ! ».
Les rebelles, notamment ceux du MNLA, n’avaient pas de plan B. Ils estimaient que la fédération était le moins qu’ils pouvaient obtenir, compte tenu des rapports de force. Mais le MNLA eut beau plaider le maintien du projet fédéral, l’Algérie resta intraitable. Le puissant voisin algérien alla jusqu’à menacer le MNLA de le faire tailler en pièces par les groupes jihadistes. Message bien compris par les indépendantistes touaregs qui consentirent finalement à mettre leurs velléités fédérales sous l’éteignoir.
Pourquoi l’Algérie défend-elle si âprement l’intégrité territoriale du Mali ? L’explication tient à trois choses:
- d’abord, elle veut donner des gages de bonne foi à IBK qui, à travers une lettre, a dit s’en remettre à elle;
- ensuite, elle remet le MNLA à sa juste place, l’essentiel des groupes armés (les jihadistes du HCUA et d’Ançar Dine) étant très liés à Alger qui offre le gîte et le couvert à Iyad Ag Ghali;
- Enfin, l’Algérie, après avoir rassuré le Mali et tenu en respect le MNLA, se donne les moyens d’imposer sa propre solution au problème du nord.
Ces constats ne rassurent pas certains connaisseurs du dossier. Ils estiment qu’Alger a le plus grand intérêt à maintenir la zone de Kidal ouverte aux trafics d’AQMI afin que ce groupe terroriste desserre son étau sur le sud algérien.L’entretien d’une insécurité résiduelle dans la région de Kidal n’empêchera pas l’Algérie d’y installer sa prédominance économique, notamment à travers l’exploitation des gisements de pétrole par la SONATRACH, le méga-groupe algérien. Bref, l’Algérie ne paraît défendre l’intégrité territoriale du Mali que pour mieux assurer ses propres intérêts géostratégiques. D’autant que le MNLA est une création franco-mauritanienne et que les groupes armés les plus puissants – HCUA, Ançar Dine – mangent dans la main algérienne.
En conséquence, dans l’hypothèse la plus probable, il sera instauré au nord du Mali une autonomie basée sur une grande liberté de manoeuvre des élus locaux, l’intégration des groupes armés dans l’armée nationale (même s’ils doivent rester au nord), et l’affectation de ressources financières et humaines considérables au développement du nord. Bien entendu, la solution de l’autonomie ne déplairait pas à la France qui a besoin de paix pour sécuriser ses sources d’approvisionnement en uranium (au Niger et, demain, à Kidal) et de maintenir, en collaboration avec l’Algérie, un dispositif anti-terroriste au nord du Mali ».
L’histoire nous donne raison
L’Algérie, comme nous le craignions, a soumis aux parties en conflit son propre projet d’accord. Le texte se garde bien d’utiliser les mots « fédération » et « autonomie » mais, sur le fond, les rebelles obtiennent plus que l’autonomie au nord. En témoignent les dispositions suivantes du projet:
1- Mise en place de collectivités territoriales dotées d’organes élus au suffrage universel, bénéficiant d’un très large transfert de compétences et jouissant des pouvoirs juridiques, administratifs et financiers nécessaires. Dans ce cadre, la région sera dotée d’une Assemblée régionale élue au suffrage universel direct et élira à son tour son Président, qui est également le chef de l’Exécutif et de l’Administration de la région. Cet article ne définit pas les « très larges tranferts de compétences ». De plus, qui assurera la tutelle sur les décisions du gouverneur aux « très larges compétences »? Est-il imaginable d’exercer la tutelle depuis Bamako, avec les risques de paralysie administrative que cela entraîne ?
2- Mise en place d’une Zone de Développement des Régions du Nord du Mali, appelées par certains « Azawad », dotée d’un Conseil consultatif interrégional constitué des représentants des Assemblées régionales concernées et chargé exclusivement de la coordination des efforts visant à accélérer le développement socio-économique local et des questions connexes. Cette « Zone » marquera la discrimination entre les régions du Mali car il n’y a pas de « Zones » similaires au profit de Koulikoro ou de Kayes, régions aussi pauvres que celles du nord.
3- Deux ou plusieurs régions peuvent constituer des entités intégrées et mettre en place les instances requises pour mieux promouvoir leur développement économique et social. Cette disposition consacre le droit de sécéssion: ainsi, Gao, Tombouctou et Kidal pourraient « constituer des entités intégrées et mettre en place les instances », de leur choix, ce qui n’envie rien à un statut fédéral ou autonome.
4- II est reconnu aux régions, individuellement ou intégrées, le droit d’adopter la dénomination officielle de leur choix. Cet article légalise le mot séparatiste « Azawad ».
5- Les cercles et les communes sont dotés d’organes délibérants (Conseil de cercle et Conseil communal) élus au suffrage universel direct, dirigés par des bureaux ayant une fonction exécutive avec, à leur tête, un Président de cercle et un Maire élus. Entre le président de conseil et le maire, tous deux élus, qui va commander qui ?
6- II peut être procédé, conformément aux aspirations spécifiques des populations, à un redécoupage administratif des collectivités en tenant compte de facteurs liés à la viabilité économique, à la cohésion sociale et territoriale. Cet article accorde une prime à l’illégitimité; il consiste à tripatouiller le territoire de sorte que les rebelles rapprochent leurs fiefs et y exercent plus facilement leur domination.
7- II sera créé une Force de Sécurité intérieure (police territoriale) placée sous l’autorité des collectivités, dans le cadre de leurs pouvoirs de police.Les rebelles vont, sous couvert de « police territoriale », garder le contrôle effectif de la sécurité au nord.
7- Création d’un Sénat, représentant les collectivités et les notabilités traditionnelles et religieuses et constituant, avec l’Assemblée nationale, le Parlement du Mali… Un quota de sénateurs pourrait être réservé aux notabilités traditionnelles régionales et aux femmes.Bref, les chefs tribaux du nord, habitués à vivre en rois sans travailler, deviennent sénateurs sans élection.
8- Le ratio habitants/député, actuellement de 60.000 habitants pour les régions du Nord, passera à 30.000. Pourquoi changer le ratio au nord et pas ailleurs ?
9-La représentation équitable des ressortissants du Nord dans les institutions et services du Mali (gouvernement, diplomatie, sociétés d’Etat, etc.): à cet égard, un nombre minimum de postes ministériels, y compris dans les secteurs de souveraineté, revendront à des personnalités issues du Nord, de même que certaines fonctions électives. Ainsi donc, le gouvernement et autres postes publics seront occupés, non sur la base du mérite, mais sur des bases ethniques alors que la discrimination ethnique et l’égalité de tous les citoyens devant sont d’ordre Constitutionnel !
10- Le statut des autorités traditionnelles est pris en compte dans les règles de protocole et de préséance.Il va donc falloir dérouler le tapis rouge et prévoir un passeport diplomatique pour le moindre chef de tribu touareg ou arabe!
11- La revalorisation du rôle des Cadis dans la distribution de la justice, notamment en ce qui concerne la médiation civile et pénale, de manière à tenir compte des spécificités culturelles et religieuses.Si les « cadis » (juges islamiques) doivent rendre la justice, que faire alors de la laïcité de l’Etat proclamée par la Constitution ?
12- Les régions sont compétentes dans les matières ci-après: plan et programme de développement économique, social et culturel; aménagement du territoire; création et gestion des équipements collectifs et services sociaux de base (éducation de base, formation professionnelle, santé, environnement, culture, infrastructures routières et de communication régionales, eau, énergie); agriculture, élevage, pêche, gestion forestière, transports, commerce, industries, artisanat, tourisme; budgets et comptes administratifs régionaux; organisation des activités de protection sociale; établissement et application d’impôts et de recettes propres sur la base de paramètres fixés par l’Etat; institution de redevances; acceptation ou refus de dons, subventions et legs; octroi de subventions; prises de participation; signature d’accords de coopération et de jumelage au niveau national et international; maintien de l’ordre et de la sécurité; protection civile. Si les régions arrachent toutes ces compétences, que reste-t-il à l’Etat ? Plus grave, en violation de la loi, qui donne au parlement le pouvoir exclusif de voter le budget d’Etat, les régions vont pouvoir créer leurs propres impôts et recettes!
13- Les délibérations des collectivités sont exécutoires dès leur publication et transmission au représentant de l’Etat. L’Etat ne pourra rien donc contre les décisions des régions et la tutelle sera de pure forme !
14- L’Etat, à travers son Représentant, exerce un contrôle de légalité (à posteriori) sur certains actes administratifs des collectivités (…) La liste des actes susceptibles d’un contrôle de légalité et les modalités d’exercice du contrôle sont définies par la loi. En principe, tout acte de l’autorité décentralisée (région) est soumise au contrôle de légalité du représentant de l’Etat afin d’éviter les dérives. L’article tend à limiter ce contrôle à certains actes pour que les régions se comportent comme des Etats fédérés.
15- Il est convenu une procédure de consultation préalable entre le pouvoir central et les régions sur: la réalisation des projets de développement décidés par l’Etat et les organismes publics ou privés concernant ces entités; les nominations des responsables des structures relevant de l’Etat et I’exploitation des ressources, notamment minières. L’Etat perd la liberté de nommer qui il veut dans les services régionaux. La notion de « concertation préalable » cache le droit de veto des régions contre toute nomination ou dépense qui ne leur plairait pas.
16- En plus de la fixation du taux des taxes, redevances et impôts locaux, chaque région jouit de la latitude de créer des impôts adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement. Cet article viole la Constitution qui fait du budget d’Etat un acte parlementaire car c’est en tant qu’élus de la nation qu’ils autorisent, seuls, le prélèvement d’impôts.
17-Le gouvernement s’engage à mettre en place, d’ici à 2017, un mécanisme de transfert de 33% des recettes budgétaires de l’Etat aux collectivités, avec une attention particulière pour les régions du Nord. Cet article est injustifié car au nord vivent moins de 10% des Maliens.
18- L’Etat rétrocède aux collectivités un pourcentage des revenus issus de l’exploitation, sur leur territoire, de ressources naturelles, notamment minières.Il y aura là une mainmise des collectivités sur leurs resources locales alors qu’au même moment, elles demandent à l’Etat de leur allouer 33% de ses récettes!
19- déconcentrer le recrutement dans la fonction publique territoriale, dont 50% des effectifs seront réservés aux ressortissants du Nord. Cet article veut peupler le nord de fonctionnaires arabes et touaregs!
20- Le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) doit permettre, soit l’absorption des ex-combattants dans les corps de l’Etat, leur réintégration au sein des forces de défense et de sécurité, ou leur réinsertion dans la vie civile dans le cadre de projets de développement. Ainsi donc, ceux qui ont déserté l’armée, pris les armes contre le Mali, tué et violé vont réintégrer l’armée sans jugement!
21-Les forces redéployées (au nord) devront refléter un caractère national, se traduisant par une représentation de toutes les communautés.Elles devront inclure un nombre significatif de ressortissants du Nord, y compris dans le commandement, de façon à conforter le retour de la confiance et la sécurisation du Nord. Les rebelles ne se contentent pas de réintégrer l’armée; ils obtiennent aussi des commandements et une ethnicisation des forces armées !
22- Dans le contexte de la réforme des forces de défense et de sécurité, il sera procédé à la création d’une police territoriale placée sous l’autorité des collectivités locales, dans le cadre de leurs pouvoirs de police. L’Etat maintient ses propres forces de sécurité intérieure (garde, gendarmerie et police), lesquelles coordonneront leur action, en tant que de besoin, avec la police territoriale.C’est dire que la « police territoriale », d’essence rebelle, devient l’équivalent et l’interlocuteur de l’armée nationale, qui n’existera au nord que de nom!
23- Les parties reconnaissent le retard considérable accusé par les régions du Nord sur le reste du Mali en matière de développement; elles soulignent le rôle que les politiques conduites depuis l’indépendance, les crises successives et les contraintes démographiques, physiques et climatiques ont joué dans cette situation. L’Etat prend tous les torts et considère comme pauvre le nord seul alors que partout ailleurs, c’est la galère!
24-Le Mécanisme opérationnal de coordination des forces est présidé alternativement par le représentant du Chef de file de la Médiation, un officier de l’Armée malienne et un représentant des Mouvements armés. En clair, l’armée nationale devient un gâteau à partager entre les rebelles et l’Etat.
25- Maintien par les mouvements armés de leurs positions à la date du 17 mai 2014 au 23 mai 2014 et sécurisation des villes et autres localités par les forces en présence pendant une période ne devant pas excéder un an. Malgré la signature de l’Accord, les rebelles règneront donc en maîtres au nord 1 an.
- Mise en place, avec la participation des Mouvements, d’unités spéciales aux fins de lutter contre le terrorisme. Ces unités spéciales ne sont autres que des milices touarègues et arabes.
27- A l’issue de la période intérimaire et une fois le processus de DDRR achevé, tous les mouvements armés seront dissous. A contrario, les groupes armés le resteront tant qu’ils n’auront pas estimé avoir eu tout ce qu’ils exigent.
Le Mali rejette le projet
Ce projet algérien a suscité la joie des représentants maliens à Alger, notamment le ministre des Affaires Etrangères qui, tout sourire, a confié à la presse que c’était « une bonne base de discussion », soulignant que le texte ne parle ni de fédéralisme ni d’autonomie. Le ministre, qui ne sait peut-être pas lire entre les lignes et qui semble pressé de s’attribuer le mérite d’un accord, déchantera bien vite. En effet, mardi 4 novembre 2014, IBK a convoqué un conseil extraordinaire des ministres qui, après débats, a déclaré le projet algérien inadmissible. « C’est un projet fédéral qui ne dit pas son nom, nous confie une source; il exige aussi des réformes constitutionnelles et législatives que le peuple n’acceptera pas ». A l’issue du conseil, le chef de l’Etat a demandé à chaque ministre de présenter cette semaine une proposition de règlement de la crise du nord afin que l’on puisse choisir les meilleures options et présenter un projet cohérent au médiateur.
Tiékorobani
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