Par Mas Mohammed CHAFIK, académicien amazighen commentaires
Les imazighen et leur contribution à l'élaboration des cultures méditerranéenne
Par Mas Mohammed CHAFIK, académicien amazighe
Les Imazighen dit berbères, ne se sont jamais désignés eux-mêmes par ce nom. Jusqu’au
début du XIXème siècle les Européens en général utilisaient pour parler de l’Afrique du Nord le vocable Barbaria, hérité de l’Eglise catholique dont on connaît le conservatisme langagier. En français, la forme « Berbère » avait déjà commencé à se substituer à la forme « Barbare » vers la fin du XVIIème siècle, sous l’influence de l’arabe nord-africain. En cette dernière langue on prononçait en effet Bräber. C’est de là aussi que semble venir la forme Berbero commune à l’espagnol et à l’italien. Mais que s’est-il passé pour que, de tous les peuples anciens, du nord et du sud du bassin méditerranéen, seuls les Nord-Africains ont continué à être, en quelque sorte, considérés comme barbares ?... Il s’est passé qu’au VIIème siècle de l’ère chrétienne les envahisseurs arabes de ce qu’on nomme actuellement le Maghreb ont emprunté le terme Barbarus aux Byzantins, lesquels Byzantins nous regardaient comme étant leurs ennemis du double point de vue politique et religieux. Aucun Amazighe pourtant n’a jamais senti vivre en lui la moindre once de barbarie, puisque chacun de nous s’est toujours vu comme étant un Amazighe, c’est-à-dire, étymologiquemen
Mais, avant de parler des Imazighen des temps anciens, peut-être conviendrait-il
Toujours est-il qu’en l’état actuel des choses, le morcellement géographique de l’élément amazighophone à travers l’immensité aux trois quarts désertique du nord de l’Afrique, suggère à l’observateur non averti l’idée que l’amazighité ne peut être, ou même n’avoir été, que minoritaire, à telle enseigne qu’un universitaire moyen-oriental ne s’aperçoit pas de la bévue qu’il commet ainsi : balayant du revers de la main, sur une carte, une large zone désertique et totalement inhabitée, autour d’une oasis amazighophone marquée en jaune, il lance à la cantonade : « Mais voyez comme c’est vaste le domaine de la langue arabe ! ». Aussi est-il utile de signaler que c’est la toponymie qui rend le mieux compte de la vastitude du domaine historique amazighe, et qui en indique les limites de façon suffisamment précise.
Que ce soit au Maroc, en Algérie, en Mauritanie, au Mali, et, à une moindre échelle, en Libye, au Niger, et en Tunisie, c’est grâce à la langue amazighe que les toponymistes procèdent au décryptage étymologique de la majorité des noms de lieux, de régions, de fleuves, de montagnes, et de beaucoup de villes. Fès, Mekhnès, Marrakech, Agadir, Tanger, Oujda, Oran, Tlemcen, Tizi-Ouzou, Tunis, Nouakchott, Tombouctou, etc, sont des noms amazighes. Cette vaste contrée où prédomine, jusqu’à nos jours, la marque toponymique amazighe, a reçu des anciens Grecs un nom : celui de « Libye » prononcé « Liboué », lequel nom a été employé pour la première fois au IXe siècle av. J. C. par le grand poète Homère, pour désigner le pays « allant de l’Egypte à l’Océan » (Bailly, p. 1190). Empruntée à l’Egyptien, la dénomination « Libye » ne s’appliquait à l’origine qu’à l’une des deux grandes tribus amazighes évoluant dans le désert à l’ouest du Nil : les Libué, précisément, et les Temehu. (Document n° I). C’est donc depuis la plus haute antiquité (IXe siècle. av. J. C.) que les Grecs ont nommé « Libyens » l’ensemble des Imazighen. Plus tard ils donneront le nom de Nomadia (Numidia, en latin) à la partie centrale de la Libyê, et le nom de Maurousia (Mauritania, en latin) à la partie la plus occidentale, faisant allusion au fait que c’est elle qui voit se coucher le soleil et naître l’obscurité (Bailly, pp. 1230, 1331). Quant au nom « Africa », il dérive du mot amazighe « afri, ifri » sous lequel était connu l’habitat de populations troglodytes de l’ancienne Tunisie, dont descend la grande tribu Ayt Ifran (Bani Ifran, en arabe).
Ce sont les Romains qui ont utilisé « Africa » pour nommer, au départ, la partie de la Numidie se trouvant dans la mouvance de Carthage. Le mot fera fortune par la suite, puisqu’il finira par devenir le nom de tout un continent. De tout ce continent les anciens Grecs n’avaient donc donné de noms qu’aux deux régions qu’ils connaissaient, à savoir l’Egypte, et l’incommensurab
Les autres sont restés en réserve, si je puis dire, et ont ainsi pu sauvegarder la culture amazighe proprement dite. Cependant, les premiers partenaires historiques des Imazighen ont bien été leurs voisins les plus proches, c’est-à-dire les Egyptiens. Mais nous en parlerons en dernier, parce que les deux peuples semblent avoir eu beaucoup plus que de simples rapports de voisinage. C’est des Grecs qu’il sera d’abord question Après des frictions, ou même de courtes guerres dues au fait que des colons hellènes sont venus s’installer sur les côtes libyques, face à la Grèce, au IXème siècle av.J.C, il semble bien qu’un modus vivendi ait été assez vite trouvé entre les nouveaux venus et leurs hôtes amazighes, dans l’ensemble des cinq cités, les fameuses Pentapolis, appelées à prospérer sur la rive sud de la Méditerranée pendant plus de quinze siècles, du IXème siècle av. J. C., jusqu’au VIIème siècle de l’ère chrétienne. Ecoutons le grand poète grec Callimaque (315-240 av. J. C.) chanter le bonheur de vivre dans la principale de ces cités, Cyrène (Kurênê), au IIIème siècle. av. J. C. :
Grande fut la joie au cœur de Phoibos,
Quand, venu le temps des fêtes Carnéiennes,
Les hommes d’Enyô, les porte-ceinturon
Firent un chœur de danse parmi les blondes Libyennes.
………………………………………
Jamais Apollon ne vit chœur plus vraiment divin !
Jamais le dieu n’accorda tant à nulle cité qu’il fit à Cyrène !
(Callimaque, p. 228)
Et c’est ainsi que nous apprenons, au passage, que les anciens imazighen étaient plutôt blonds, ceux du moins qui cohabitaient avec les Grecs de Cyrénaïque, au troisième siècle avant J. CH. Mais ce qu’il y a de vraiment étonnant, et de paradoxal en apparence, c’est que les Grecs nourrissaient à l’égard des imazighen une profonde vénération.
L’historien Hérodote (484-425 av. J. C.) les considérait comme le peuple du monde qui « jouit du meilleur état de santé », surclassant en ce domaine les Egyptiens et les Grecs eux-mêmes (Hérodote, L. II parag. 77 p. 199). « Le costume et l’égide qu’on voit en Grèce aux statues d’Athéna, ajoute-t-il, sont inspirés des vêtements des Libyennes….. Atteler à quatre chevaux est encore un usage passé des Libyens à la Grèce » (Hérodote, L. IV, parag. 189, p. 444). L’écrivain latin, Pline l’Ancien (23 – 79) nous signale que les Grecs attribuaient la fondation de Tanger (Tingi) au géant de leur mythologie Antaios (Antée) (Pline, L. V, parag. 2, p. 45), et que Grecs et Libyens de Cyrène allaient ensemble en pèlerinage au temple d’Amoun à Siwa (Pline, L.V, parag. 31, p.60 et commentaire p. 351). Athena la vierge, Athena la déesse guerrière protectrice d’Athènes, Athena la déesse de l’intelligence,
Il y a lieu de penser, à partir de ces données, que les Grecs savaient pertinemment que leur civilisation était la fille de celle de l’Egypte et de la Libye. Les historiens français Jean Servier et Pierre Rossi ont développé ce sujet, le premier en ce qui concerne les Imazighen, et le second en ce qui a trait à l’influence de l’Egypte sur la Grèce. Je reviendrai tout à l’heure sur la question des liens entre Imazighen et Egyptiens, comme je l’ai déjà annoncé. C’est aussi sur la rive libyenne de la Méditerranée que les Imazighen ont cohabité, ou simplement voisiné, avec ces autres marins commerçants qu’ont été les Phéniciens. Avec le consentement mielleusement extorqué aux autochtones, ces derniers sont parvenus à fonder de nombreux comptoirs sur les côtes nord-africaines
J. C.. les Byzantins, qui leur ont succédé, après un intermède d’un siècle environ durent se cantonner dans un petit nombre de ports méditerranéens.
Le bilinguisme des meilleurs n’a-t-il pas été la cause directe d’une certaine stagnation de la langue amazighe ? En revanche, les Imazighen peuvent s’attribuer le mérite d’avoir influencé la culture punique, puisque la déesse protectrice de Carthage, Tinnit, appartenait au panthéon amazighe.
A en juger par ce que nous rapporte Silius Italicus (p. 8) sur la visite du jeune Hannibal à un temple carthaginois, les prêtresses de Tinnit étaient surtout des Imazighen qui s’imposaient par leur fougue et leur verve. Pline (Parag. 24, p. 56) et d’autres historiens anciens nous disent que les habitants de la région de Carthage, le Byzacium, et des villes côtières de Numidie étaient nommés Libyphéniciens.
Citons, entre d’autres preuves, le fait que le roi Masinissa était hellénisant, et qu’il a tenu à s’entourer dans sa cour d’artistes et de musiciens hellènes. Les Athéniens de leur côté ont érigé une statue du roi écrivain Juba II, auprès d’une bibliothèque, au cœur même de leur cité. (Gsell, VIII, 251).
Il est difficile, par contre, de déterminer de façon précise les périodes antiques où Imazighen et Juifs ont commencé à cohabiter et à s’influencer les uns les autres. Traitant le sujet, S. Gsell a écrit ceci : « Nous devons mentionner encore d’autres étrangers, dont l’établissement
A l’inverse, c’est par pléiades que l’on peut citer des noms numides, libyens ou africains, c’est-à-dire imazighen, ayant donné un éclat tout à fait particulier aux lettres latines. Déjà cité plus haut en tant que dramaturge, Térence « a laissé six comédies… jouées entre 166 et 160 av. J. C. » nous disent ses biographes. Sa « comédie [a été] caractérisée par le souci d’adapter la finesse et l’élégance du génie grec au goût d’un public romain lettré » (Le Robert 2, Terence).
« Le plus célèbre des écrivains africains [d’avant la christianisatio
Je me permets néanmoins de rappeler que même du point de vue de sa filiation, Augustin a été le produit des relations symbiotiques entre peuples méditerranéens ; il était de mère romaine et de père amazighe, Ainsi donc, autant les rapports entre Romains et Imazighen ont été conflictuels sur les deux plans politique et militaire, autant ils ont été fructueux sur le plan culturel. Le phénomène est courant dans l’histoire : les Algériens ont combattu la France, mais ont enrichi sa littérature. La période islamique de l’histoire des Imazighen, sans être vraiment la plus longue, est la mieux connue, parce elle est la plus récente et la mieux
étudiée. Il serait donc fastidieux d’énumérer les centaines de penseurs, d’écrivains, ou de savants amazighes qui ont contribué à la constitution du patrimoine culturel arabo-islamique
Alors parut combien la romanisation était superficielle et son extension limitée. » a écrit le premier (Julien, p. 194). L’historienne belge, Marguerite Rachet, nous renvoyant elle aussi au rôle de la géographie, tire la conclusion suivante : « Rome rêvait de dominer une Berbérie agricole et prospère… Cette ambition supposait un total bouleversement des habitudes sociales des indigènes, fondées le plus souvent sur le semi-nomadisme » (Rachet, p. 259). D. Rivet pour sa part, parlant des Français pacifiant le Maroc, au début du XXe siècle, dans un chapitre intitulé « Une guerre de trente ans », n’hésite pas à écrire que « la résistance fut le fait essentiellement
L’art de la guerre développé par les Imazighen au cours des trois mille ans connus de leur histoire, est resté constamment identique à lui-même. Essentiellement
En plus du cheval barbe, les Imazighen ont eu deux alliés naturels, la montagne et, en arrière-plan, les zones semi-arides, et même le désert, qui leur permettaient d’avoir recours à des guerres d’usure, courtes mais très efficaces à la longue.
Cet art de la guerre était le produit normal d’une organisation politique née elle-même d’une nature géographique bien déterminée, laquelle a constitué un obstacle infranchissable
L’indigence des sols et l’austérité des paysages nord-africains n’ont cependant pas desséché les cœurs au point de les rendre incapables de générosité. Bien au contraire, ils y ont engendré le sentiment que l’hospitalité et le sens du partage doivent rendre supportable l’inclémence des cieux et des saisons. Il s’y ajoute que l’esprit amazighe, longtemps formé à répondre aux exigences égalitaristes de la vie tribale, a acquis un sens aigu de la justice. De ce point de vue, il devient possible de procéder à une analyse objective de l’attachement des Imazighen à la nécessité d’une gestion démocratique de leurs affaires. Cet attachement est si fort qu’il engendre une conception unanimiste du pouvoir décisionnel, et rend souvent inopérante la volonté de la majorité. De saint-Augustin (354-430) à Lyoussi (1630-1691) les Imazighen ont la même soif de justice. « Si l’on écarte la justice, que sont les royaumes, sinon de grands brigandages ! » a décrété le premier dans sa Cité de Dieu. « La justice prime l’observance religieuse ! » assène d’une certaine manière le second au théocrate intransigeant Moulay Ismaïl. C’est, en partie, cette quête éperdue d’égalité, de démocratie, et de justice qui, par ses excès, a rendu politiquement vulnérable la société amazighe, l’a fragilisée à l’égard de l’étranger, et l’a empêchée de s’assumer elle-même en tant que nation organisée. Il a bien émergé des royaumes amazighes dans l’antiquité, mais ils n’ont duré que quatre siècles environ (Doc. n° VII). Leur existence du reste n’avait pas aboli le système tribal ; elle s’en était servie, en s’en accommodant. A Thugga, en Numidie, il y avait bien un Conseil des Citoyens en 138 av. J. C., à l’époque du roi Micipsa (Camps, p. 311). Le califat almohade lui-même, au Moyen Age, avait son Conseil des Dix, et son Assemblée des Cinquante, dont quarante délégués des tribus (Terrasse, Tome I, p. 276). C’est donc « l’affirmation d’un pouvoir collectif » où l’on trouve « les prémices de la démocratie » (Camps, p. 310) qui a empêché l’émergence de monarchies vraiment sûres d’elles et appelées à durer. Cette société amazighe régie par des pouvoirs collectifs locaux ou régionaux a sécrété, à la longue, un humanisme de bon aloi, comme en témoigne les dispositions juridiques de l’azerf. En raison du fait qu’il est le produit
de mille petits consensus ayant modifié les uns les autres à travers les siècles, et non celui d’un décret d’autocrate, à l’image du Code de Hammourabi, l’azerf, le droit coutumier amazighe, est en effet un droit humain, positif, et évolutif. Des sanctions judiciaires, il bannit totalement les châtiments corporels, y compris la peine de mort. Quand il y a meurtre, l’assassin est condamné à l’exil. En deçà, les peines encourues sont toutes d’ordre économique : dommages et intérêts payés à la partie civile ; amendes versées à la communauté. Seules des sanctions morales à caractère éducatif sont appliquées aux mineurs. Le statut de la femme bénéficie d’interprétatio
chariâa, ou améliore son dispositif des compensations. C’est ainsi, par exemple, que l’indemnité accordée à une divorcée (tamazzalt) est calculée au prorata des années de mariage, et n’est pas laissée à la discrétion du juge.
Mais le statut dont la femme a bénéficié avant l’islam a dû lui être beaucoup plus favorable, la société amazighe ayant été régie par le matriarcat des millénaires durant (Abrous et Claudot-Hawad, Annuaire ; Ousgan, thèse). Dans beaucoup de tribus, les hommes continuent à dire les lionnes (tisednan) quand ils parlent de la gent féminine, par référence à un conte déjà connu à l’époque de Juba II. Ajoutons à ceci que le droit de la guerre intertribale interdit le rapt des femmes et des enfants. Par ailleurs, c’est avec horreur que tout Amazighe entend parler de cette pratique barbare qu’est l’excision des jeunes filles.
Enfin, comme en témoigne un membre de l’intelligentsi
aucun statut particulier au juif… » (Elbaz, p. 84). Cela suppose l’existence d’une philosophie amazighe du droit. Or, cette philosophie existe bel et bien. Elle aurait été explicitée, en des
temps très anciens, dans un jugement rendu par un tribunal coutumier, à propos d’un litige foncier. L’une des parties ayant affirmé que le terrain faisant l’objet du procès « appartenait à sa famille depuis qu’elle était descendue du ciel », les juges donnèrent gain de cause à l’autre partie, laquelle avait affirmé, elle, que le terrain « appartenait aux siens, depuis qu’ils avaient germé dans son sol »… « Attendu que rien ne descend du ciel, et que tout monte de la terre… ! » proclama haut et fort le tribunal… Et c’est de cette même philosophie que participe la valorisation du travail dans la culture amazighe : « Si tu ne te fais pas de cloques, ô ma main, c’est mon cœur qui en aura ! » dit le poète.
Ce patrimoine immatériel, qui est l’âme même de la l’Amazighité, est toujours standing by et ne demande qu’à être recyclé et réinvesti dans la vie moderne ; sa plasticité le lui permet, lui qui se réclame de la seule humanité. Mais il attend que le support linguistique dont il est le produit soit libéré de l’impérialisme culturel dont il est victime. Lisons sur la question ce qu’a écrit, il y a plus de vingt ans, l’un des meilleurs spécialistes des langages de l’humanité : « … le fait amazighe n’est reconnu ni en Algérie ni au Maroc, où, de façon différente mais avec la même vigueur, s’exerce la même pression tendant à les [les Imazighen] arabiser… Cependant, la volonté de survivre se développe et pose même un problème politique qui n’existerait vraisemblableme
Aussi les tartufes de tous bords s’ingénient-ils
Par Mas Mohammed CHAFIK, académicien amazighe
Les Imazighen dit berbères, ne se sont jamais désignés eux-mêmes par ce nom. Jusqu’au
début du XIXème siècle les Européens en général utilisaient pour parler de l’Afrique du Nord le vocable Barbaria, hérité de l’Eglise catholique dont on connaît le conservatisme langagier. En français, la forme « Berbère » avait déjà commencé à se substituer à la forme « Barbare » vers la fin du XVIIème siècle, sous l’influence de l’arabe nord-africain. En cette dernière langue on prononçait en effet Bräber. C’est de là aussi que semble venir la forme Berbero commune à l’espagnol et à l’italien. Mais que s’est-il passé pour que, de tous les peuples anciens, du nord et du sud du bassin méditerranéen, seuls les Nord-Africains ont continué à être, en quelque sorte, considérés comme barbares ?... Il s’est passé qu’au VIIème siècle de l’ère chrétienne les envahisseurs arabes de ce qu’on nomme actuellement le Maghreb ont emprunté le terme Barbarus aux Byzantins, lesquels Byzantins nous regardaient comme étant leurs ennemis du double point de vue politique et religieux. Aucun Amazighe pourtant n’a jamais senti vivre en lui la moindre once de barbarie, puisque chacun de nous s’est toujours vu comme étant un Amazighe, c’est-à-dire, étymologiquemen
Mais, avant de parler des Imazighen des temps anciens, peut-être conviendrait-il
Toujours est-il qu’en l’état actuel des choses, le morcellement géographique de l’élément amazighophone à travers l’immensité aux trois quarts désertique du nord de l’Afrique, suggère à l’observateur non averti l’idée que l’amazighité ne peut être, ou même n’avoir été, que minoritaire, à telle enseigne qu’un universitaire moyen-oriental ne s’aperçoit pas de la bévue qu’il commet ainsi : balayant du revers de la main, sur une carte, une large zone désertique et totalement inhabitée, autour d’une oasis amazighophone marquée en jaune, il lance à la cantonade : « Mais voyez comme c’est vaste le domaine de la langue arabe ! ». Aussi est-il utile de signaler que c’est la toponymie qui rend le mieux compte de la vastitude du domaine historique amazighe, et qui en indique les limites de façon suffisamment précise.
Que ce soit au Maroc, en Algérie, en Mauritanie, au Mali, et, à une moindre échelle, en Libye, au Niger, et en Tunisie, c’est grâce à la langue amazighe que les toponymistes procèdent au décryptage étymologique de la majorité des noms de lieux, de régions, de fleuves, de montagnes, et de beaucoup de villes. Fès, Mekhnès, Marrakech, Agadir, Tanger, Oujda, Oran, Tlemcen, Tizi-Ouzou, Tunis, Nouakchott, Tombouctou, etc, sont des noms amazighes. Cette vaste contrée où prédomine, jusqu’à nos jours, la marque toponymique amazighe, a reçu des anciens Grecs un nom : celui de « Libye » prononcé « Liboué », lequel nom a été employé pour la première fois au IXe siècle av. J. C. par le grand poète Homère, pour désigner le pays « allant de l’Egypte à l’Océan » (Bailly, p. 1190). Empruntée à l’Egyptien, la dénomination « Libye » ne s’appliquait à l’origine qu’à l’une des deux grandes tribus amazighes évoluant dans le désert à l’ouest du Nil : les Libué, précisément, et les Temehu. (Document n° I). C’est donc depuis la plus haute antiquité (IXe siècle. av. J. C.) que les Grecs ont nommé « Libyens » l’ensemble des Imazighen. Plus tard ils donneront le nom de Nomadia (Numidia, en latin) à la partie centrale de la Libyê, et le nom de Maurousia (Mauritania, en latin) à la partie la plus occidentale, faisant allusion au fait que c’est elle qui voit se coucher le soleil et naître l’obscurité (Bailly, pp. 1230, 1331). Quant au nom « Africa », il dérive du mot amazighe « afri, ifri » sous lequel était connu l’habitat de populations troglodytes de l’ancienne Tunisie, dont descend la grande tribu Ayt Ifran (Bani Ifran, en arabe).
Ce sont les Romains qui ont utilisé « Africa » pour nommer, au départ, la partie de la Numidie se trouvant dans la mouvance de Carthage. Le mot fera fortune par la suite, puisqu’il finira par devenir le nom de tout un continent. De tout ce continent les anciens Grecs n’avaient donc donné de noms qu’aux deux régions qu’ils connaissaient, à savoir l’Egypte, et l’incommensurab
Les autres sont restés en réserve, si je puis dire, et ont ainsi pu sauvegarder la culture amazighe proprement dite. Cependant, les premiers partenaires historiques des Imazighen ont bien été leurs voisins les plus proches, c’est-à-dire les Egyptiens. Mais nous en parlerons en dernier, parce que les deux peuples semblent avoir eu beaucoup plus que de simples rapports de voisinage. C’est des Grecs qu’il sera d’abord question Après des frictions, ou même de courtes guerres dues au fait que des colons hellènes sont venus s’installer sur les côtes libyques, face à la Grèce, au IXème siècle av.J.C, il semble bien qu’un modus vivendi ait été assez vite trouvé entre les nouveaux venus et leurs hôtes amazighes, dans l’ensemble des cinq cités, les fameuses Pentapolis, appelées à prospérer sur la rive sud de la Méditerranée pendant plus de quinze siècles, du IXème siècle av. J. C., jusqu’au VIIème siècle de l’ère chrétienne. Ecoutons le grand poète grec Callimaque (315-240 av. J. C.) chanter le bonheur de vivre dans la principale de ces cités, Cyrène (Kurênê), au IIIème siècle. av. J. C. :
Grande fut la joie au cœur de Phoibos,
Quand, venu le temps des fêtes Carnéiennes,
Les hommes d’Enyô, les porte-ceinturon
Firent un chœur de danse parmi les blondes Libyennes.
………………………………………
Jamais Apollon ne vit chœur plus vraiment divin !
Jamais le dieu n’accorda tant à nulle cité qu’il fit à Cyrène !
(Callimaque, p. 228)
Et c’est ainsi que nous apprenons, au passage, que les anciens imazighen étaient plutôt blonds, ceux du moins qui cohabitaient avec les Grecs de Cyrénaïque, au troisième siècle avant J. CH. Mais ce qu’il y a de vraiment étonnant, et de paradoxal en apparence, c’est que les Grecs nourrissaient à l’égard des imazighen une profonde vénération.
L’historien Hérodote (484-425 av. J. C.) les considérait comme le peuple du monde qui « jouit du meilleur état de santé », surclassant en ce domaine les Egyptiens et les Grecs eux-mêmes (Hérodote, L. II parag. 77 p. 199). « Le costume et l’égide qu’on voit en Grèce aux statues d’Athéna, ajoute-t-il, sont inspirés des vêtements des Libyennes….. Atteler à quatre chevaux est encore un usage passé des Libyens à la Grèce » (Hérodote, L. IV, parag. 189, p. 444). L’écrivain latin, Pline l’Ancien (23 – 79) nous signale que les Grecs attribuaient la fondation de Tanger (Tingi) au géant de leur mythologie Antaios (Antée) (Pline, L. V, parag. 2, p. 45), et que Grecs et Libyens de Cyrène allaient ensemble en pèlerinage au temple d’Amoun à Siwa (Pline, L.V, parag. 31, p.60 et commentaire p. 351). Athena la vierge, Athena la déesse guerrière protectrice d’Athènes, Athena la déesse de l’intelligence,
Il y a lieu de penser, à partir de ces données, que les Grecs savaient pertinemment que leur civilisation était la fille de celle de l’Egypte et de la Libye. Les historiens français Jean Servier et Pierre Rossi ont développé ce sujet, le premier en ce qui concerne les Imazighen, et le second en ce qui a trait à l’influence de l’Egypte sur la Grèce. Je reviendrai tout à l’heure sur la question des liens entre Imazighen et Egyptiens, comme je l’ai déjà annoncé. C’est aussi sur la rive libyenne de la Méditerranée que les Imazighen ont cohabité, ou simplement voisiné, avec ces autres marins commerçants qu’ont été les Phéniciens. Avec le consentement mielleusement extorqué aux autochtones, ces derniers sont parvenus à fonder de nombreux comptoirs sur les côtes nord-africaines
J. C.. les Byzantins, qui leur ont succédé, après un intermède d’un siècle environ durent se cantonner dans un petit nombre de ports méditerranéens.
Le bilinguisme des meilleurs n’a-t-il pas été la cause directe d’une certaine stagnation de la langue amazighe ? En revanche, les Imazighen peuvent s’attribuer le mérite d’avoir influencé la culture punique, puisque la déesse protectrice de Carthage, Tinnit, appartenait au panthéon amazighe.
A en juger par ce que nous rapporte Silius Italicus (p. 8) sur la visite du jeune Hannibal à un temple carthaginois, les prêtresses de Tinnit étaient surtout des Imazighen qui s’imposaient par leur fougue et leur verve. Pline (Parag. 24, p. 56) et d’autres historiens anciens nous disent que les habitants de la région de Carthage, le Byzacium, et des villes côtières de Numidie étaient nommés Libyphéniciens.
Citons, entre d’autres preuves, le fait que le roi Masinissa était hellénisant, et qu’il a tenu à s’entourer dans sa cour d’artistes et de musiciens hellènes. Les Athéniens de leur côté ont érigé une statue du roi écrivain Juba II, auprès d’une bibliothèque, au cœur même de leur cité. (Gsell, VIII, 251).
Il est difficile, par contre, de déterminer de façon précise les périodes antiques où Imazighen et Juifs ont commencé à cohabiter et à s’influencer les uns les autres. Traitant le sujet, S. Gsell a écrit ceci : « Nous devons mentionner encore d’autres étrangers, dont l’établissement
A l’inverse, c’est par pléiades que l’on peut citer des noms numides, libyens ou africains, c’est-à-dire imazighen, ayant donné un éclat tout à fait particulier aux lettres latines. Déjà cité plus haut en tant que dramaturge, Térence « a laissé six comédies… jouées entre 166 et 160 av. J. C. » nous disent ses biographes. Sa « comédie [a été] caractérisée par le souci d’adapter la finesse et l’élégance du génie grec au goût d’un public romain lettré » (Le Robert 2, Terence).
« Le plus célèbre des écrivains africains [d’avant la christianisatio
Je me permets néanmoins de rappeler que même du point de vue de sa filiation, Augustin a été le produit des relations symbiotiques entre peuples méditerranéens ; il était de mère romaine et de père amazighe, Ainsi donc, autant les rapports entre Romains et Imazighen ont été conflictuels sur les deux plans politique et militaire, autant ils ont été fructueux sur le plan culturel. Le phénomène est courant dans l’histoire : les Algériens ont combattu la France, mais ont enrichi sa littérature. La période islamique de l’histoire des Imazighen, sans être vraiment la plus longue, est la mieux connue, parce elle est la plus récente et la mieux
étudiée. Il serait donc fastidieux d’énumérer les centaines de penseurs, d’écrivains, ou de savants amazighes qui ont contribué à la constitution du patrimoine culturel arabo-islamique
Alors parut combien la romanisation était superficielle et son extension limitée. » a écrit le premier (Julien, p. 194). L’historienne belge, Marguerite Rachet, nous renvoyant elle aussi au rôle de la géographie, tire la conclusion suivante : « Rome rêvait de dominer une Berbérie agricole et prospère… Cette ambition supposait un total bouleversement des habitudes sociales des indigènes, fondées le plus souvent sur le semi-nomadisme » (Rachet, p. 259). D. Rivet pour sa part, parlant des Français pacifiant le Maroc, au début du XXe siècle, dans un chapitre intitulé « Une guerre de trente ans », n’hésite pas à écrire que « la résistance fut le fait essentiellement
L’art de la guerre développé par les Imazighen au cours des trois mille ans connus de leur histoire, est resté constamment identique à lui-même. Essentiellement
En plus du cheval barbe, les Imazighen ont eu deux alliés naturels, la montagne et, en arrière-plan, les zones semi-arides, et même le désert, qui leur permettaient d’avoir recours à des guerres d’usure, courtes mais très efficaces à la longue.
Cet art de la guerre était le produit normal d’une organisation politique née elle-même d’une nature géographique bien déterminée, laquelle a constitué un obstacle infranchissable
L’indigence des sols et l’austérité des paysages nord-africains n’ont cependant pas desséché les cœurs au point de les rendre incapables de générosité. Bien au contraire, ils y ont engendré le sentiment que l’hospitalité et le sens du partage doivent rendre supportable l’inclémence des cieux et des saisons. Il s’y ajoute que l’esprit amazighe, longtemps formé à répondre aux exigences égalitaristes de la vie tribale, a acquis un sens aigu de la justice. De ce point de vue, il devient possible de procéder à une analyse objective de l’attachement des Imazighen à la nécessité d’une gestion démocratique de leurs affaires. Cet attachement est si fort qu’il engendre une conception unanimiste du pouvoir décisionnel, et rend souvent inopérante la volonté de la majorité. De saint-Augustin (354-430) à Lyoussi (1630-1691) les Imazighen ont la même soif de justice. « Si l’on écarte la justice, que sont les royaumes, sinon de grands brigandages ! » a décrété le premier dans sa Cité de Dieu. « La justice prime l’observance religieuse ! » assène d’une certaine manière le second au théocrate intransigeant Moulay Ismaïl. C’est, en partie, cette quête éperdue d’égalité, de démocratie, et de justice qui, par ses excès, a rendu politiquement vulnérable la société amazighe, l’a fragilisée à l’égard de l’étranger, et l’a empêchée de s’assumer elle-même en tant que nation organisée. Il a bien émergé des royaumes amazighes dans l’antiquité, mais ils n’ont duré que quatre siècles environ (Doc. n° VII). Leur existence du reste n’avait pas aboli le système tribal ; elle s’en était servie, en s’en accommodant. A Thugga, en Numidie, il y avait bien un Conseil des Citoyens en 138 av. J. C., à l’époque du roi Micipsa (Camps, p. 311). Le califat almohade lui-même, au Moyen Age, avait son Conseil des Dix, et son Assemblée des Cinquante, dont quarante délégués des tribus (Terrasse, Tome I, p. 276). C’est donc « l’affirmation d’un pouvoir collectif » où l’on trouve « les prémices de la démocratie » (Camps, p. 310) qui a empêché l’émergence de monarchies vraiment sûres d’elles et appelées à durer. Cette société amazighe régie par des pouvoirs collectifs locaux ou régionaux a sécrété, à la longue, un humanisme de bon aloi, comme en témoigne les dispositions juridiques de l’azerf. En raison du fait qu’il est le produit
de mille petits consensus ayant modifié les uns les autres à travers les siècles, et non celui d’un décret d’autocrate, à l’image du Code de Hammourabi, l’azerf, le droit coutumier amazighe, est en effet un droit humain, positif, et évolutif. Des sanctions judiciaires, il bannit totalement les châtiments corporels, y compris la peine de mort. Quand il y a meurtre, l’assassin est condamné à l’exil. En deçà, les peines encourues sont toutes d’ordre économique : dommages et intérêts payés à la partie civile ; amendes versées à la communauté. Seules des sanctions morales à caractère éducatif sont appliquées aux mineurs. Le statut de la femme bénéficie d’interprétatio
chariâa, ou améliore son dispositif des compensations. C’est ainsi, par exemple, que l’indemnité accordée à une divorcée (tamazzalt) est calculée au prorata des années de mariage, et n’est pas laissée à la discrétion du juge.
Mais le statut dont la femme a bénéficié avant l’islam a dû lui être beaucoup plus favorable, la société amazighe ayant été régie par le matriarcat des millénaires durant (Abrous et Claudot-Hawad, Annuaire ; Ousgan, thèse). Dans beaucoup de tribus, les hommes continuent à dire les lionnes (tisednan) quand ils parlent de la gent féminine, par référence à un conte déjà connu à l’époque de Juba II. Ajoutons à ceci que le droit de la guerre intertribale interdit le rapt des femmes et des enfants. Par ailleurs, c’est avec horreur que tout Amazighe entend parler de cette pratique barbare qu’est l’excision des jeunes filles.
Enfin, comme en témoigne un membre de l’intelligentsi
aucun statut particulier au juif… » (Elbaz, p. 84). Cela suppose l’existence d’une philosophie amazighe du droit. Or, cette philosophie existe bel et bien. Elle aurait été explicitée, en des
temps très anciens, dans un jugement rendu par un tribunal coutumier, à propos d’un litige foncier. L’une des parties ayant affirmé que le terrain faisant l’objet du procès « appartenait à sa famille depuis qu’elle était descendue du ciel », les juges donnèrent gain de cause à l’autre partie, laquelle avait affirmé, elle, que le terrain « appartenait aux siens, depuis qu’ils avaient germé dans son sol »… « Attendu que rien ne descend du ciel, et que tout monte de la terre… ! » proclama haut et fort le tribunal… Et c’est de cette même philosophie que participe la valorisation du travail dans la culture amazighe : « Si tu ne te fais pas de cloques, ô ma main, c’est mon cœur qui en aura ! » dit le poète.
Ce patrimoine immatériel, qui est l’âme même de la l’Amazighité, est toujours standing by et ne demande qu’à être recyclé et réinvesti dans la vie moderne ; sa plasticité le lui permet, lui qui se réclame de la seule humanité. Mais il attend que le support linguistique dont il est le produit soit libéré de l’impérialisme culturel dont il est victime. Lisons sur la question ce qu’a écrit, il y a plus de vingt ans, l’un des meilleurs spécialistes des langages de l’humanité : « … le fait amazighe n’est reconnu ni en Algérie ni au Maroc, où, de façon différente mais avec la même vigueur, s’exerce la même pression tendant à les [les Imazighen] arabiser… Cependant, la volonté de survivre se développe et pose même un problème politique qui n’existerait vraisemblableme
Aussi les tartufes de tous bords s’ingénient-ils
26 octobre 2016, 14:17Rabat, Rabat-Salé-Zemmour-Zaër, MarocPublic

 
 
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