Monsieur le Premier Ministre François Fillon, suite à votre exposé en date du dimanche 28 août 2016 dans votre fief à Sablé-sur-Sarthe, étant un descendant des colonisés, je me suis senti interpellé. C’est d’ailleurs, ce qui motive ce droit de réponse.
De prime abord, je dois vous remercier pour avoir soulevé ce débat sur la colonisation. En effet, l’histoire réelle non biaisée doit être enseignée aux enfants français, non pas
pour qu’ils aient honte de leurs ascendants mais, au contraire qu’ils puissent connaître ce que, nous les africains, nos arrière-grands-parents et grands-parents ont enduré pendant les 70 ans de colonisation et les 400 ans d’esclavage. D’ailleurs, Pr Sekené Mody Sissoko nous enseigne : « Qu’un peuple n’est grand en assumant tout son passé, quelle que soit l’opinion, bonne ou mauvaise, qu’on puisse en avoir[1].» L’enseignement de la vraie histoire Africaine est doit être dans les programmes scolaires Français surtout lorsqu’on sait que « l’apprentissage des civilisations de l’Afrique en classe de 5e a été discrètement retirée des programmes». Libération dans sa livraison « Enseignement de l’Afrique à l’école, un oubli coupable » du 9 octobre 2015 nous relate l’indignation de Jean-Pierre Chrétien, Historien et Pierre Boilley, Professeur d’histoire de l’Afrique contemporaine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne sur cet oubli. Ces universitaires Français disent que : « le retrait de la question d’histoire africaine en classe de 5e résonne comme un signal de repliement, d’ignorance et de mépris. Les responsables de la rédaction de ces programmes doivent reprendre leurs esprits, ne pas se laisser intimider par des préjugés d’un autre âge et rectifier cet étrange ‘oubli’.»
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Monsieur le Premier Ministre, c’est avec un intérêt pointu que j’ai regardé et écouté votre déclaration. Vous dites : « que la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord». Tout d’abord, je constate ici que vous avez des propos révisionnistes, n’est-ce pas René Dumont qui nous dit : « l’enseignement colonial, (…), éliminait les langues locales, sous-estimait les cultures africaines et faisait l’éloge de la colonisation[2]». Dumont qui fut, d’ailleurs, un des professeurs de Jacques Chirac, ancien de Président de la République Française. Quant à Aimé Césaire, il nous dira : « partout où la colonisation fait irruption, la culture indigène commence à s’étioler et, parmi les ruines, prend naissance non pas une culture, mais une sorte de sous-culture, une sous-culture qui, d’être condamnée à rester marginale par rapport à la culture européenne[3]». Mieux, Frantz Fanon pensait que : « le colonialisme ne se satisfait pas d’enserrer le peuple dans ses mailles, mais de vider le cerveau colonisé de toute forme et de tout contenu. Par une sorte de perversion de la logique, il s’oriente vers le passé du peuple opprimé, le distord, le défigure, l’anéantit.[4]» Ces témoignages ci-hauts ont été exprimés par d’une part un Français témoin de cette période sombre de notre histoire et d’autre part par des colonisés d’alors que l’écrivain noir Américain, Richard Wright appelle « les méprisés, les insultés, les dépossédés… les opprimés de la race humaine[5].»
Monsieur le Premier Ministre, pour vous aider à vous débarrasser de cette idéologie révisionniste, dotée d’une représentation inexacte de la réalité sur la colonisation, et surtout pour ne pas « déformer » l’histoire je vous invite humblement à lire la préface de votre compatriote Jean-Paul Sartre, dans le livre « les Damnés de la Terre» de Frantz Fanon. Il dit, je cite : « (…) Avec le travail forcé, c’est tout le contraire : pas de contrat ; en plus de ça, il faut intimider ; donc l’oppression se montre. Nos soldats, outre-mer, repoussant l’universalisme métropolitain, appliquent au genre humain le numerus clausus : puisque nul ne peut sans crime dépouiller son semblable, l’asservir ou le tuer, ils posent en principe que le colonisé n’est pas le semblable de l’homme. Notre force de frappe a reçu mission de changer cette abstraite certitude en réalité : ordre est donné de ravaler les habitants du territoire annexé au niveau du singe supérieur pour justifier le colon de les traiter en bêtes de somme. La violence coloniale ne se donne pas seulement le but de tenir en respect ces hommes asservis, elle cherche à les déshumaniser. Rien ne sera ménagé pour liquider leurs traditions, pour substituer nos langues aux leurs, pour détruire leur culture sans leur donner la nôtre ; on les abrutira de fatigue. Dénourris, malades, s’ils résistent encore la peur terminera le job : on braque sur le paysan des fusils ; viennent des civils qui s’installent sur sa terre et le contraignent par la cravache à la cultiver pour eux. S’il résiste, les soldats tirent, c’est un homme mort ; s’il cède, il se dégrade, ce n’est plus un homme ; la honte et la crainte vont fissurer son caractère, désintégrer sa personne. L’affaire est menée tambour battant, par des experts : ce n’est pas d’aujourd’hui que datent les “ services psychologiques [6] (…)»
Monsieur le Premier Ministre, Kwame Nkrumah dans son livre « L’Afrique doit s’unir» nous dit que : « vous êtes venus en Afrique sans y être invités» et, nous le savons y compris votre personne que la France n’était pas la bienvenue alors d’où vient ce partage de cultures avec le continent noir ? Pour corroborer l’allégation de Kwame Nkrumah, qu’il me soit permis de citer ici Jules Ferry, qui avait laissé entendre le 28 juillet 1885 devant la chambre des députés : « Si la déclaration des droits de l’homme a été écrite pour les Noirs de l’Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas[7] ».
Monsieur le Premier Ministre François Fillon, vous dites : « Non, la France n’a pas inventé l’esclavage» certes mais son apport fut d’une grandeur inquantifiable. Mieux, nous savons également qu’elle faisait partie des 14 pays représentés à la Conférence de Berlin de 1884-1885, conférence à l’issue de laquelle des coups de sabre ont été assignés, de manière scientifique et délibérée à l’Afrique pour la scinder entre les pays occidentaux. Suite à cette balkanisation du continent, la France agrandira son empire colonial en ayant officiellement comme colonies l’A.O.F. (Afrique Occidentale Française) et l’A.E.F. (Afrique Equatoriale Française). Durant la colonisation dans les écoles de l’A.O.F. et l’A.E.F. était imposé un livre de lecture : « MOUSSA et GI-GLA ». Et, il était préfacé comme suit : « Ce livre a été conçu pour aider à l’éducation de l’enfant noir et lui faire connaitre et aimer la France, lui montrer la France comme le plus glorieux pays, comme le pays le plus avancé en civilisation, le premier de tous autant par le courage de ses soldats et que le mérite de ceux qui l’ont illustré et particulièrement de ceux qui ont apporté à l’Afrique la prospérité et le progrès. L’Afrique produisait des hommes disait Faidherbe, faisons de ces hommes des français heureux et fier de l’être.[8]» M. le Premier Ministre est-ce cela que vous mettez sous le vocable de partage de cultures ?
Monsieur le Premier ministre, la colonisation française est synonyme des 400 000 morts en Algérie, 90 000 morts lors de la « pacification » malgache en 1947, et les 70 000 morts de la guerre du Cameroun[9]. C’est aussi les morts des deux guerres mondiales 1914-1918 et 1939-1945 dont l’effort de « Mama Africa» fût énormément énorme mais jusque-là non apprécié à sa juste valeur. En 1947 n’est-il pas le général Leclerc, le prestigieux chef de la 2e division blindée, qui avait réclamé : « que la France s’acquitte pleinement et sans marchander de la dette d’honneur qu’elle avait contractée auprès des tirailleurs.» Nous pouvons, également, lire sur la première de couverture du merveilleux livre : « Des Tranchées de Verdun à l’Eglise Saint-bernard» de Pr Bakary Kamian : « 80000 maliens au secours de la France (1914-18 et 1939-45) ». Mieux, Pr Bakary Kamian nous apprend que pendant la première guerre mondiale 11,403 Maliens sont morts pour la cause de la France et, la seconde guerre mondiale 7,000 Maliens ont trouvé la mort en défendant le drapeau tricolore Bleu-Blanc-Rouge et 4,535 étaient dans les camps de concentration.
Monsieur le Premier Ministre, l’Afrique est aussi l’empire du Ghana, l’empire Songhaï, l’empire du Mali… Elle est aussi le Roi Kankou Moussa, le grand richissime de tous les temps de la planète terre, le Roi Samory Touré, le Roi Soundjata Kéita qui, avec ses compagnons chasseurs établiront en 1236 la première constitution du monde : la Charte de Mande ou de Kourougafoukan avec ses 44 articles, qui fût d’ailleurs reconnue par l’UNESCO comme patrimoine mondial immatériel. Elle est aussi l’université de Tombouctou, la première université Arabe dans le monde. Elle est également Nelson Mandela, Diallo Telly, Sylvanus Olympio, Thomas Sankara, Amical Cabral, Félix Houphouët-Boigny…
Monsieur le Premier ministre ce droit de réponse est pour la mémoire des dignes fils de la mère des terres qui se sont battus contre de la pénétration coloniale, pour la mémoire de ces révolutionnaires qui se sont rebellés contre la domination coloniale et qui ont été tués par la répression coloniale : Steve Biko, Chris Hani, Ruben Um Nyobè, Patrice Lumumba j’en passe. C’est également pour la mémoire de nos prédécesseurs intellectuels Africains, Alioune Diop et ses compagnons, qui avaient investi le quartier Latin, entre la Rue Descartes à la Rue des écoles, par la création de Présence Africaine pour jalonner la présence de l’Afrique et de l’homme Africain dans l’histoire et la civilisation mondiale physiquement et intellectuellement. Il est aussi pour la mémoire de Joseph Zi-Zerbo et ses compagnons, ce premier africain agrégé en histoire et qui est, d’ailleurs, reconnu comme le père de l’Histoire générale de l’Afrique. C’est aussi pour honorer la mémoire de Cheick Anta Diop et ses compagnons, avec son livre : « Nations Nègres et Cultures» qui avait l’effet d’une bombe après sa publication. Il nous démontra que la civilisation grecque dont l’Europe réclame comme la mère de la civilisation mondiale est une falsification de l’histoire. Nos valeureux Egyptologues l’ont démontré que c’est l’Egypte Antique, je précise l’Egypte Noire, qui a été l’institutrice de la Grèce dans toutes mes matières (la philosophie, la mathématique…). Les savants grecs sont venus chez nous pour s’instruire à savoir Pythagore qui a passé 22 ans en Egypte, Thales, qui a introduit la géométrie en Grèce, était venu se cultiver en Egypte… Platon… j’en oublie. C’est aussi pour la mémoire de nos pères de l’indépendance Africaine et leurs compagnons, grâce à qui, nous la jeune génération africaine, sommes nés étant des hommes libres, il s’agit notamment de : Kwame Nkrumah, Modibo Kéita, Julius Nyerere, Sékou Toure, Léopold Sedar Senghor, Gamel Abdel Nasser, Hamani Diorie, Ahmed Ben Bellah… la liste est encore longue.
Monsieur le Premier ministre, votre apologie de la colonisation nous fait mal jusqu’au plus profond de nous-mêmes, d’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls. Dans sa publication : « Colonisation : le Cran demande à ce que François Fillon soit exclu du parti Les Républicains » du 02 septembre 2016, Jeune Afrique nous raconte le communiqué du Conseil représentatif des associations noires (CRAN), dont son président, Louis-Georges Tin, qualifie vos propos : ‘d’ «odieux » et « révisionnistes ». « La première colonisation, mise en place par la monarchie, explique le communiqué, a été marquée par l’esclavage des Africains déportés en Amérique. La seconde colonisation, au 19e et au 20e siècle, a été marquée également par les massacres et le travail forcé, qui tua à la tâche des millions d’Africains. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agissait de crimes contre l’humanité.»’
Enfin, terminons ce droit de réponse par l’amende honorable faite par Ségolène Royale sur la colonisation. Cité par Le Point dans son article « Pardon pour l’esclavage et la colonisation» du 19 mai 2009, l’ex-candidate à la présidentielle Française de 2007 a dit, je cite : « Pardon pour l’esclavage et la colonisation, merci pour tout ce que l’Afrique a apporté à l’Histoire et pour sa participation à la libération de la France.»
« Nos descendants ont des droits sur nous »
Washington DC, le 13 septembre 2016
Issa Balla Moussa Sangaré
Descendant des colonisés d’Afrique
Panafricaniste d’obédience Modibo Keita, Kwame Nkrumah et Julius Nyerere
[1] Pierre Campmas, L’Union Soudanaise R.D.A., Communication Intercontinentale, Paris, p.9.
[2] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Edition du Seuil, Paris, 1991, p.191.
[3] Aimé Césaire citation extraite de Steve Biko, Conscience Noire, Paris, Editions Amsterdam, 2014, p.111.
[4] Ibid. p.110
[5] Cité par Amady Aly Dieng dans « Les Grands Combats de la FEANF, De Bandung aux indépendances 1955-1960, p. 88»
[6] Préface de Jean-paul Sartre dans le livre « Les Damnés de la Terre » de Frantz Fanon
[7] « Africains, levons-nous ! » Paris, Editions Points, 2010, p.43
[8] Préface de Moussa et Gi-gla, Colin 1936, citée par Amadou Seydou Traoré dans « L’école Malienne hier… ! Et Aujourd’hui ?, p. 15»
[9] Jeune Afrique, du 02 septembre 2016 consulté 10 septembre 2016
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