(1ère partie) : Quelle sortie de crise pour le Mali ?
C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu le dernier papier de Joseph Brunet-Jailly qui comme à son habitude fait montre d’une bonne connaissance du Mali et d’une très bonne analyse des problèmes que le pays connait en ce moment, mais surtout les expose avec un ton incisif qui ne laisse indifférent. Pour ma part, toutes les fois que je l’ai lu, j’ai été surpris de voir les choses sous l’angle à travers lequel il les perçoit et les présente. J’ai toujours pensé que c’est peut-être pour lui une manière d’attirer l’attention des autorités et de la classe politique malienne sur la situation du Mali, de mettre chacun devant ses responsabilités, sa conscience afin de susciter un débat ou un élan patriotique de la part des uns et des autres pour se mettre ensemble et chercher des solutions aux problèmes soulevés. La question qui me taraude à chaque fois aussi est de savoir si les unes et les autres le lisent vraiment car que ses écrits semblent rester lettres mortes, ne suscitant aucun débat, aucune réaction de leur part.
Au vu du silence et de l’étonnante impassibilité que ses écrits n’ont jusque-là pu briser, j’en viens à me demander, une manière sans doute de me réconforter, si tout ce que dit Brunet-Jailly, les menaces sur la cohésion sociale, l’intégrité territoriale du Mali, les risques de partition du pays qu’il n’a eu de cesse de dévoiler ne sont pas en fait une vue de son esprit par trop pessimiste, raison pour laquelle ses écrits laissent indifférents. Et que si on regardait les faits d’un point de vue plutôt optimiste, on pourrait voir derrière ces contradictions et violences sociales et politiques, l’annonce d’un changement en profondeur qui aboutirait à l’émergence de nouvelles élites politiques et sociales plus intègres et plus soucieuses de l’avenir de leur pays. Mais cet optimisme est vite tempéré au regard de l’actualité, avec la nomination d’Amadou Koita comme ministre dans le dernier remaniement ministériel. Fervent partisan d’ATT et du mouvement citoyen, Amadou Koita est un jeune leader politique qui a été un moment porte-parole du Front pour la Démocratie et la République (FDR) opposé au coup d’Etat de 2012. A la veille des élections de 2013, il rejoint Jeamil Bittar, candidat à l’élection présidentielle, avant de créer son propre parti.
La lecture que l’ascension d’Amadou Koita donne à voir de la pratique politique, c’est que pour réussir en politique au Mali, il faut savoir crier plus fort avec les loups pour être repéré dans la meute ; avoir le sens pratique pour saisir les opportunités en usant des partis et des hommes comme des marchepieds. Suivant cette conception de la politique, point besoin d’être compétent, d’avoir un leadership, une vision politique et surtout pas d’éthique, ce qui peut même être souvent rédhibitoire à une ascension vers les sommets. Et dire que celui-ci est chargé de donner des repères à la jeunesse et de la construction d’une citoyenneté responsable, faite d’intégrité et ayant le souci de l’intérêt général. Avec un tel parcours, quel discours peut-il livrer à la jeunesse à laquelle il est sensé montrer la voie vers plus de responsabilité, plus d’éthique et d’amour pour la patrie. Peut-il regarder ses collaborateurs dans les yeux et les appeler à plus d’engagement pour le pays et pour l’intérêt général ?
M. Brunet-Jailly décrit dans une première partie le fonctionnement de l’Etat au Mali de 2012 à nos jours à travers quelques institutions avant de procéder dans la deuxième partie à une analyse des aspects controversés de l’accord signé avec les groupes armés et les risques qu’ils comportent pour la survie du pays. Il ne s’agit pas pour moi, en revenant sur les différents points qu’il soulève, de réfuter ce qu’il dit mais plutôt d’essayer d’apporter ma modeste contribution au débat qu’il a soulevé et d’ajouter ma lecture sur certaines des questions soulevées par lui.
Le fonctionnement de l’Etat : continuités et discontinuités
On se saurait s’attarder plus longtemps sur le cas d’Amadou Koita qui est loin d’être unique au Mali car si on veut regarder le parcours de la plupart de ceux qui nous gouvernent ou prétendent vouloir le faire est loin d’être un modèle de réussite qui repose sur une éthique politique. Bien au contraire le parcours de nombre d’entre eux est jalonné de reniements, de trahisons et de retournements de veste.
Avec de telles pratiques, les mêmes qu’on retrouve dans presque toute la société malienne, sur quel socle voulez-vous que l’Etat se construise ou se reconstruise ? Brunet-Jailly parle de « parodie d’Etat qui s’est reconstruite en 2013». Est-ce que vraiment on peut parler de reconstruction avec cet Etat en déconfiture dont on a essayé de recoller les morceaux pour sauver les apparences et pour que la vie continue malgré tout. Et ce ne sont pas des élections qui vont permettre de le reconstruire. On peut seulement constater que l’Etat s’est juste remis à fonctionner, d’ailleurs très difficilement, à travers quelques institutions essentielles parce que telle était la volonté de la France : la présidence, l’assemblée nationale, la justice. Si les collectivités tardent à se mettre en place, c’est parce que cela ne fait pas partie des exigences de la France et parce qu’elles ne sont pas nécessaires au fonctionnement de l’Etat.
L’Etat au Mali reste en effet une parodie parce qu’il n’est même pas capable d’assurer les fonctions minimales d’un Etat, celles d’avoir un territoire et d’assurer son intégrité, et celle d’avoir le monopole de la violence légitime sur ce territoire. J. Brunet-Jailly ajoute que la reconstruction de l’Etat-parodie s’est faite « avec un candidat présentant bien, capable de servir tous les régimes. » Malheureusement ce qu’il dit là, n’est pas propre au candidat élu. Presque tous les candidats à l’élection présidentielle de 2013, à part les jeunes et les nouveaux venus en politique, tous les vieux routiers de la politique malienne correspondent à cette description. Et c’est pourquoi j’ai dit qu’A. Koita est loin d’être une exception, il est la règle. Il n’a fait qu’agir comme bien de ses ainés en politique. Je pense que le problème du Mali, c’est justement cette classe politique qui a une conception de la politique comme un jeu d’intérêts personnels et dans laquelle la fin justifie les moyens.
Si aujourd’hui le Mali est sous tutelle, je ne dirai pas de la « communauté internationale » seulement, ce qui est une autre parodie, mais aussi de la France, c’est justement par la faute de sa classe politique qui n’a pas su saisir l’opportunité qui lui était offerte en 2012 après le coup d’Etat pour instaurer une véritable transition, comme le réclamait d’ailleurs à l’époque certains acteurs de la classe politique. Cela allait certainement permettre de restaurer la légitimité d’un Etat capable de juguler les menaces terroristes et rebelles mais surtout de procéder à une refondation de la République, à une révision constitutionnelle plus consensuelle. En lieu et place, on nous imposa un pouvoir intérimaire sans légitimité aucune et une légalité tirée par les cheveux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la France tenait coûte que coûte à avoir rapidement un pouvoir élu pour donner à son intervention les apparences de la légalité internationale.
Un scénario semblable était en train de se dessiner au Burkina après le coup d’Etat de septembre 2015 perpétré par le Général Diendiéré sous la transition. Mais contrairement au Mali, la classe politique burkinabé unie et les organisations de la société civile se sont mobilisées pour dénoncer et rejeter le plan de sortie de crise proposé par les Présidents Macky Sall et Yayi Boni, les négociateurs de la Cédéao. Les Burkinabé ont décidé de régler le problème entre Burkinabé, d’abord en résistant les mains nues contre les éléments du Régiment de sécurité présidentielle et ensuite en appelant l’armée loyale à se ranger de leur côté venant ainsi à bout des auteurs du coup d’Etat. Le plan de sortie de crise proposé par les présidents Sall et Boni, s’il avait été adopté allait inévitablement aboutir à l’envoi de troupes sous régionales et certainement à une intervention militaire sous mandat onusien à travers les forces militaires françaises stationnées au Burkina. Et le Burkina aussi était parti pour se retrouver sous tutelle, avec une prolongation de sa transition, le maintien du Général Diendiéré comme Président de la nouvelle transition et le retour du clan Compaoré au pouvoir.
Contrairement au Mali, au Burkina nul n’a osé, responsables politiques ou acteurs de la société civile, à un moment ou à un autre de cette crise demander un embargo sur son pays, encore moins faire appel à une intervention extérieure pour se protéger ou protéger ses intérêts. Pas même les partisans de Blaise Compaoré qui avaient tout à gagner dans une intervention extérieure et au maintien du Général Diendiéré. Et si quelqu’un avait osé le faire, celui-ci ce serait certainement disqualifié lui-même ou aurait définitivement brisé sa carrière politique.
A suivre…
Mahamane ousmane DIAWARA
Au vu du silence et de l’étonnante impassibilité que ses écrits n’ont jusque-là pu briser, j’en viens à me demander, une manière sans doute de me réconforter, si tout ce que dit Brunet-Jailly, les menaces sur la cohésion sociale, l’intégrité territoriale du Mali, les risques de partition du pays qu’il n’a eu de cesse de dévoiler ne sont pas en fait une vue de son esprit par trop pessimiste, raison pour laquelle ses écrits laissent indifférents. Et que si on regardait les faits d’un point de vue plutôt optimiste, on pourrait voir derrière ces contradictions et violences sociales et politiques, l’annonce d’un changement en profondeur qui aboutirait à l’émergence de nouvelles élites politiques et sociales plus intègres et plus soucieuses de l’avenir de leur pays. Mais cet optimisme est vite tempéré au regard de l’actualité, avec la nomination d’Amadou Koita comme ministre dans le dernier remaniement ministériel. Fervent partisan d’ATT et du mouvement citoyen, Amadou Koita est un jeune leader politique qui a été un moment porte-parole du Front pour la Démocratie et la République (FDR) opposé au coup d’Etat de 2012. A la veille des élections de 2013, il rejoint Jeamil Bittar, candidat à l’élection présidentielle, avant de créer son propre parti.
La lecture que l’ascension d’Amadou Koita donne à voir de la pratique politique, c’est que pour réussir en politique au Mali, il faut savoir crier plus fort avec les loups pour être repéré dans la meute ; avoir le sens pratique pour saisir les opportunités en usant des partis et des hommes comme des marchepieds. Suivant cette conception de la politique, point besoin d’être compétent, d’avoir un leadership, une vision politique et surtout pas d’éthique, ce qui peut même être souvent rédhibitoire à une ascension vers les sommets. Et dire que celui-ci est chargé de donner des repères à la jeunesse et de la construction d’une citoyenneté responsable, faite d’intégrité et ayant le souci de l’intérêt général. Avec un tel parcours, quel discours peut-il livrer à la jeunesse à laquelle il est sensé montrer la voie vers plus de responsabilité, plus d’éthique et d’amour pour la patrie. Peut-il regarder ses collaborateurs dans les yeux et les appeler à plus d’engagement pour le pays et pour l’intérêt général ?
Le fonctionnement de l’Etat : continuités et discontinuités
On se saurait s’attarder plus longtemps sur le cas d’Amadou Koita qui est loin d’être unique au Mali car si on veut regarder le parcours de la plupart de ceux qui nous gouvernent ou prétendent vouloir le faire est loin d’être un modèle de réussite qui repose sur une éthique politique. Bien au contraire le parcours de nombre d’entre eux est jalonné de reniements, de trahisons et de retournements de veste.
Avec de telles pratiques, les mêmes qu’on retrouve dans presque toute la société malienne, sur quel socle voulez-vous que l’Etat se construise ou se reconstruise ? Brunet-Jailly parle de « parodie d’Etat qui s’est reconstruite en 2013». Est-ce que vraiment on peut parler de reconstruction avec cet Etat en déconfiture dont on a essayé de recoller les morceaux pour sauver les apparences et pour que la vie continue malgré tout. Et ce ne sont pas des élections qui vont permettre de le reconstruire. On peut seulement constater que l’Etat s’est juste remis à fonctionner, d’ailleurs très difficilement, à travers quelques institutions essentielles parce que telle était la volonté de la France : la présidence, l’assemblée nationale, la justice. Si les collectivités tardent à se mettre en place, c’est parce que cela ne fait pas partie des exigences de la France et parce qu’elles ne sont pas nécessaires au fonctionnement de l’Etat.
L’Etat au Mali reste en effet une parodie parce qu’il n’est même pas capable d’assurer les fonctions minimales d’un Etat, celles d’avoir un territoire et d’assurer son intégrité, et celle d’avoir le monopole de la violence légitime sur ce territoire. J. Brunet-Jailly ajoute que la reconstruction de l’Etat-parodie s’est faite « avec un candidat présentant bien, capable de servir tous les régimes. » Malheureusement ce qu’il dit là, n’est pas propre au candidat élu. Presque tous les candidats à l’élection présidentielle de 2013, à part les jeunes et les nouveaux venus en politique, tous les vieux routiers de la politique malienne correspondent à cette description. Et c’est pourquoi j’ai dit qu’A. Koita est loin d’être une exception, il est la règle. Il n’a fait qu’agir comme bien de ses ainés en politique. Je pense que le problème du Mali, c’est justement cette classe politique qui a une conception de la politique comme un jeu d’intérêts personnels et dans laquelle la fin justifie les moyens.
Si aujourd’hui le Mali est sous tutelle, je ne dirai pas de la « communauté internationale » seulement, ce qui est une autre parodie, mais aussi de la France, c’est justement par la faute de sa classe politique qui n’a pas su saisir l’opportunité qui lui était offerte en 2012 après le coup d’Etat pour instaurer une véritable transition, comme le réclamait d’ailleurs à l’époque certains acteurs de la classe politique. Cela allait certainement permettre de restaurer la légitimité d’un Etat capable de juguler les menaces terroristes et rebelles mais surtout de procéder à une refondation de la République, à une révision constitutionnelle plus consensuelle. En lieu et place, on nous imposa un pouvoir intérimaire sans légitimité aucune et une légalité tirée par les cheveux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que la France tenait coûte que coûte à avoir rapidement un pouvoir élu pour donner à son intervention les apparences de la légalité internationale.
Un scénario semblable était en train de se dessiner au Burkina après le coup d’Etat de septembre 2015 perpétré par le Général Diendiéré sous la transition. Mais contrairement au Mali, la classe politique burkinabé unie et les organisations de la société civile se sont mobilisées pour dénoncer et rejeter le plan de sortie de crise proposé par les Présidents Macky Sall et Yayi Boni, les négociateurs de la Cédéao. Les Burkinabé ont décidé de régler le problème entre Burkinabé, d’abord en résistant les mains nues contre les éléments du Régiment de sécurité présidentielle et ensuite en appelant l’armée loyale à se ranger de leur côté venant ainsi à bout des auteurs du coup d’Etat. Le plan de sortie de crise proposé par les présidents Sall et Boni, s’il avait été adopté allait inévitablement aboutir à l’envoi de troupes sous régionales et certainement à une intervention militaire sous mandat onusien à travers les forces militaires françaises stationnées au Burkina. Et le Burkina aussi était parti pour se retrouver sous tutelle, avec une prolongation de sa transition, le maintien du Général Diendiéré comme Président de la nouvelle transition et le retour du clan Compaoré au pouvoir.
Contrairement au Mali, au Burkina nul n’a osé, responsables politiques ou acteurs de la société civile, à un moment ou à un autre de cette crise demander un embargo sur son pays, encore moins faire appel à une intervention extérieure pour se protéger ou protéger ses intérêts. Pas même les partisans de Blaise Compaoré qui avaient tout à gagner dans une intervention extérieure et au maintien du Général Diendiéré. Et si quelqu’un avait osé le faire, celui-ci ce serait certainement disqualifié lui-même ou aurait définitivement brisé sa carrière politique.
A suivre…
Mahamane ousmane DIAWARA
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