Mali 2 : Transition « piège à cons » (1/2)
lundi 16 septembre 2013C’était un des slogans majeurs des « événements de mai 1968 » en France : « Elections, piège à cons ». Charles De Gaulle avait mis fin aux manifestations des étudiants et à la grève générale des travailleurs en organisant, en juin 1968, des élections législatives. Qui avaient provoqué un tsunami de la droite à l’Assemblée nationale. Après la « révolution » (avortée), la « réaction » (affirmée) ! Faudra-t-il porter le même jugement sur la transition menée au Mali par Dioncounda Traoré ? « Transition, piège à cons » !
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Il y a eu cette promotion au généralat des officiers qui, le 22 mars 2013, ont dégommé le régime d’Amadou Toumani Touré (ATT). Et puis voilà que la presse malienne se fait l’écho d’une promotion anachronique de « diplomates ». A la veille du premier tour de la présidentielle, le jeudi 4 juillet 2013, Dioncounda Traoré, président de la République intérimaire, et son ministre des Affaires étrangères, Tiéman Hubert Coulibaly, auraient organisé un vaste mouvement diplomatique. « En vrac et dans la précipitation » selon la presse malienne. Une douzaine d’ambassadeurs et de consuls généraux sont rappelés, priés de « préfinancer le voyage » de retour au pays, les caisses de l’Etat étant vides, tandis que les nouveaux promus sont invités à « rallier vite les postes d’affectation pour éviter une remise en cause par le nouveau président ». C’est ce que rapporte la presse malienne.
Le 4 juillet 2013, plus de trois semaines avant le premier tour de la présidentielle, personne ne sait encore qui accédera au pouvoir. Tiéman Coulibaly a été l’homme-clé des relations internationales du Mali quand le pays allait à vau-l’eau ; ou, plus exactement, quand on avait cessé de croire qu’il était capable, par lui-même, d’aller quelque part. Cet homme d’affaires, qui est également un homme politique, a été nommé ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement formé le 23 août 2012 par Cheick Modibo Diarra. Il prenait alors la suite de Sadio Lamine Sow, conseiller de… Blaise Compaoré à la présidence du Faso. Coulibaly restera en charge de la diplomatie malienne quand Diango Cissoko accédera à la primature en se hissant sur les épaules du capitaine Amadou Haya Sanogo à la fin de l’année 2012. Dans le premier gouvernement de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), Tiéman Coulibaly a perdu le portefeuille des affaires étrangères mais ne quitte pas, pour autant, le gouvernement : il est désormais en charge des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières (numéro 10 du gouvernement). Drôle d’emploi pour un entrepreneur privé… ! Mais il y trouve sûrement son compte.
C’est donc lui qui aurait organisé, avec la caution de Dioncounda Traoré, ce chambardement diplomatique. Qui viserait à placer, dans un certain nombre de capitales, ses hommes (et ses femmes) liges. New York, Washington, Bruxelles, Genève, Rome, Tunis, Ouagadougou, Accra… seraient quelques unes des capitales concernées. Un chambardement qui provoque nécessairement de l’étonnement : à quelques semaines d’un changement de pouvoir, un président intérimaire et son ministre des Affaires étrangères entreprennent de bouleverser les affectations diplomatiques. Non pas pour nommer des diplomates d’expérience ; mais pour placer des copains. On dit que c’est Robert Sékou Tassé, le « bras droit » de Tiéman Coulibaly, qui a débarqué à New York, pour diriger la représentation malienne aux Nations unies. Ce serait Siragata Traoré, son chef de cabinet, qui se retrouverait à Tunis. Le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Sekouba Cissé, se verrait octroyer Bruxelles. Une cousine, Mariam Coulibaly aurait été promue consule générale à Bouaké (Côte d’Ivoire), etc.
C’est encore la presse malienne qui raconte les affrontements que ce « mouvement » bien peu diplomatique provoque. Evoquant même des pugilats, ici et là. Notamment à Ouagadougou. Le mardi 3 septembre 2013, Djibrill Y. Bassolé a reçu les copies figurées des lettres de créance du nouvel ambassadeur de la République du Mali au Burkina Faso. Le diplomate malien a pour nom Drissa Coulibaly. Rien de choquant dans tout cela. En la matière, la diplomatie est de mise. Bassolé dit ce qu’il a à dire : réussite de la sortie de crise et de l’élection présidentielle ; réussite du dialogue institué par la Cédéao ; vigilance et rigueur pour éviter « toute surprise désagréable » concernant la résurgence du « terrorisme »... Coulibaly, de son côté, transmet les salutations des uns et des autres, exprime sa gratitude au peuple burkinabè qui a accueilli des milliers de réfugiés maliens, remercie les autorités burkinabè pour leur implication dans la résolution de la crise et les assure de la volonté de Bamako « de continuer à travailler avec l’ensemble de ses partenaires, dont le Burkina Faso, pour retrouver toutes ses marques ».
Tout cela est normal. Sauf, bien sûr, que l’on relèvera que le précédent ambassadeur de la République du Mali, Mamadou Traoré, n’était en fonction que depuis moins d’un an et demi. Il avait remis à Bassolé les copies figurées de ses lettres de créance le 15 mars 2012. Et devait remettre ses lettres de créance au président du Faso le… 22 mars 2013. Le jour même où le capitaine Sanogo allait renverser ATT. Autant dire que, ce jour-là, Traoré ne foulera pas le tapis rouge du palais de Kosyam. Mais il s’imposera, par la suite, comme un interlocuteur significatif dans le cadre de la médiation menée au titre de la Cédéao. C’est à Ouaga que, début décembre 2012, s’est tenu le premier « sommet » sur le Mali (cf. LDD Burkina Faso 0313/Lundi 3 décembre 2012).
Le gouvernement est alors représenté par Tiéman Coulibaly, ce qui ne manquait pas de mettre à mal la susceptibilité des uns et des autres. Et notamment de Modibo Diarra, premier ministre, partisan d’une implication militaire rapide et totale (forces spéciales, aviation, etc.) des « occidentaux ». Un discours qui tendait à l’isoler sur la scène politique et diplomatique où les « va-t-en guerre » étaient en perte de vitesse même s’ils trouvaient des échos du côté de Paris et d’Abidjan. Lors de ce sommet, Traoré va être un interlocuteur écouté. Ce n’est pas un diplomate de formation ; ingénieur et économiste, il a été le conseiller diplomatique d’ATT de 2004 à 2010. Il est surtout un parfait connaisseur de la situation qui prévaut dans le Nord-Mali pour s’être, depuis plusieurs années, mis à l’étude de la question des tribus nomades touareg des régions de Gao, Tombouctou et Kidal.
Traoré avait une réelle maîtrise des prolégomènes de la question touareg qu’il connaît bien. Et une vision quelque peu apocalyptique de la situation qui était alors celle de son pays (qui, me disait-il, tendait à devenir, en tant qu’Etat, aussi incontrôlable que l’est actuellement le Mexique, soumis à la volonté des cartels de la drogue). Il ne se voilait pas la face et ne tirait pas un trait sur les responsabilités des leaders politiques maliens au cours des dernières décennies. Il n’hésitait pas à mettre le doigt sur les contradictions qui minent non seulement le pays mais également l’Afrique de l’Ouest des rives de la mer Méditerranée aux rives de l’océan Atlantique. Il stigmatisait les comportements des uns et des autres : MNLA, Ansar Dine, AQMI, MUJAO… mais aussi d’ATT et de Paris (notamment dans le cadre de « l’affaire Pierre Camate »), de Doha aussi… On pouvait partager ou ne pas partager son point de vue ; on ne pouvait pas ne pas l’écouter alors que l’on entendait si peu les Maliens s’exprimer sur leur pays*. Ajoutons que Mamadou Traoré, peu prolixe sur son CV, est présenté parfois comme un ancien responsable de la Direction générale de la sécurité d’Etat, la DGSE.
* Je me suis entretenu longuement, le lundi 10 décembre 2012, avec l’ambassadeur Mamadou Traoré, à Ouagadougou, et j’ai eu accès aux divers textes en français et en anglais qu’il a rédigé sur la question touareg (cf. LDD Mali 054 et 055/Mercredi 12 et Jeudi 13 décembre 2012). Le mardi 11 décembre 2012, le premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, sera arrêté puis démissionné par le capitaine Sanogo et aussitôt remplacé par Diango Cissoko, originaire de Djidian, cercle de Kita, dans l’Ouest du Mali.
Jean-Pierre BEJOT
Le 4 juillet 2013, plus de trois semaines avant le premier tour de la présidentielle, personne ne sait encore qui accédera au pouvoir. Tiéman Coulibaly a été l’homme-clé des relations internationales du Mali quand le pays allait à vau-l’eau ; ou, plus exactement, quand on avait cessé de croire qu’il était capable, par lui-même, d’aller quelque part. Cet homme d’affaires, qui est également un homme politique, a été nommé ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement formé le 23 août 2012 par Cheick Modibo Diarra. Il prenait alors la suite de Sadio Lamine Sow, conseiller de… Blaise Compaoré à la présidence du Faso. Coulibaly restera en charge de la diplomatie malienne quand Diango Cissoko accédera à la primature en se hissant sur les épaules du capitaine Amadou Haya Sanogo à la fin de l’année 2012. Dans le premier gouvernement de Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), Tiéman Coulibaly a perdu le portefeuille des affaires étrangères mais ne quitte pas, pour autant, le gouvernement : il est désormais en charge des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières (numéro 10 du gouvernement). Drôle d’emploi pour un entrepreneur privé… ! Mais il y trouve sûrement son compte.
C’est donc lui qui aurait organisé, avec la caution de Dioncounda Traoré, ce chambardement diplomatique. Qui viserait à placer, dans un certain nombre de capitales, ses hommes (et ses femmes) liges. New York, Washington, Bruxelles, Genève, Rome, Tunis, Ouagadougou, Accra… seraient quelques unes des capitales concernées. Un chambardement qui provoque nécessairement de l’étonnement : à quelques semaines d’un changement de pouvoir, un président intérimaire et son ministre des Affaires étrangères entreprennent de bouleverser les affectations diplomatiques. Non pas pour nommer des diplomates d’expérience ; mais pour placer des copains. On dit que c’est Robert Sékou Tassé, le « bras droit » de Tiéman Coulibaly, qui a débarqué à New York, pour diriger la représentation malienne aux Nations unies. Ce serait Siragata Traoré, son chef de cabinet, qui se retrouverait à Tunis. Le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, Sekouba Cissé, se verrait octroyer Bruxelles. Une cousine, Mariam Coulibaly aurait été promue consule générale à Bouaké (Côte d’Ivoire), etc.
C’est encore la presse malienne qui raconte les affrontements que ce « mouvement » bien peu diplomatique provoque. Evoquant même des pugilats, ici et là. Notamment à Ouagadougou. Le mardi 3 septembre 2013, Djibrill Y. Bassolé a reçu les copies figurées des lettres de créance du nouvel ambassadeur de la République du Mali au Burkina Faso. Le diplomate malien a pour nom Drissa Coulibaly. Rien de choquant dans tout cela. En la matière, la diplomatie est de mise. Bassolé dit ce qu’il a à dire : réussite de la sortie de crise et de l’élection présidentielle ; réussite du dialogue institué par la Cédéao ; vigilance et rigueur pour éviter « toute surprise désagréable » concernant la résurgence du « terrorisme »... Coulibaly, de son côté, transmet les salutations des uns et des autres, exprime sa gratitude au peuple burkinabè qui a accueilli des milliers de réfugiés maliens, remercie les autorités burkinabè pour leur implication dans la résolution de la crise et les assure de la volonté de Bamako « de continuer à travailler avec l’ensemble de ses partenaires, dont le Burkina Faso, pour retrouver toutes ses marques ».
Tout cela est normal. Sauf, bien sûr, que l’on relèvera que le précédent ambassadeur de la République du Mali, Mamadou Traoré, n’était en fonction que depuis moins d’un an et demi. Il avait remis à Bassolé les copies figurées de ses lettres de créance le 15 mars 2012. Et devait remettre ses lettres de créance au président du Faso le… 22 mars 2013. Le jour même où le capitaine Sanogo allait renverser ATT. Autant dire que, ce jour-là, Traoré ne foulera pas le tapis rouge du palais de Kosyam. Mais il s’imposera, par la suite, comme un interlocuteur significatif dans le cadre de la médiation menée au titre de la Cédéao. C’est à Ouaga que, début décembre 2012, s’est tenu le premier « sommet » sur le Mali (cf. LDD Burkina Faso 0313/Lundi 3 décembre 2012).
Le gouvernement est alors représenté par Tiéman Coulibaly, ce qui ne manquait pas de mettre à mal la susceptibilité des uns et des autres. Et notamment de Modibo Diarra, premier ministre, partisan d’une implication militaire rapide et totale (forces spéciales, aviation, etc.) des « occidentaux ». Un discours qui tendait à l’isoler sur la scène politique et diplomatique où les « va-t-en guerre » étaient en perte de vitesse même s’ils trouvaient des échos du côté de Paris et d’Abidjan. Lors de ce sommet, Traoré va être un interlocuteur écouté. Ce n’est pas un diplomate de formation ; ingénieur et économiste, il a été le conseiller diplomatique d’ATT de 2004 à 2010. Il est surtout un parfait connaisseur de la situation qui prévaut dans le Nord-Mali pour s’être, depuis plusieurs années, mis à l’étude de la question des tribus nomades touareg des régions de Gao, Tombouctou et Kidal.
Traoré avait une réelle maîtrise des prolégomènes de la question touareg qu’il connaît bien. Et une vision quelque peu apocalyptique de la situation qui était alors celle de son pays (qui, me disait-il, tendait à devenir, en tant qu’Etat, aussi incontrôlable que l’est actuellement le Mexique, soumis à la volonté des cartels de la drogue). Il ne se voilait pas la face et ne tirait pas un trait sur les responsabilités des leaders politiques maliens au cours des dernières décennies. Il n’hésitait pas à mettre le doigt sur les contradictions qui minent non seulement le pays mais également l’Afrique de l’Ouest des rives de la mer Méditerranée aux rives de l’océan Atlantique. Il stigmatisait les comportements des uns et des autres : MNLA, Ansar Dine, AQMI, MUJAO… mais aussi d’ATT et de Paris (notamment dans le cadre de « l’affaire Pierre Camate »), de Doha aussi… On pouvait partager ou ne pas partager son point de vue ; on ne pouvait pas ne pas l’écouter alors que l’on entendait si peu les Maliens s’exprimer sur leur pays*. Ajoutons que Mamadou Traoré, peu prolixe sur son CV, est présenté parfois comme un ancien responsable de la Direction générale de la sécurité d’Etat, la DGSE.
* Je me suis entretenu longuement, le lundi 10 décembre 2012, avec l’ambassadeur Mamadou Traoré, à Ouagadougou, et j’ai eu accès aux divers textes en français et en anglais qu’il a rédigé sur la question touareg (cf. LDD Mali 054 et 055/Mercredi 12 et Jeudi 13 décembre 2012). Le mardi 11 décembre 2012, le premier ministre malien, Cheick Modibo Diarra, sera arrêté puis démissionné par le capitaine Sanogo et aussitôt remplacé par Diango Cissoko, originaire de Djidian, cercle de Kita, dans l’Ouest du Mali.
Jean-Pierre BEJOT
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