Le 10 mars dernier, le Pr Abdoulaye Bathily a donné, au West African Research Centre, à Dakar, une conférence intitulée “ L’Afrique, un continent convoité, face aux défis de ses choix unitaires”. Quelques jours plus tard, j’ai reçu sur un groupe Whatsapp, un extrait de cette conférence qui m’a profondément bouleversé. Après avoir évoqué les conséquences dramatiques de la désertification sur les conditions de vie des éleveurs nomades peuls, l’éminent historien et ancien représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies en Afrique Centrale avertit : “il y a un risque de génocide anti-peul dans [le Delta central du Niger]” avant d’ajouter: “C’est pourquoi j’ai dit à nos amis maliens ‘Faites attention. On commence déjà à entendre les discours ‘Les Peuls nous embêtent.’ ”
Après avoir entendu ces propos glaçants, je me suis précipité, tôt le lendemain matin, sur les sites d’information sénégalais en espérant trouver des comptes rendus plus détaillés et des analyses approfondies de la conférence. Hélas, quelle ne fut ma déception de constater qu’aucun organe de presse ne semblait avoir été au courant de la rencontre, du moins si j’en juge par l’absence de sa couverture par les sites que j’avais visités. Pourtant, l’avertissement du Pr Bathily ne fait que confirmer des faits qui, depuis 2013, sont largement rapportés par plusieurs médias internationaux, des ONG et des centre de recherches basés hors du continent africain.
En effet, cela fait plusieurs années que les Peuls du Centre du Mali, dont des femmes, des enfants et des vieilles personnes, font l’objet de harcèlements et de meurtres perpétrés par l’armée malienne et des milices d’autodéfense créés sur des bases ethniques et qui sont soutenues par le gouvernement. Les Peuls (qu’on appelle aussi Fulbe, Fulani ou Fellata) constituent le groupe ethnique le plus répandu en Afrique ; on les retrouve dans au moins 20 pays sur le continent. Au Centre du Mali (traditionnellement appelé Macina), où les Peuls vivent depuis des siècles, leurs activités pastorales les mettent souvent en conflit avec des pasteurs arabes et touaregs provenant du Nord Mali ou des agriculteurs appartenant à d’autres ethnies comme les Bambara et les Dogons. Depuis que le Mali est devenu indépendant en 1960, cette rivalité pour les pâturages ou les terres agricoles a causé plusieurs conflits sanglants aux relents ethniques. Bien qu’ils soient estimés à environ 14% de la population nationale, les Peuls se sont souvent considérés victimes de discriminations de la part du gouvernement malien qui, d’habitude, prend position en faveur des agriculteurs ou des éleveurs arabes et touaregs originaires du nord.
Par conséquent, quand le MNLA, un mouvement de rébellion touareg, a envahi le Macina en 2012, causant la fuite des Forces armées maliennes (FAMA), les Peuls se sont sentis sérieusement menacés. Cela a poussé quelques membres de leur communauté peule à rejoindre les rangs du MUJAO, un groupe jihadiste qui avait, à son tour, envahi le Mali et qui se battait
Dr Sadibou Sow- Genocide anti-peul
contre le MNLA. Cependant les Peuls ont payé un lourd tribut quand les FAMA sont retournées au Centre du Mali en 2013 avec l’aide de l’armée française. Comme l’a rapporté Human Rights Watch entre autres, beaucoup de bergers peuls, que les militaires et les milices progouvernementales accusent de collusion avec les jihadistes, font l’objet de harcèlements multiformes: arrestations, confiscation de biens, bastonnades, emprisonnement sans procès voire exécutions sommaires. Cette situation rappelle, à plusieurs égards, les violences qui avaient mené au génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994.
Le silence des journalistes et des intellectuels (ouest) africains par rapport à ces rumeurs de génocide anti-peul est d’autant plus inquiétant que les informations sur le sujet ne font pas du tout défaut. Pour en trouver, il suffit de visiter des sites tels que Le Monde Afrique, RFI Afrique, Jeune Afrique, Human Rights Watch, Amnesty International, International Crisis Group, pour ne citer que ceux-là. Qu’est-ce qui explique alors cette omerta? Il est quand même extrêmement scandaleux qu’en 2018, au Macina, des hommes, des femmes, des enfants, et des vieillards soient pourchassés, tabassés, fusillés, égorgés, brûlés et enterrés dans des fosses communes juste à cause de leur appartenance ethnique. La vérité est qu’au Centre du Mali, l’existence de tout un groupe ethnique, en l’occurrence les Peuls, est menacée par l’absence de l’État qui échoue lamentablement dans l’accomplissement de sa mission régalienne. Cela laisse les populations entre le marteau des jihadistes et l’enclume des chasseurs Dan-na Amassagou, une milice se disant « d’autodéfense » et pro-gouvernementale. Cette dernière, qui dispose d’armes de plus en plus sophistiquées (allez savoir d’où elles viennent) continue de commettre, contre la population peule du Macina, des massacres d’une violence inouïe et en toute impunité. Cette violence conjuguée des FAMA et des milices pro-gouvernementales pousse de plus en plus les villageois peuls du Delta intérieur du Niger à déserter leurs habitations rurales pour aller se réfugier dans les villes ou les pays voisins. Ces villages abandonnés par les pasteurs seraient immédiatement récupérées par les voisins dogons pour élargir leurs champs.
Il est ahurissant que cette horreur se passe à quelques encablures de la tombe du Capitaine Mbaye Diagne, ce Jambar du « pays des mille collines » reposant à Touba Mbacké, et les médias ouest-africains font comme si de rien n’était. En essayant de discuter de ce silence avec des Sénégalais, j’ai entendu des commentaires vraiment surprenants. C’est ainsi qu’un ami, du reste bien informé, qui essayait de justifier l’absence de réaction du gouvernement sénégalais, m’a balancé la fameuse formule : « un pays n’a pas d’amis ; il n’a que des intérêts» avant de rebondir sur l’importance de respecter la loi sur la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain. Laakara yoo ! Qui ne se rappelle pas de la forte pression internationale exercée sur un certain Yaya Jammeh pour l’obliger à quitter le pouvoir après avoir perdu les élections en Gambie ? Dans le cas du Mali, il ne s’agit pas de faire respecter les résultats d’une élection. Il s’agit de s’opposer à une épuration ethnique dont les murmures deviennent de plus en plus audibles depuis quelques mois. Il n’y a pas d’intérêts entre des pays voisins qui soient plus importants que la préservation de la vie humaine. Comme le rappelait le Pr Abdoulaye Bathily cité par Jeune Afrique: « Le Mali et le Sénégal, c’est la même histoire et le même peuple [….]. Par-delà les ethnies et les races, le Sahel constitue une unité culturelle.» Or quand la maison de notre parent est en train de brûler, il est immoral de rester inerte. Après tout, avec un peu plus de patience de la part des pères fondateurs de nos nations, Sadio Mané, Keita Baldé et leurs coéquipiers en équipe nationale auraient pu aujourd’hui représenter à la prochaine du monde, non pas le Sénégal, mais la Fédération du Mali.
Dr Sadibou Sow- Genocide anti-peul
Il serait excessivement dangereux de laisser perdurer cette situation. Compte tenu de la présence des Peuls dans plusieurs pays africains, le Mali et la communauté internationale ont intérêt à éviter une situation où les Peuls se diront qu’ils n’ont d’autre choix que de se soulever pour protéger leur communauté contre l’extermination. Un tel soulèvement causerait un chaos dans toute la région soudano-sahélienne; elle deviendrait alors un terreau encore plus fertile pour les guerres indépendantistes ainsi que les activités jihadistes. Les journalistes, intellectuels, artistes et sportifs de l’Afrique (de l’ouest) en général, et du Sénégal, en particulier, doivent tous s’investir dans le retour de la paix et de la convivialité au Mali. Ce serait une honte pour nous tous de laisser les mosquées du Macina voir ce que les églises de Murambi n’auraient jamais dû voir. Protégeons les bergers de Bandiagara contre le sort que connurent ceux de Bisesero pendant les « Cent jours du Rwanda ». Ne laissons pas le Jatigiya/Teddungal malien se noyer dans le Joliba. C’est pourquoi, à l’instar d’autres chercheurs qui se sont penchés sur la crise au Centre du Mali, nous exhortons le gouvernement malien à :
? déployer suffisamment de personnel et d’équipement militaire au Centre du Mali pour protéger tous les civils quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse.
? démanteler toutes les milices pro-gouvernementales et confisquer leurs armes.
? travailler avec des membres crédibles de la société civile malienne et des organisation de défense des droits de l’Homme pour mener des enquêtes sur les abus commis par la police et les membres des forces armées maliennes et traduire en justice tous ceux qui seront soupçonnés d’être impliqués dans de tels abus.
? travailler avec des chefs de communautés crédibles pour promouvoir le dialogue et la réconciliation entre les différentes communautés et trouver des solutions consensuelles et durables à la gestion des pâturages.
Nous faisons appel également à la communauté internationale, en générale, et les pays qui ont contribué à la MINUSMA en particulier, de veiller à ce que le gouvernement malien protège tous les citoyens du pays, sans discrimination.
Au cas où ce gouvernement ferait montre d’une mauvaise volonté dans l’accomplissement de ces devoirs élémentaires, la communauté internationale devrait lui imposer des sanctions sévères pour l’obliger à s’exécuter.
Vive le Mali; vive l’Afrique
Dr Sadibou Sow
Dr Sadibou Sow- Genocide anti-peul
Monterey, Californie USA
Après avoir entendu ces propos glaçants, je me suis précipité, tôt le lendemain matin, sur les sites d’information sénégalais en espérant trouver des comptes rendus plus détaillés et des analyses approfondies de la conférence. Hélas, quelle ne fut ma déception de constater qu’aucun organe de presse ne semblait avoir été au courant de la rencontre, du moins si j’en juge par l’absence de sa couverture par les sites que j’avais visités. Pourtant, l’avertissement du Pr Bathily ne fait que confirmer des faits qui, depuis 2013, sont largement rapportés par plusieurs médias internationaux, des ONG et des centre de recherches basés hors du continent africain.
En effet, cela fait plusieurs années que les Peuls du Centre du Mali, dont des femmes, des enfants et des vieilles personnes, font l’objet de harcèlements et de meurtres perpétrés par l’armée malienne et des milices d’autodéfense créés sur des bases ethniques et qui sont soutenues par le gouvernement. Les Peuls (qu’on appelle aussi Fulbe, Fulani ou Fellata) constituent le groupe ethnique le plus répandu en Afrique ; on les retrouve dans au moins 20 pays sur le continent. Au Centre du Mali (traditionnellement appelé Macina), où les Peuls vivent depuis des siècles, leurs activités pastorales les mettent souvent en conflit avec des pasteurs arabes et touaregs provenant du Nord Mali ou des agriculteurs appartenant à d’autres ethnies comme les Bambara et les Dogons. Depuis que le Mali est devenu indépendant en 1960, cette rivalité pour les pâturages ou les terres agricoles a causé plusieurs conflits sanglants aux relents ethniques. Bien qu’ils soient estimés à environ 14% de la population nationale, les Peuls se sont souvent considérés victimes de discriminations de la part du gouvernement malien qui, d’habitude, prend position en faveur des agriculteurs ou des éleveurs arabes et touaregs originaires du nord.
Par conséquent, quand le MNLA, un mouvement de rébellion touareg, a envahi le Macina en 2012, causant la fuite des Forces armées maliennes (FAMA), les Peuls se sont sentis sérieusement menacés. Cela a poussé quelques membres de leur communauté peule à rejoindre les rangs du MUJAO, un groupe jihadiste qui avait, à son tour, envahi le Mali et qui se battait
Dr Sadibou Sow- Genocide anti-peul
contre le MNLA. Cependant les Peuls ont payé un lourd tribut quand les FAMA sont retournées au Centre du Mali en 2013 avec l’aide de l’armée française. Comme l’a rapporté Human Rights Watch entre autres, beaucoup de bergers peuls, que les militaires et les milices progouvernementales accusent de collusion avec les jihadistes, font l’objet de harcèlements multiformes: arrestations, confiscation de biens, bastonnades, emprisonnement sans procès voire exécutions sommaires. Cette situation rappelle, à plusieurs égards, les violences qui avaient mené au génocide contre les Tutsis du Rwanda en 1994.
Le silence des journalistes et des intellectuels (ouest) africains par rapport à ces rumeurs de génocide anti-peul est d’autant plus inquiétant que les informations sur le sujet ne font pas du tout défaut. Pour en trouver, il suffit de visiter des sites tels que Le Monde Afrique, RFI Afrique, Jeune Afrique, Human Rights Watch, Amnesty International, International Crisis Group, pour ne citer que ceux-là. Qu’est-ce qui explique alors cette omerta? Il est quand même extrêmement scandaleux qu’en 2018, au Macina, des hommes, des femmes, des enfants, et des vieillards soient pourchassés, tabassés, fusillés, égorgés, brûlés et enterrés dans des fosses communes juste à cause de leur appartenance ethnique. La vérité est qu’au Centre du Mali, l’existence de tout un groupe ethnique, en l’occurrence les Peuls, est menacée par l’absence de l’État qui échoue lamentablement dans l’accomplissement de sa mission régalienne. Cela laisse les populations entre le marteau des jihadistes et l’enclume des chasseurs Dan-na Amassagou, une milice se disant « d’autodéfense » et pro-gouvernementale. Cette dernière, qui dispose d’armes de plus en plus sophistiquées (allez savoir d’où elles viennent) continue de commettre, contre la population peule du Macina, des massacres d’une violence inouïe et en toute impunité. Cette violence conjuguée des FAMA et des milices pro-gouvernementales pousse de plus en plus les villageois peuls du Delta intérieur du Niger à déserter leurs habitations rurales pour aller se réfugier dans les villes ou les pays voisins. Ces villages abandonnés par les pasteurs seraient immédiatement récupérées par les voisins dogons pour élargir leurs champs.
Il est ahurissant que cette horreur se passe à quelques encablures de la tombe du Capitaine Mbaye Diagne, ce Jambar du « pays des mille collines » reposant à Touba Mbacké, et les médias ouest-africains font comme si de rien n’était. En essayant de discuter de ce silence avec des Sénégalais, j’ai entendu des commentaires vraiment surprenants. C’est ainsi qu’un ami, du reste bien informé, qui essayait de justifier l’absence de réaction du gouvernement sénégalais, m’a balancé la fameuse formule : « un pays n’a pas d’amis ; il n’a que des intérêts» avant de rebondir sur l’importance de respecter la loi sur la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain. Laakara yoo ! Qui ne se rappelle pas de la forte pression internationale exercée sur un certain Yaya Jammeh pour l’obliger à quitter le pouvoir après avoir perdu les élections en Gambie ? Dans le cas du Mali, il ne s’agit pas de faire respecter les résultats d’une élection. Il s’agit de s’opposer à une épuration ethnique dont les murmures deviennent de plus en plus audibles depuis quelques mois. Il n’y a pas d’intérêts entre des pays voisins qui soient plus importants que la préservation de la vie humaine. Comme le rappelait le Pr Abdoulaye Bathily cité par Jeune Afrique: « Le Mali et le Sénégal, c’est la même histoire et le même peuple [….]. Par-delà les ethnies et les races, le Sahel constitue une unité culturelle.» Or quand la maison de notre parent est en train de brûler, il est immoral de rester inerte. Après tout, avec un peu plus de patience de la part des pères fondateurs de nos nations, Sadio Mané, Keita Baldé et leurs coéquipiers en équipe nationale auraient pu aujourd’hui représenter à la prochaine du monde, non pas le Sénégal, mais la Fédération du Mali.
Dr Sadibou Sow- Genocide anti-peul
Il serait excessivement dangereux de laisser perdurer cette situation. Compte tenu de la présence des Peuls dans plusieurs pays africains, le Mali et la communauté internationale ont intérêt à éviter une situation où les Peuls se diront qu’ils n’ont d’autre choix que de se soulever pour protéger leur communauté contre l’extermination. Un tel soulèvement causerait un chaos dans toute la région soudano-sahélienne; elle deviendrait alors un terreau encore plus fertile pour les guerres indépendantistes ainsi que les activités jihadistes. Les journalistes, intellectuels, artistes et sportifs de l’Afrique (de l’ouest) en général, et du Sénégal, en particulier, doivent tous s’investir dans le retour de la paix et de la convivialité au Mali. Ce serait une honte pour nous tous de laisser les mosquées du Macina voir ce que les églises de Murambi n’auraient jamais dû voir. Protégeons les bergers de Bandiagara contre le sort que connurent ceux de Bisesero pendant les « Cent jours du Rwanda ». Ne laissons pas le Jatigiya/Teddungal malien se noyer dans le Joliba. C’est pourquoi, à l’instar d’autres chercheurs qui se sont penchés sur la crise au Centre du Mali, nous exhortons le gouvernement malien à :
? déployer suffisamment de personnel et d’équipement militaire au Centre du Mali pour protéger tous les civils quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse.
? démanteler toutes les milices pro-gouvernementales et confisquer leurs armes.
? travailler avec des membres crédibles de la société civile malienne et des organisation de défense des droits de l’Homme pour mener des enquêtes sur les abus commis par la police et les membres des forces armées maliennes et traduire en justice tous ceux qui seront soupçonnés d’être impliqués dans de tels abus.
? travailler avec des chefs de communautés crédibles pour promouvoir le dialogue et la réconciliation entre les différentes communautés et trouver des solutions consensuelles et durables à la gestion des pâturages.
Nous faisons appel également à la communauté internationale, en générale, et les pays qui ont contribué à la MINUSMA en particulier, de veiller à ce que le gouvernement malien protège tous les citoyens du pays, sans discrimination.
Au cas où ce gouvernement ferait montre d’une mauvaise volonté dans l’accomplissement de ces devoirs élémentaires, la communauté internationale devrait lui imposer des sanctions sévères pour l’obliger à s’exécuter.
Vive le Mali; vive l’Afrique
Dr Sadibou Sow
Dr Sadibou Sow- Genocide anti-peul
Monterey, Californie USA
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