C’est par des élections locales et de vraies négociations que l’Etat central peut avoir une chance d’être rebâti, plaide un collectif de chercheurs et d’acteurs du développement.
Par Collectif
C’était d’abord se montrer aveugle ou naïvement complaisant que d’accorder son soutien au MNLA, en se laissant tromper par l’invocation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce mouvement, au départ relativement ouvert sans pourtant représenter l’ensemble des communautés du nord du Mali, a rejoint en octobre 2014 la Coordination des mouvements de l’Azawad, se mettant alors au service d’une strate de la société touareg, les vieilles familles nobles de l’Adrar des Ifoghas, celles qui ont bénéficié de la colonisation pour s’y être ralliées immédiatement afin, déjà, de défendre leurs statuts et privilèges.
Ensuite, surestimant le soutien populaire au MNLA, Paris n’a pu qu’observer comment, en raison de la rivalité entre Ansar Eddine, dirigé par Iyad Ag-Ghali, et le MNLA, ce dernier était bouté par des troupes djihadistes infiltrées depuis des années dans le nord du Mali, dont Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), soutenus dans plusieurs Etats arabes.
Erreur d’appréciation encore lorsque, en échange de facilités militaires, la France a accepté que l’Algérie soit chargée de la médiation entre le gouvernement et les rebelles, alors qu’Alger protège Iyad Ag-Ghali, qui circule librement entre l’Algérie et Kidal avec ses principaux lieutenants. Erreur toujours puisqu’on ferme généralement les yeux, jusqu’à ce jour, sur le nerf de la guerre, le trafic de drogue, peut-être parce que les informateurs de « Barkhane » dans le nord en ont fait une condition de leur coopération.
Ce jugement peut paraître trop radical mais qu’observe-t-on ? Quatre ans après le lancement de « Serval », deux ans après la signature de l’accord d’Alger, l’insécurité s’est considérablement étendue vers le centre du Mali – désormais jusqu’à Ségou – et dans les pays voisins (Burkina Faso, Niger, Côte d’Ivoire) et l’on se trouve aujourd’hui dans une impasse.
Des mouvements sociaux violents, comme ceux dont la menace en août 2017 a forcé le Président à reporter son projet de révision constitutionnelle, peuvent se reproduire. Mais, menés par une jeunesse sans formation ni perspective politique, ils ne pourraient que faire le lit aux plus extrémistes qui ont déjà singulièrement accru leur influence sociale et politique.
Le Mali est d’ores et déjà de facto sous tutelle internationale, mais cette tutelle devrait être pleinement assumée là où l’Etat malien s’est montré parfaitement inerte : par exemple concernant les réformes décisives qui s’imposent dans la justice, l’école, les services publics, l’emploi des jeunes, la politique agricole, etc. Le Mali doit redécouvrir la décision démocratique au niveau local avant de la rétablir au niveau national. L’aide au développement devrait jouer un rôle décisif, mais selon des priorités et des modalités très différentes de celles qui ont été adoptées à Bruxelles en mai 2013. En particulier le développement de l’agriculture et de l’emploi agricole devrait recevoir une priorité absolue, en même temps qu’une redistribution active du revenu réduirait les inégalités entre régions et entre groupes sociaux.
La communauté internationale doit prendre la mesure de la gravité de la situation actuelle et comprendre que persévérer dans l’erreur n’offre aucune issue acceptable par tous.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/08/le-mali-doit-redecouvrir-la-decision-democratique_5226891_3212.html#d8kGRoLCOf3OMQmL.99
LE MONDE
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Le 17 janvier 2012, le Mali était attaqué par des groupes armés organisés sous la bannière du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), avec des appuis extérieurs islamistes, jusqu’à ce que les deux tiers du pays soient occupés. Cela accompli, le MNLA était chassé par les groupes islamistes qui imposèrent leur loi. Début 2013, alors que ces groupes avançaient vers Mopti, l’opération « Serval » les repoussait et les pourchassait, sauvant à Bamako des institutions totalement discréditées, comme l’avait déjà montré le coup d’Etat du 21 mars 2012. Progressivement, les pays voisins et les institutions régionales et internationales intervenaient, et finalement un lourd dispositif militaire se mettait en place : l’opération française « Barkhane » pour la lutte antiterroriste dans le Sahel, avec 4 500 hommes aujourd’hui, et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), chargée du maintien de la paix, avec plus de 13 000 hommes.
Erreurs d’appréciation
Depuis lors, la France est restée très engagée dans cette crise, et ses partenaires occidentaux lui reconnaissent un rôle d’initiative quant à la stratégie à mettre en œuvre au Mali. Hélas, ses choix ont été biaisés face aux données essentielles de la situation. La France a d’abord commis de multiples erreurs d’appréciation dans le déroulé de la crise.C’était d’abord se montrer aveugle ou naïvement complaisant que d’accorder son soutien au MNLA, en se laissant tromper par l’invocation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce mouvement, au départ relativement ouvert sans pourtant représenter l’ensemble des communautés du nord du Mali, a rejoint en octobre 2014 la Coordination des mouvements de l’Azawad, se mettant alors au service d’une strate de la société touareg, les vieilles familles nobles de l’Adrar des Ifoghas, celles qui ont bénéficié de la colonisation pour s’y être ralliées immédiatement afin, déjà, de défendre leurs statuts et privilèges.
Ensuite, surestimant le soutien populaire au MNLA, Paris n’a pu qu’observer comment, en raison de la rivalité entre Ansar Eddine, dirigé par Iyad Ag-Ghali, et le MNLA, ce dernier était bouté par des troupes djihadistes infiltrées depuis des années dans le nord du Mali, dont Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), soutenus dans plusieurs Etats arabes.
Lire aussi : L’horizon compromis de la force « Barkhane » au Mali
Puis Paris n’a pas compris, dès le lancement de « Serval », que cette opération ne pouvait permettre que de gagner un peu de temps, pas plus de quelques mois, pour aborder les problèmes politiques qui étaient à l’origine de la rébellion et de l’effondrement de l’Etat. Faute d’avoir alors mis toute son influence dans la balance, Paris n’a pas pesé en faveur d’un dialogue politique direct – certainement difficile, mais absolument inévitable – entre parties maliennes, et d’une refondation de l’Etat.Erreur d’appréciation encore lorsque, en échange de facilités militaires, la France a accepté que l’Algérie soit chargée de la médiation entre le gouvernement et les rebelles, alors qu’Alger protège Iyad Ag-Ghali, qui circule librement entre l’Algérie et Kidal avec ses principaux lieutenants. Erreur toujours puisqu’on ferme généralement les yeux, jusqu’à ce jour, sur le nerf de la guerre, le trafic de drogue, peut-être parce que les informateurs de « Barkhane » dans le nord en ont fait une condition de leur coopération.
Elections précipitées
Enfin, la dimension politique de cette crise a été bornée par la tenue d’élections précipitées, simulacre nuisible tant que les bases sérieuses d’un nouveau contrat de société n’étaient pas posées.Ce jugement peut paraître trop radical mais qu’observe-t-on ? Quatre ans après le lancement de « Serval », deux ans après la signature de l’accord d’Alger, l’insécurité s’est considérablement étendue vers le centre du Mali – désormais jusqu’à Ségou – et dans les pays voisins (Burkina Faso, Niger, Côte d’Ivoire) et l’on se trouve aujourd’hui dans une impasse.
Lire aussi : Paris veut sortir « Barkhane » du piège malien
Derrière une façade sommairement ravalée, qui entretient l’illusion à New York et dans les chancelleries, le Mali est en ruine et n’a plus ni loi, ni guide, ni projet. Les institutions maliennes ne décident de rien : le président navigue à vue ; l’Assemblée nationale n’a jamais eu à connaître de l’accord d’Alger ; les délégués à la Conférence d’entente nationale ont été désignés par l’administration. Aucune représentation fidèle de l’opinion ne participe aux décisions. Et les troupes étrangères, de plus en plus mal acceptées, savent qu’elles sont dépassées par des guérillas qui s’enracinent. La stratégie actuelle de la « communauté internationale » ne mène qu’à ça.Des mouvements sociaux violents, comme ceux dont la menace en août 2017 a forcé le Président à reporter son projet de révision constitutionnelle, peuvent se reproduire. Mais, menés par une jeunesse sans formation ni perspective politique, ils ne pourraient que faire le lit aux plus extrémistes qui ont déjà singulièrement accru leur influence sociale et politique.
Lire aussi : Au Mali, l’impossible paix ?
Pourtant, la France et ses voisins européens ne peuvent se désintéresser de cette situation : ce serait faire fi de leurs intérêts, de leurs amis, et de leur sécurité. L’Allemagne et l’Italie l’ont compris, les Etats-Unis aussi. Tous sont engagés pour longtemps. Il serait temps pour eux de faire un bilan de cette gestion de crise pour en mesurer les acquis et surtout les limites. Et, à la place du tout sécuritaire, une stratégie fondamentalement politique et assumée sur le long terme, pourrait être mise en œuvre. Elle nécessitera l’établissement d’un nouveau rapport de forces obligeant les hommes en armes à des négociations sérieuses, et permettra à la société civile de s’exprimer, de légitimer des institutions étatiques adaptées et d’élaborer un nouveau contrat social.Le Mali de facto sous tutelle internationale
Point de tabou à ce stade. Ceux qui prétendent que la solution est de négocier avec Iyad Ag-Ghali, hostile à la partition du pays mais qui veut obtenir l’application de la charia dans le Mali nouveau, doivent préciser quel type d’accord ils envisagent.Le Mali est d’ores et déjà de facto sous tutelle internationale, mais cette tutelle devrait être pleinement assumée là où l’Etat malien s’est montré parfaitement inerte : par exemple concernant les réformes décisives qui s’imposent dans la justice, l’école, les services publics, l’emploi des jeunes, la politique agricole, etc. Le Mali doit redécouvrir la décision démocratique au niveau local avant de la rétablir au niveau national. L’aide au développement devrait jouer un rôle décisif, mais selon des priorités et des modalités très différentes de celles qui ont été adoptées à Bruxelles en mai 2013. En particulier le développement de l’agriculture et de l’emploi agricole devrait recevoir une priorité absolue, en même temps qu’une redistribution active du revenu réduirait les inégalités entre régions et entre groupes sociaux.
La communauté internationale doit prendre la mesure de la gravité de la situation actuelle et comprendre que persévérer dans l’erreur n’offre aucune issue acceptable par tous.
Signataires Martine Audibert, directeur de recherches au CNRS ; André Bailleul, ancien chef de mission de la Coopération française ; Virginie Baudais, docteure en science politique ; Joseph Brunet-Jailly, Sciences-Po Paris ; Marie-France Chatin, journaliste ; Jean-Louis Couture, agronome ayant travaillé au Mali ; Catherine et Bernard Desjeux, journalistes honoraires, reporters photographes, Gérard Dumestre, professeur émérite à l’Inalco ; Jean-François Etard, médecin épidémiologiste ; Yves Gauffriau, professeur ; David Goeury, géographe, Rabat ; Françoise Hostallier, ancien député, ancien ministre ; Agnès Kedzierska Manzon, anthropologue africaniste ; Hubert Ledoux, journaliste ; Fréderic Le Marcis, professeur en anthropologie sociale, ENS-Lyon ; Jérôme Marie, professeur ; Cornelius Oepen, médecin de santé publique, Mali 1991-1995 ; François Petitjean, médecin de santé publique, Rennes ; Christian Rouyer, ancien ambassadeur de France au Mali.
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