Mali, envoyée spéciale. Ibrahim Boubacar Keïta a longtemps cheminé dans l’ombre d’Alpha Oumar Konaré, élu président après la chute de la dictature en 1992.
Pur produit du sérail politique malien, Ibrahim Boubacar Keïta a su, à la faveur de la crise que traverse le pays, se poser en « homme de la situation » et susciter un véritable engouement populaire. Ce social-démocrate, qui a fait ses premières armes politiques à l’extrême gauche, dans l’ébullition anticolonialiste de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), a longtemps cheminé dans l’ombre d’Alpha Oumar Konaré, élu président après la chute de la dictature en 1992. D’abord conseiller diplomatique, puis ambassadeur en Côte d’Ivoire, IBK devient ministre des Affaires étrangères en 1993, puis chef du gouvernement de 1994 à 2000. C’est à ce poste qu’il se taille une réputation d’homme à poigne, en réprimant la contestation sociale et le mouvement étudiant, allant jusqu’à décréter une année blanche dans les établissements scolaires.
IBK, comme on le surnomme, est-il un dauphin contrarié ? En 2002, celui qui apparaissait jusque-là comme le successeur naturel de Konaré se voit refuser l’investiture du parti au pouvoir, l’Adema. Il fonde alors son parti, le Rassemblement pour le Mali, mais il est supplanté par le militaire Amadou Toumani Touré (ATT). En 2007, les ambitions d’IBK sont encore douchées. Il se fait alors discret, engage son parti dans une participation minimale au régime d’ATT, soigne ses rares interventions pour mettre en scène sa distance. Lorsque, le 22 mars 2012, un coup d’État militaire renverse ATT, il condamne, mais affiche sa « compréhension » à l’endroit d’une armée « humiliée ». « Nos soldats ont assisté impuissants à la conquête d’une partie du pays, faute de moyens pour combattre. Ils en ont ressenti une grande souffrance », nous confiait-il alors. Affable, habile jusqu’à l’ambiguïté, il a su ratisser large, en affichant des principes – « honneur », « dignité » – plutôt que des réponses politiques.
Ses adversaires pointent le soutien à peine voilé que lui apportent des figures du wahhabisme comme le président du Haut Conseil islamique, Mahmoud Dicko ? À soixante-huit ans, celui que l’on surnomme aussi « Ladji » depuis son pèlerinage à La Mecque se plaît à laisser dire sur sa réputation de bon vivant. Son concurrent, l’économiste Soumaïla Cissé, l’accuse d’être mauvais gestionnaire ? Ce littéraire répond que sa priorité est la « réconciliation ». « Je ramènerai la paix et la sécurité. Je renouerai le dialogue entre tous les fils de notre nation », promet-il, en cultivant des accents gaulliens. Cet homme du Sud, originaire du Mandé, « est un républicain qui refuse toute lecture ethnico-régionaliste des événements », assure un Touareg opposé à la partition du pays. L’altermondialiste Aminata Traoré, qui fut ministre de la Culture dans son gouvernement, se dit convaincue de « ses capacités d’écoute » et de son attachement à des valeurs de gauche.
Lors d’un récent séjour à Paris, IBK a demandé à un ami français de lui procurer la Chinoise, de Jean-Luc Godard. Le petit livre rouge n’est plus depuis longtemps sa bible, mais IBK reste un cinéphile averti.
- L’heure des ruptures à Bamako et à… Paris. L'éditorial de Bruno Odent
- Ce vendredi dans l'Humanité : Mali, les défis d'IBK
- Le Mali veut tourner la page de la guerre
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