Mali 2013. « Grand corps malade » cherche, d’urgence, guérisseur confirmé (2/2)
mardi 27 août 2013Blaise Compaoré, l’a dit clairement, voici quelques jours. « Il est important que le climat de confiance et l’esprit de dialogue qui ont prévalu soient maintenus et renforcés afin d’ouvrir une ère de réconciliation véritable entre les fils du Mali et aussi la paix définitive dans le pays ». Ce jour-là, il recevait le président par intérim, Dioncounda Traoré (cf. LDD Spécial Week-End 0598/Samedi 17-dimanche 18 août 2013).
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Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) venait d’être élu à la présidence de la République ; et le capitaine Amadou Haya Sanogo venait d’être propulsé au grade de général de corps d’armée. Promotion au nom du « pardon » et de la « réconciliation ». Mais qui ne cache pas l’ambition démesurée de ceux qui ont initié le coup d’Etat du 22 mars 2012 et qui ont été dépossédés du pouvoir par la Cédéao et la médiation menée par le président du Faso.
C’est d’ailleurs Traoré qui a pris la suite de Sanogo lui concédant, au passage, le titre « d’ancien chef d’Etat » et, surtout, les avantages qui vont avec. Ce qui n’a pas empêché Sanogo de demander à ses sbires de lui coller, le moment venu, une sérieuse « branlée » qui l’a conduit dans un hôpital militaire français. Ceux qui pensent que Traoré, avec le feu vert d’IBK, est dans un schéma de pardon-réconciliation se « plantent ». Traoré et IBK sont dans la main des « bérets verts », les laissés-pour-compte d’une armée malienne particulièrement pitoyable (cf. LDD Mali 098/Jeudi 22 août 2013).
Le capitaine/général et les siens ont une lecture spécifique de l’histoire récente du Mali : s’ils n’avaient pas dégagé Amadou Toumani Touré (ATT) du pouvoir, ni Traoré ni IBK ne pourraient aujourd’hui parader à la tête de l’Etat. Il est donc normal, pensent-ils, que l’ascenseur leur soit renvoyé ; autrement dit, les débarrasser de ceux qui se sont opposés, avec plus ou moins de détermination, au putsch, à la junte, à la politique de la junte et aux complices de la junte.
Première cible : le 33ème Régiment commando parachutiste (RCP), les « bérets rouges ». Dissous, puis réintégré dans l’armée après des changements de têtes, bientôt « délocalisé » dans le Nord-Mali. Deuxième cible : le Front du refus (FDR). Au lendemain du coup d’Etat du 22 mars, le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et la République au Mali avait été mis en place par une quarantaine de formations politiques. Les têtes d’affiche de ce FDR en étaient Soumaïla Cissé, Dramane Dembélé et Modibo Sidibé. Ils ont terminé deuxième, troisième et quatrième. Mais le Front du refus a été rompu au second tour : Dembélé a choisi, contre son parti, l’ADEMA, de soutenir IBK ; la victoire d’IBK a donc été, d’abord, l’échec du FDR (cf. LDD Mali 097/Jeudi 15 août 2013). Ce qui a permis à Sanogo et aux siens de refaire leur apparition sur le devant de la scène.
Mais si les anti-junte s’étaient regroupés en Front du refus, les pro-junte avaient, eux aussi, formé une Coalition patriotique pour le Mali (COPAM) qui saluait la chute du régime d’ATT bien plus que l’accession au pouvoir des militaires. La figure la plus emblématique de cette COPAM a été… IBK. Pour le reste, c’était un assemblage de personnalités diverses unies par les opportunités offertes par le vide politique résultant du départ d’ATT. Le seul qui a tiré son épingle du jeu est d’ailleurs IBK, strictement opportuniste dans sa démarche quand d’autres s’efforçaient de trouver des justifications idéologiques ou intellectuelles à leur soutien à la junte.
C’est dans ce contexte très contrasté qu’IBK se prépare à prendre la suite de Dioncounda Traoré. Contexte très contrasté car au sein de l’armée, au sein de l’ex-junte, au sein de la coalition qui a soutenu IBK, au sein de l’équipe qui a joué le jeu de la transition avec Traoré, les couteaux, d’ores et déjà, sont sortis. C’est au sein de l’ex-junte, semble-t-il, que les premiers craquements se font entendre. La promotion spectaculaire de Sanogo et de quelques uns des siens a nécessairement suscité des frustrations et des interrogations. Première illustration : la rumeur vite répandue (et aussi vite démentie par les intéressés) de l’arrestation du colonel Youssouf Traoré. Dont on ne sait rien.
Ou pas grand-chose. Il a été membre du CNRDRE (on l’a dit « chef des opérations ») qui a pris le pouvoir à l’issue du coup d’Etat du 22 mars 2012. Il a été en pointe dans l’opposition à l’intervention de troupes étrangères, se fendant même le 6 septembre 2012 d’une lettre à Alassane D. Ouattara, au titre de président de la Cédéao, revendiquant une « expérience sous d’autres cieux » pour refuser cette intervention. Il serait aujourd’hui président de la commission statuts et politique sécuritaire au sein du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité présidé par le capitaine/général Sanogo. « Je ne fais pas de politique » rétorque le colonel Youssouf Traoré à ceux qui lui reprochent sa proximité avec le FDR* et la tentation d’être « vizir à la place du vizir »
La confusion la plus totale règne au sujet de cette « vraie-fausse » arrestation. Mais quel que soit sa réalité, elle est l’expression du malaise qui règne actuellement au Mali. La prestation de serment du nouveau président de la République est prévue dans une dizaine de jours, le mercredi 4 septembre 2013, le temps, sans doute, que les chefs d’Etat invités soient rentrés de leurs congés d’été. On peut s’étonner que dans cet intervalle, le président par intérim ait fait le choix de prendre des décisions fondamentales : répression contre les chefs des « bérets rouges » du 33ème RCP, promotion de Sanogo et des siens, fixation de la date des élections législatives au dimanche 27 octobre 2013. Décisions d’autant plus étonnantes qu’elles sont avalisées par le ministre de l’Administration territoriale, un « béret vert », ancien directeur de cabinet de Sanogo quand celui-ci se prenait pour le chef de l’Etat.
Alain Saint Robespierre, dans L’Observateur Paalga (22 août 2013), le dit clairement : IBK « doit s’affranchir de cette allégeance qu’il semble avoir faite au trublion de Kati ». Boundi Ouoba, dans Le Pays (22 août 2013) ne dit pas autre chose : IBK « devra, sans trop tarder, voir quel pourrait être le meilleur sort à réserver à Sanogo […] Faute de quoi le président IBK se heurtera constamment aux excentricités d’un Sanogo qui, hier seulement, était un obscur soldat et qui, aujourd’hui, se croit tout permis ».
Mais le fait qu’un « obscur soldat » puisse agir ainsi laisse justement transparaître l’état de déliquescence dans lequel se trouve le Mali depuis trop longtemps. D’ores et déjà, les « rébellions » se restructurent dans le « corridor sahélo-saharien ». Mais l’armée, ce « grand corps malade » du Mali par lequel bien des maux sont arrivés à ce pays, n’entend se consacrer qu’au noyautage du pouvoir politique et de l’administration. « C’est un devoir pour moi de régler un certain nombre de problèmes avant l’arrivée du président élu », s’était justifié, à Ouagadougou, Dioncounda Traoré au lendemain de la promotion TGV de Sanogo. Pas sûr qu’il ait trouvé les bonnes solutions aux problèmes.
* On peut penser qu’il y a, parfois, dans les commentaires sur cette vraie-fausse » arrestation, confusion entre le colonel Youssouf Traoré, membre du CNRDRE, et le colonel Youssouf Traoré, colonel à la retraite, président de l’Union des forces démocratiques pour le progrès (UFDP), responsable de la commission défense et sécurité du FDR, qui avait appelé à la contribution des troupes étrangères pour libérer le territoire malien à l’instar de la libération de la France par les Anglo-Américains en 1944. Ce colonel n’est autre que l’ex-lieutenant Youssouf Traoré, formé à Fréjus, meilleur ami du lieutenant Moussa Traoré, qui le 19 novembre 1968 (bientôt 45 ans !) ont conduit – avec six autres lieutenants – le coup d’Etat contre Modibo Keita (dont on fêtera le centenaire de la naissance le 4 juin 2015).
Commissaire aux conflits au sein du Comité militaire de libération nationale (CMLN), Youssouf Traoré sera le porte-parole du CMLN avant d’être contraint de démissionner de ses fonctions le 1er mai 1981, alors qu’il avait le grade de colonel, puis jugé et condamné au bagne à Taoudénit. Avant l’affaire de 2012, dans la perspective de la présidentielle, il aurait tenté, en vain, de se rapprocher de Modibo Sidibé qui sera, par la suite, une tête d’affiche du FDR.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
C’est d’ailleurs Traoré qui a pris la suite de Sanogo lui concédant, au passage, le titre « d’ancien chef d’Etat » et, surtout, les avantages qui vont avec. Ce qui n’a pas empêché Sanogo de demander à ses sbires de lui coller, le moment venu, une sérieuse « branlée » qui l’a conduit dans un hôpital militaire français. Ceux qui pensent que Traoré, avec le feu vert d’IBK, est dans un schéma de pardon-réconciliation se « plantent ». Traoré et IBK sont dans la main des « bérets verts », les laissés-pour-compte d’une armée malienne particulièrement pitoyable (cf. LDD Mali 098/Jeudi 22 août 2013).
Le capitaine/général et les siens ont une lecture spécifique de l’histoire récente du Mali : s’ils n’avaient pas dégagé Amadou Toumani Touré (ATT) du pouvoir, ni Traoré ni IBK ne pourraient aujourd’hui parader à la tête de l’Etat. Il est donc normal, pensent-ils, que l’ascenseur leur soit renvoyé ; autrement dit, les débarrasser de ceux qui se sont opposés, avec plus ou moins de détermination, au putsch, à la junte, à la politique de la junte et aux complices de la junte.
Première cible : le 33ème Régiment commando parachutiste (RCP), les « bérets rouges ». Dissous, puis réintégré dans l’armée après des changements de têtes, bientôt « délocalisé » dans le Nord-Mali. Deuxième cible : le Front du refus (FDR). Au lendemain du coup d’Etat du 22 mars, le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et la République au Mali avait été mis en place par une quarantaine de formations politiques. Les têtes d’affiche de ce FDR en étaient Soumaïla Cissé, Dramane Dembélé et Modibo Sidibé. Ils ont terminé deuxième, troisième et quatrième. Mais le Front du refus a été rompu au second tour : Dembélé a choisi, contre son parti, l’ADEMA, de soutenir IBK ; la victoire d’IBK a donc été, d’abord, l’échec du FDR (cf. LDD Mali 097/Jeudi 15 août 2013). Ce qui a permis à Sanogo et aux siens de refaire leur apparition sur le devant de la scène.
Mais si les anti-junte s’étaient regroupés en Front du refus, les pro-junte avaient, eux aussi, formé une Coalition patriotique pour le Mali (COPAM) qui saluait la chute du régime d’ATT bien plus que l’accession au pouvoir des militaires. La figure la plus emblématique de cette COPAM a été… IBK. Pour le reste, c’était un assemblage de personnalités diverses unies par les opportunités offertes par le vide politique résultant du départ d’ATT. Le seul qui a tiré son épingle du jeu est d’ailleurs IBK, strictement opportuniste dans sa démarche quand d’autres s’efforçaient de trouver des justifications idéologiques ou intellectuelles à leur soutien à la junte.
C’est dans ce contexte très contrasté qu’IBK se prépare à prendre la suite de Dioncounda Traoré. Contexte très contrasté car au sein de l’armée, au sein de l’ex-junte, au sein de la coalition qui a soutenu IBK, au sein de l’équipe qui a joué le jeu de la transition avec Traoré, les couteaux, d’ores et déjà, sont sortis. C’est au sein de l’ex-junte, semble-t-il, que les premiers craquements se font entendre. La promotion spectaculaire de Sanogo et de quelques uns des siens a nécessairement suscité des frustrations et des interrogations. Première illustration : la rumeur vite répandue (et aussi vite démentie par les intéressés) de l’arrestation du colonel Youssouf Traoré. Dont on ne sait rien.
Ou pas grand-chose. Il a été membre du CNRDRE (on l’a dit « chef des opérations ») qui a pris le pouvoir à l’issue du coup d’Etat du 22 mars 2012. Il a été en pointe dans l’opposition à l’intervention de troupes étrangères, se fendant même le 6 septembre 2012 d’une lettre à Alassane D. Ouattara, au titre de président de la Cédéao, revendiquant une « expérience sous d’autres cieux » pour refuser cette intervention. Il serait aujourd’hui président de la commission statuts et politique sécuritaire au sein du Comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité présidé par le capitaine/général Sanogo. « Je ne fais pas de politique » rétorque le colonel Youssouf Traoré à ceux qui lui reprochent sa proximité avec le FDR* et la tentation d’être « vizir à la place du vizir »
La confusion la plus totale règne au sujet de cette « vraie-fausse » arrestation. Mais quel que soit sa réalité, elle est l’expression du malaise qui règne actuellement au Mali. La prestation de serment du nouveau président de la République est prévue dans une dizaine de jours, le mercredi 4 septembre 2013, le temps, sans doute, que les chefs d’Etat invités soient rentrés de leurs congés d’été. On peut s’étonner que dans cet intervalle, le président par intérim ait fait le choix de prendre des décisions fondamentales : répression contre les chefs des « bérets rouges » du 33ème RCP, promotion de Sanogo et des siens, fixation de la date des élections législatives au dimanche 27 octobre 2013. Décisions d’autant plus étonnantes qu’elles sont avalisées par le ministre de l’Administration territoriale, un « béret vert », ancien directeur de cabinet de Sanogo quand celui-ci se prenait pour le chef de l’Etat.
Alain Saint Robespierre, dans L’Observateur Paalga (22 août 2013), le dit clairement : IBK « doit s’affranchir de cette allégeance qu’il semble avoir faite au trublion de Kati ». Boundi Ouoba, dans Le Pays (22 août 2013) ne dit pas autre chose : IBK « devra, sans trop tarder, voir quel pourrait être le meilleur sort à réserver à Sanogo […] Faute de quoi le président IBK se heurtera constamment aux excentricités d’un Sanogo qui, hier seulement, était un obscur soldat et qui, aujourd’hui, se croit tout permis ».
Mais le fait qu’un « obscur soldat » puisse agir ainsi laisse justement transparaître l’état de déliquescence dans lequel se trouve le Mali depuis trop longtemps. D’ores et déjà, les « rébellions » se restructurent dans le « corridor sahélo-saharien ». Mais l’armée, ce « grand corps malade » du Mali par lequel bien des maux sont arrivés à ce pays, n’entend se consacrer qu’au noyautage du pouvoir politique et de l’administration. « C’est un devoir pour moi de régler un certain nombre de problèmes avant l’arrivée du président élu », s’était justifié, à Ouagadougou, Dioncounda Traoré au lendemain de la promotion TGV de Sanogo. Pas sûr qu’il ait trouvé les bonnes solutions aux problèmes.
* On peut penser qu’il y a, parfois, dans les commentaires sur cette vraie-fausse » arrestation, confusion entre le colonel Youssouf Traoré, membre du CNRDRE, et le colonel Youssouf Traoré, colonel à la retraite, président de l’Union des forces démocratiques pour le progrès (UFDP), responsable de la commission défense et sécurité du FDR, qui avait appelé à la contribution des troupes étrangères pour libérer le territoire malien à l’instar de la libération de la France par les Anglo-Américains en 1944. Ce colonel n’est autre que l’ex-lieutenant Youssouf Traoré, formé à Fréjus, meilleur ami du lieutenant Moussa Traoré, qui le 19 novembre 1968 (bientôt 45 ans !) ont conduit – avec six autres lieutenants – le coup d’Etat contre Modibo Keita (dont on fêtera le centenaire de la naissance le 4 juin 2015).
Commissaire aux conflits au sein du Comité militaire de libération nationale (CMLN), Youssouf Traoré sera le porte-parole du CMLN avant d’être contraint de démissionner de ses fonctions le 1er mai 1981, alors qu’il avait le grade de colonel, puis jugé et condamné au bagne à Taoudénit. Avant l’affaire de 2012, dans la perspective de la présidentielle, il aurait tenté, en vain, de se rapprocher de Modibo Sidibé qui sera, par la suite, une tête d’affiche du FDR.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique
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