Tribune
L’universitaire Youssouf T. Sangaré analyse la situation sécuritaire du Mali et la montée en puissance d’un islam politique.
Dans une tribune, publiée sur le site de la Dépêche du Mali et Malijet une semaine après les faits, Adame Ba Konaré, historienne et ancienne première dame du Mali, parle ainsi d’un « nettoyage ethnique », d’une attaque visant « la communauté peule » ou encore des « morts pour avoir été Peuls ». Même si elle refuse, comme le suggèrent certains, d’armer les Peuls contre les Dogon, sa tribune tant davantage à enfermer « les Peuls » dans une « peulitude », une sorte d’identité exclusive, qu’à ouvrir des pistes de réflexion critique sur les raisons d’un tel événement tragique au Mali.
Sous-traitance de la sécurité nationale
Parler de « nettoyage ethnique » ou de « conflit ethnique/intercommunautaire », c’est, en effet, détourner le regard sur la faillite de l’Etat malien en la matière. Incapable, en 2014, de lutter contre les groupes islamistes du nord du pays, puis du centre, l’actuel chef de l’Etat et sa majorité ont favorisé la création ou la réactivation de mouvements d’autodéfense. A l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta, le chef de l’Etat malien, préférait parler de « forces patriotiques » au service de la nation. Or, réinvestissant le terrain en l’absence de toutes institutions étatiques, ces milices vont se former sur une base identitaire et exclusive d’une nature nouvelle : des milices songhaï défendant (ou prétendant défendre) les Songhaï ; des milices touareg pour les Touareg, etc. L’Etat malien a ainsi confié l’une de ses prérogatives régaliennes à des milices, sans que l’on sache précisément les sources de financement de celles-ci ni encore moins leurs règles précises de fonctionnement.D’une certaine manière ce silence se comprend. Le rapport montre, implicitement, comment les milices, à l’identité parfois invérifiable, ont peu à peu échappé à tout contrôle de l’Etat. Des milices qui se battent aujourd’hui entre elles pour avoir le contrôle des ressources pastorales et en tirer les bénéfices qui en découlent. Le massacre des villageois d’Ogossagou est la conséquence directe de cette situation.
Ainsi, pour comprendre la situation sécuritaire et politique au Mali, il vaut mieux ne pas se tromper de grille de lecture. Les thèses d’un « conflit ethnique » sont certes séduisantes mais loin de la complexité du champ politique, sécuritaire et religieux de ce pays. Sur le terrain religieux, en effet, l’Etat malien n’a pas uniquement cédé du terrain sur le plan sécuritaire, il est aujourd’hui confronté à la contestation des religieux. Dans plusieurs grandes villes au sud du pays, et surtout dans la capitale Bamako, des marches sont organisées pour exiger la démission du premier ministre. Ces marches ont lieu à l’initiative de Mahmoud Dicko, président du Haut Conseil islamique (HCI), et du puissant chef religieux Mohamed Ould Bouyé Haïdara (aussi appelé « le chérif de Nioro »). Ils accusent le premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, et le chef de l’Etat, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), de promouvoir des valeurs contraires à l’islam et de ne pas être attentifs aux opinions des grands imams du pays.
C’est ce que Pierre Conesa appelle, dans une expression poétique, « la diplomatie religieuse saoudienne ». Aujourd’hui, celle-ci peut compter sur le président du Haut Conseil islamique, en l’occurrence Mahmoud Dicko qui, en 2015, alors que plusieurs personnalités dénonçaient l’islam wahhabite comme matrice de l’islamisme, déclara : « Le djihadisme est une création des Occidentaux et de la France afin de recoloniser le Mali. »* Il refusa, par conséquent, de condamner les groupes djihadistes qui faisaient régner la terreur à Tombouctou et dans d’autres villes du nord au nom de la charia – la loi islamique.
Face-à-face des islams
Quoi qu’il en soit, face à ce discours confessionnalisant, le chef de l’Etat et la majorité présidentielle s’appuient, eux aussi, sur une figure de l’islam malien et ouest-africain : Cherif Ousmane Madani Haïdara. Chef du mouvement Ansar Eddine, très écouté par ses nombreux fidèles, il refuse de suivre le Haut Conseil islamique dans sa critique du gouvernement. Mieux, Haïdara préfère tabler sur une structure rivale, le Groupement des leaders spirituels musulmans du Mali (GLSM), pour appeler à la paix et, ainsi, ménager le gouvernement. Pourtant, en mars 2017, il déclarait : « Le gouvernement malien n’accorde pas assez d’importance aux religieux dans la résolution de la crise. » Ayant gracieusement reçu, en décembre de la même année, un titre foncier de 150 hectares de la part du président malien, le guide spirituel de l’organisation Ansar Eddine modère désormais ses griefs.La nouvelle ère politico-religieuse qui s’annonce au Mali est, de fait, des plus incertaines et inquiétantes. Penser, comme le fait la France (avec l’opération « Barkhane ») et l’ONU (avec la Minusma), qu’il suffirait d’envoyer des militaires au Mali pour rétablir la sécurité et la démocratie résulte d’une mauvaise lecture de cette situation complexe. Le combat contre les mouvements radicaux ne peut se faire sans tenir compte de la lutte idéologique qui se joue dans les coulisses et qui, en quelques années, a radicalement modifié le paysage islamique du Mali. Cette lutte est à mener sur plusieurs fronts : faire face au wahhabisme ; contrôler les activités des nombreuses organisations islamiques ; construire une politique de formation visant les madrasas ; œuvrer pour une meilleure inclusion des populations du nord ; etc.
Seules les autorités en place au Mali doivent prendre ici l’initiative et avoir le courage politique de s’attaquer à ces questions épineuses. Rompre avec la mécanique clientéliste, dans le domaine diplomatique et vis-à-vis du champ religieux, serait déjà une première étape douloureuse mais indispensable pour poser les bases d’un Etat véritablement soucieux du destin de ses populations, particulièrement de sa jeunesse.
* Voir Dr. Saoud et Mr. Djihad : La Diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite, de Pierre Conesa (Robert Laffont, 2016). Un livre précieux dans lequel l’auteur expose les coulisses de cette diplomatie religieuse où la logique des « intérêts » pousse les pouvoirs occidentaux à fermer les yeux sur cette politique de diffusion massive du wahhabisme dans un pays comme le Mali.
Youssouf T. Sangaré est maître de conférences en islamologie à l’Université Clermont Auvergne.
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