Par notre partenaire Libre Afrique
Dans son article, Tor A. Benjaminsen, au delà des effets collatéraux de la Lybie et de l’Algérie, analyse le comportement de l’Etat malien avec les populations rurales des zones désormais sous contrôle des jihadistes. Laxisme dans l’immatriculation des terres, laxisme dans la gestion des conflits entre éleveurs et agriculteurs, corruption… La défaillance de l’Etat a permis aux jihadistes d’arriver presque comme des sauveurs !
Au Mali, des groupes djihadistes ont pris le contrôle de plus de la moitié du pays depuis 2012. Comment un changement aussi fondamental a-t-il été possible dans un pays auparavant considéré par les observateurs internationaux comme un rempart contre l’islam radical en Afrique?
Les effets collatéraux de la géopolitique régionale
Plusieurs facteurs ont contribué à la crise actuelle au Mali. L’un des éléments clés est les bombardements de l’OTAN contre la Libye en 2011. L’action militaire a conduit plusieurs milliers de soldats Touaregs fortement armés, ayant servi dans l’armée libyenne, à rentrer chez eux au Mali. Cela a alimenté un soulèvement touareg qui couvait déjà dans le Nord du pays. Certains de ces Touaregs, accompagnés de djihadistes venus d’Algérie après la guerre civile dans les années 1990, ont réussi à avancer vers le Sud dans la région de Mopti avant d’être repoussés dans le cadre d’une contre-offensive française en 2013. Cependant, les insurgés sont revenus. Désormais, ils contrôlent non seulement les zones rurales du Nord du Mali, mais également celles de la région de Mopti. Ils en ont pris le contrôle en créant progressivement de petits groupes dans la région. Ces groupes ont gagné une sympathie croissante de la part des petits exploitants et, surtout, des éleveurs nomades. Entre temps, l’armée et le gouvernement maliens se sont repliés dans les villes.
De nombreuses explications de cette crise ont mis l’accent sur les développements politiques mondiaux et le djihadisme international. Ceux-ci ont inclut des discussions sur un large éventail de questions, lesquels incluent les liens entre les groupes djihadistes locaux, Al-Qaïda et l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), le trafic de drogue et le détournement d’otages en tant que sources de financement pour les groupes armés ; la dynamique, la politique et l’histoire des rébellions touareg, l’affaiblissement l’État, l’intervention militaire française et plus tardive de l’ONU, le paysage national islamique complexe et changeant, et la crise malienne en tant que retombée du conflit libyen.
Ces contributions constituent un terreau pour la crise politique actuelle au Mali. Mais, pour expliquer pleinement l’expansion du djihadisme dans le pays, il est nécessaire d’étudier le contexte politique local. En particulier, il est important de comprendre qui a accès aux ressources environnementales. Nous avons constaté que les populations rurales locales étaient de plus en plus mécontentes d’un État prédateur et corrompu. Ils en ont également marre d’un modèle économique imposé par l’État et les donateurs internationaux qui ne tiennent pas compte des priorités pastorales. La recherche de rente par les représentants du gouvernement a été particulièrement intense en ce qui concerne les conflits liés aux terres pastorales, la gestion de l’environnement et la lutte contre la désertification.
Développement de l’agriculture aux dépens de l’élevage
Les conflits liés à l’usage des terres aident à expliquer pourquoi les petits agriculteurs, et en particulier les éleveurs, se joignent à des groupes armés. De nombreux éleveurs soutiennent la prise de contrôle djihadiste parce qu’ils sont pareillement anti-étatiques, anti-élites et pro-pastoraux. Les éleveurs de bétail à travers le Sahel sont mécontents des politiques et programmes de développement favorisant la culture des terres aux dépens des pâturages et des corridors pour l’élevage. Les éleveurs et les agriculteurs sont mécontents de la manière dont un État corrompu exploite les paysans des zones rurales. Les éleveurs estiment également que le modèle de développement imposé par l’État et les donateurs internationaux ne tient pas compte de leurs besoins. Ce modèle favorise l’expansion agricole au détriment du pastoralisme. Le résultat est que les pâturages essentiels sont perdus et que les corridors pour le bétail sont bloqués par de nouveaux champs agricoles. Les éleveurs doivent passer avec leur bétail même si les couloirs sont bloqués, ce qui a conduit souvent à des conflits.
Des fonctionnaires corrompus abusent des ruraux
Les responsables gouvernementaux ont, à leur avantage, exploité les conflits liés aux terres pastorales, à la gestion de l’environnement et à la lutte contre la désertification. Par exemple, ils ont laissé les conflits d’utilisation des terres sans les résoudre, car cela leur permettait d’extorquer de l’argent aux deux parties pour leur donner l’illusion d’appuyer les revendications de chacun.
Un autre exemple est le Service des forêts qui inflige des amendes au hasard à des femmes qui ramassent du bois de feu et à des bergers faisant paître leur bétail. Le service forestier a été créé à l’époque coloniale en tant qu’organisation paramilitaire. Son mandat principal était de faire respecter la conservation des ressources naturelles et de mettre fin à la désertification grâce à un système de permis et d’amendes. Influencée par la montée des agendas du développement durable dans les années 1980 et pour impressionner les donateurs d’aide étrangère, la loi forestière coloniale a été révisée en 1986 et est devenue encore plus sévère. Des amendes extrêmement élevées par rapport au niveau de revenu au Mali ont été mises en place. En conséquence, le Service des forêts est devenu un outil de pillage rural et la cible de la colère de la population rurale. A titre d’illustration, entre 2012 et 2016, au moins 10 forestiers d’État auraient été tués par des djihadistes ou des habitants de la région de Mopti. Le sentiment anti-gouvernemental s’est développé chez de nombreux jeunes hommes de la région et en particulier chez les pasteurs peuls. Beaucoup ont rejoint divers groupes armés.
Les pasteurs ont le sentiment que l’État, et plus récemment l’armée, se rangent du côté des paysans contre leurs intérêts. L’émergence de groupes djihadistes a créé une occasion de résistance à l’État. Nos recherches suggèrent que cette résistance est davantage causée par la marginalisation politique que par un agenda islamiste radical. Par exemple, dans les zones rurales sous le régime djihadiste, les éleveurs qui veulent avoir accès à de précieux pâturages de saison sèche pour leur bétail ne paient plus de pots-de-vin ni de redevances aux chefs traditionnels ou aux représentants du gouvernement.
Mauvais diagnostic, mauvaise solution
Malgré la violence que représentent les groupes djihadistes, de nombreux ruraux au Mali ont tendance à les considérer comme un moindre mal par rapport à un État corrompu. Les efforts du gouvernement et de la communauté internationale pour résoudre la crise au Mali échoueront aussi longtemps que l’attention reste concentrée sur la lutte sécuritaire contre les groupes djihadistes mondiaux plutôt que sur le traitement des doléances des populations concernant l’accès à la terre et aux ressources naturelles.
Tor A. Benjaminsen, Professeur au Département des études internationales sur l’environnement et le développement (Noragric), Université norvégienne des sciences de la vie.
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