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jeudi 12 avril 2012

Coup d’Etat au Mali : Vers une déstabilisation de la région ? | Les Grandes Oreilles

Coup d’Etat au Mali : Vers une déstabilisation de la région ? | Les Grandes Oreilles
Le bilan actuel est d’au moins 3 morts et plusieurs dizaines de blessés, selon Amnesty International, après le coup d’Etat militaire perpétré au Mali entre le mercredi 21 et le jeudi 22 mars. Une situation qui fragilise fortement le pays, en proie à des difficultés extrêmes face aux revendications indépendantistes des rebelles touaregs du nord.

Trafic, chaos et junte, une analyse de la rédaction.

Le putsch-éclair des soldats maliens
Après de violents combats autour du palais présidentiel, partiellement brûlé, une junte menée, semble-t-il, par le lieutenant Amadou, Haya Sanogo a diffusé un message à la radio-télévision nationale jeudi matin dans lequel elle déclare mettre fin au « régime incompétent » du président Amadou Toumani Touré (ATT), arrivé au pouvoir en 2002.
Toutes les institutions du pays ont ainsi été suspendues et un couvre-feu sur tout le territoire a été décrété de 18 heures à 6 heures. « Toutes les frontières ont été fermées jusqu’à nouvel ordre » a ajouté le sergent Salif Koné qui s’est adressé à l’AFP.
Le porte-parole des mutins, Amadou Konaré, a affirmé qu’ils avaient agi face à « l’incapacité du gouvernement à gérer la crise du nord du pays. » Le pays est en effet en proie depuis plusieurs mois à une rébellion touareg et à des activités des groupes islamistes armés. Depuis la chute du régime Kadhafi des quantités impressionnantes d’armes ont d’ailleurs circulé vers le Mali au profit des rebelles.
La Président Amadou Toumani Touré est, quant à lui, toujours introuvable. Néanmoins plusieurs versions circulent sur son lieu de refuge : il pourrait se trouver dans un camp militaire en périphérie de Bamako, comme l’a indiquée l’AFP selon une source militaire loyale au Président déchu. D’autres évoquent une fuite vers un pays voisin. Cet ancien militaire de 63 ans, surnommé « ATT », qui avait été élu en 2002 et réélu en 2007, devait quitter le pouvoir lors des prochaines élections initialement prévues le 29 avril.  Selon des sources locales, ATT ne jouissait pas non plus d’une grande ferveur au sein de la société malienne. Il était, en effet, devenu, depuis un certain temps, la cible de nombreuses critiques à son encontre.
Des réactions internationales unanimes
Pour la communauté internationale, c’est l’inquiétude qui règne. Les réactions n’ont pas tardé à se faire entendre. La France, portée par la voix d’Alain Juppé, ministre des affaires étrangères sur Europe 1 a déclaré qu’elle condamnait cette insurrection.
«Nous demandons le rétablissement de l’ordre constitutionnel, des élections, elles étaient programmées pour avril, il faut qu’elles aient lieu le plus vite possible»
L’ambassadeur britannique à l’ONU, Mark Lyall Grant, dont le pays préside le Conseil en mars, condamne également fermement le putsch. Il demande aux mutins de « garantir la sécurité du président Amadou Toumani Touré et de regagner leurs garnisons ».
La Banque mondiale et la Banque africaine de développement ont déclaré pour leur part, qu’elles suspendaient toute aide jusqu’à ce que la crise soit résolue.
Washington, de son côté, appelle les Maliens à régler les tensions qui les divisent à travers le dialogue et non par la violence.
De manière générale, tout le monde s’accorde pour condamner ce revers, pour un pays dont la situation était déjà fort complexe.
Qui sont les mutins ?
Ces militaires sont apparus en uniforme à la télévision. Ils étaient environ une vingtaine et se sont présentés au nom du CNRDR, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat.
Plutôt jeunes, quasiment inconnus, et peu gradés, ces militaires cherchent vraisemblablement à rassurer sur leurs intentions.
Après avoir annoncé la dissolution des institutions et la suspension de la Constitution, Amadou Sanogo, chef de la rébellion devient de facto l’homme fort du pays.
Il s’est néanmoins engagé à organiser des élections, sans toutefois indiquer quand elles pourraient avoir lieu. Il a également lancé un appel au calme dans tout le pays et a condamné tout pillage.
Les mutins ont aussi invité l’administration à reprendre le travail à partir du mardi 27 mars prochain et ont demandé aux secrétaires généraux des ministères de gérer les affaires courantes jusqu’à la résolution de la crise.
Nous en saurons sans doute davantage dans les temps à venir. Le risque serait bien évidemment que cette junte, sous le prétexte de la défense des institutions de l’Etat, tarde à rendre le pouvoir.
Une situation déjà très complexe
La fondation du MNLA :
Ce coup d’Etat militaire intervient dans un pays déjà en proie à une situation extrêmement difficile.
En effet, depuis le  1er  novembre 2011, des Touareg des villes de Ménaka et de Kidal (nord-est du pays) avaient répondu à l’appel à manifester du Mouvement national de libération d’Azawad (MNLA) afin de célébrer la première année de la formation politique.
Ce mouvement qui réclame l’autonomie de la zone comprenant les régions de Kidal, Tombouctou et une partie du Gao, dans le nord du Mali, est issu d’une fusion entre le mouvement national de l’Azwad (MNA) et le mouvement touareg du nord-Mali (MTNM). Cette nouvelle formation réclamait (et réclame toujours) l’auto-détermination du peuple touareg de l’Azawad. Son objectif, explique Hama Ag Sid’Ahmed, porte-parole du mouvement, est de «créer une nouvelle organisation qui prendrait en compte les préoccupations de toutes les sensibilités présentes sur le terrain et aussi celles de la population locale»
Des ex-combattants à la solde de Kadhafi :
Les autorités du pays prennent alors cette menace au sérieux. Le MNLA dispose en effet d’une frange militaire et bénéficierait de l’appui politique et militaire d’hommes fort expérimentés.
Des tensions entre les touaregs et l’armée malienne se sont alors accrues dans la province du Kidal. On a fait alors état d’un retour de combattants de l’ex-armée libyenne, tombée après la chute du dictateur Moammar Kadhafi, qui ont rejoint la formation rebelle au Mali en apportant une quantité non négligeable d’armements. Selon les observateurs présents sur le terrain, près d’une centaine de véhicules provenant de Libye, avec à leur bord des hommes armés, auraient été aperçus dans la région. On parlait alors de 1000 à 3000 anciens combattants Touareg. Ils auraient été enrôlés par le régime Kadhafi pendant la révolution et intégrés aux forces de sécurité.
Depuis Octobre les affrontements entre les rebelles  touaregs et l’armée régulière Malienne ont pris de l’ampleur dans la région du Kidal. Le 10 novembre dernier, un affrontement entre un convoi armé de véhicules provenant de Libye et des militaires nigériens a fait 14 morts.
La situation prend, dès le 27 janvier dernier, une tournure plus inquiétante, lorsqu’on apprend que des membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) se sont joints aux rebelles Touareg afin d’unir leur force contre l’Etat Malien. AQMI, qui par ailleurs, détient toujours 13 otages occidentaux dont 6 Français.
Ils avaient attaqué ensemble la ville d’Aguelhoc  (nord-est du Mali), le 24 janvier précédent. Plus de 70 soldats désarmés avaient alors été exécutés.
Le  11 mars dernier, les rebelles Touareg ont réussi par la force, à occuper le camp militaire de Tessalit (près de la frontière algérienne). Le MNLA avait affirmé qu’il y avait eu peu de victimes. L’armée malienne avait alors du se retirer en fuyant, en évoquant bien sûr « un retrait tactique ». Cette base hautement stratégique était la seule de la région du Kidal à disposer d’une piste d’atterrissage goudronnée et à être capable d’accueillir des hélicoptères, une sacrée prise de guerre pour le MNLA !
Une armée démunie
Depuis plusieurs semaines déjà, l’armée malienne se plaignait de ses propres carences. La difficulté et la violence rencontrées par les soldats face aux Touareg rendaient nerveux les hommes de terrain. L’attaque d’Aguelhoc avait littéralement plombé le moral des troupes.
Amadou Konoré, porte-parole de la junte explique donc ce coup d’Etat par «L’incapacité notoire du régime à gérer la crise qui sévit au nord du Mali (…) l’inaction du gouvernement à doter de moyens adéquats les forces armées et de sécurité pour accomplir leurs missions de défense de l’intégrité du territoire national».
La désinformation du gouvernement de Bamako
Pendant ce temps là à Bamako, c’est une véritable désinformation du public qui s’organisait. Le pouvoir, alors tenu par le président ATT, ne faisait état que de bonnes nouvelles du front. Il affirmait que la situation était totalement sous contrôle. Une propagande gouvernementale qui n’a fait qu’alimenter le ressentiment des soldats sur le terrain.
Pour un certain nombre de commentateurs, qui préfèrent parler de mutinerie plutôt que d’un coup d’état, la situation actuelle était prévisible.
La menace du Chaos au Mali
Depuis hier, c’est le silence radio au sein du  CNRDRE, le Comité pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat, responsable du coup d’Etat. Ce mutisme reflète vraisemblablement un certain amateurisme en matière politique.
La stabilité du pays est à l’heure actuelle très précaire. Des scènes de pillage perpétrées par des individus, certains en uniformes, ont en effet été observées à Bamako, capitale du pays jeudi.
Selon l’agence de presse REUTERS, des pénuries de pain et de carburant commencent à se faire ressentir depuis vendredi dans la capitale.
Les doutes sur la situation du président malien ATT alimentent l’inquiétude au sein des populations. Les observateurs parlent d’un sentiment étrange de chaos.
Cette mutinerie risque fort de déstabiliser la région si aucune issue n’est trouvée rapidement. D’autant que le vide laissé sur le front permet en ce moment même aux rebelles touaregs de profiter de la confusion pour gagner du terrain dans le nord du pays en investissant les positions abandonnées par l’armée.
Sur son site internet (http://www.mnlamov.net/) le MNLA annonce qu’il poursuivra « son offensive pour déloger l’armée malienne et son administration de toutes les villes de l’Azawad ».
Selon un communiqué de Bakaye Ag Hamed Ahamed, chargé de la communication du mouvement « Le coup d’Etat militaire au Mali ne change en rien la dynamique du MNLA, qui défend l’Azwad pour son autodétermination sans aucune condition et son indépendance vis-à-vis du Mali ».
Les mutins, dont les grades ne dépasseraient pas celui de Capitaine, prennent un risque considérable en affaiblissant l’Etat de la sorte. Même si certains estiment que l’ex président ATT en faisait autant.
Si l’Etat malien ne se redresse pas dans les semaines à venir, c’est le risque de voir apparaître un Etat autonome Touareg, sous l’influence d’AQMI dans une région déjà sous très haute tension, qui se  profile. Cette situation pourrait nous amener de fait, à une déstabilisation profonde de l’Afrique sub-saharienne, pouvant également mener à des tensions violentes.
Une question nous brûle les lèvres à l’heure actuelle : Pourquoi les pays engagés dans la lutte contre les groupes terroristes, et en particulier AQMI (Tels que la France, les Etats-Unis et même l’Algérie), n’ont-ils pas réagi plus tôt en apportant une aide militaire et logistique au Mali avant que la situation ne devienne insoutenable?
L’avis d’un Expert en 3 questions
Nous avons joint par téléphone Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégique). Spécialistes des questions économiques et politiques africaines, ex-ambassadeur de France au Kenya, au Ghana et en République Démocratique du Congo et directeur du développement au ministère français des affaires étrangères.
Il a accepté de répondre à nos questions sur le sujet.
LesGrandesOreilles : Le porte-parole de la junte explique ce coup d’Etat par «L’incapacité notoire du régime à gérer la crise qui sévit au nord du Mali et l’inaction du gouvernement à doter de moyens adéquats les forces armées et de sécurité pour accomplir leurs missions de défense de l’intégrité du territoire national». Pensez vous que cette explication soit justifiée?
PIERRE JACQUEMOT :Justifiée oui ! On a pu observer que l’armée malienne avait déjà subi des revers conséquents face à la rébellion Touareg. Ces derniers ont capturé des localités très importantes et ceci à plusieurs reprises. Il y a donc incontestablement un malaise au sein de l’armée malienne. Il y a déjà eu des griefs contre l’Etat- major dénonçant un manque de munitions et de ravitaillement. Il y a aussi cette histoire de corruption dans la chaine de commandement, qui a sans doute exacerbé les tensions et le ressentiment des soldats à l’encontre du gouvernement. En tout cas, c’est selon moi, un  problème de fierté lié aux revers subis ces derniers mois.
LGO: Peut-il y avoir, selon vous, une sortie de crise honorable ?
 P.J:  C’est un peu tôt pour le dire, à mon avis. On ignore à l’heure actuelle un certain nombre de choses. Plusieurs questions restent en suspend : Quelle est la situation d’ATT, le président du Mali ? Comment s’est comportée la garde présidentielle face à l’attaque ? On manque aussi aujourd’hui d’un certain nombre de détails sur ce coup d’Etat. Ce qui est sûr c’est qu’il y a un discrédit international,  surtout de la part des Etats voisins africains. Si le mouvement putschiste persiste dans son attitude, il va se retrouver très isolé. Les pays voisins que sont le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Guinée, la Mauritanie et l’Algérie au nord, ne pourront pas laisser faire. Il leur est impossible d’accepter des coups militaires perpétrés par de simples sous-officiers. La junte va devoir trouver une sortie honorable. La population souhaitera à tout prix éviter de retomber dans ses errements du passé.
LGO: Quelles sont les risques pour le Mali à l’heure actuelle?
P.J: Les risques liés à ce coup d’Etat sont de trois types :
Le premier étant le risque permanent lié à la rébellion touareg au nord où l’on retrouve par ailleurs les mêmes individus qui, en 1994 étaient déjà dans les troupes rebelles. Ils revendiquent un territoire immense. Il faut comprendre que le Mali est un pays  très difficilement gouvernable. Les aspects sociaux et ethniques sont d’une grande complexité.
Le second risque est lié à la crise libyenne. Un certain nombre de miliciens ont traversé le désert avec un armement lourd qui est semble-t-il très sophistiqué et redoutablement efficace. Un armement bien adapté au combat dans le désert, et beaucoup plus élaboré que celui de l’armée régulière malienne.
Enfin (aspect très peu évoqué par les médias, NDLR), cette région est en proie à tous les trafics, notamment celui de la cocaïne, qui transite en très grande quantité sur le territoire, ce qui n’était pas le cas il y a à peine 20 ans. Cette nouvelle donnée exacerbe fortement les tensions, avec sans doute des arrières pensées très terre-à-terre derrière les revendications émises par les rebelles du MNLA.

Un dossier de la rédaction avec Mehdi JAZIRI

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